mercredi 5 janvier 2011

Le rêve chez Wystan Hugh Auden



Un cauchemar
Scissor Man

«Rêver permet à chacun d’entre nous d’être tranquillement fou en toute sécurité chaque nuit de notre vie.» (Charles Fisher) Précisément. Pour ce qui est de mon expérience, mes rêves, quoique nécessaires au plan physiologique et psychologique, me paraissent, quand je me réveille, être ennuyeux de la même façon que les fous, c’est à dire, répétitifs, dépourvus de toute forme d’humour et follement égocentriques. Une seule fois dans ma vie j’ai eu un rêve qui, après examen, m’a paru suffisamment intéressant pour que je le note.
Un cauchemar – Août 1936
J’étais à l’hôpital, pour une appendicectomie. Il y avait là quelqu’un avec des yeux verts et qui avait une terrifiante affection pour moi. Il coupa le bras d’une vieille dame qui était sur le point de me faire du mal. J’en parlai aux médecins de ce personnage, mais ils ne faisaient pas attention, quoique, à ce moment-là, je pris conscience qu’ils étaient inquiets de sa mauvaise influence sur moi. Je décidai de m’échapper de l’hôpital et je le fais, après avoir cherché quelque chose dans un placard, je ne sais pas quoi. Je vais à la gare, me faufile entre les wagons d’un train, descends un escalier en colimaçon et sors sous les jambes de quelques garçons et filles. Maintenant, mon compagnon est apparu avec se trois frères (il se peut qu’il n’y en ait eu que deux). L’un d’eux, blond aux traits doux, les ongles bien soignés, est plus rassurant. Ils me disent qu’ils n’abandonneront jamais quelqu’un qu’ils aiment et qu’ils choisissent souvent le timide. Le nom de celui qui fait peur est Giga (en islandais Gigur désigne un cratère), ce que j’associe avec le nom Marigold («souci») et j’ai la vision d’une poursuite comme si c’était une image dans un livre, que je pense relié au personnage à longues jambes rouges, l’Homme aux ciseaux dans Der Struwelpeter . La scène se change en une fabrique abandonnée, sous la clarté de la lune. Les frères sont là, ainsi que mon père. On entend de grands coups qui sont frappés, dont ils me disent qu’ils sont causés par le fantôme d’une vieille tante qui vit dans une boîte dans l’usine. Comme de juste, la boîte, qui ressemble à ma boîte fourre-tout, arrive en rebondissant et s’arrête à nos pieds, en s’ouvrant. Elle est pleine d’œufs durs. Les frères sont très égoïstes et s’en emparent, et seul mon père me donne la moitié du sien.

Wystan Hugh Auden
“Dreams”
Grande-Bretagne   1970 Genre de texte
Autobiographie
Contexte
Ce livre est un recueil d’extraits littéraires qui ont influencé Auden ou qui avaient beaucoup de signification pour lui. Il les a organisés en ordre alphabétique avec parfois des commentaires. Dans la section intitulée Dreams, Auden copie un extrait de John Davy sur le sommeil REM, ainsi que des citations de Novalis, Coleridge, Lichtenberg et Hegel au sujet du rêve. L'auteur raconte ensuite son propre rêve, qui est donné ici, suivi par des récits de rêves de Goethe, Dag Hammarskjöld et Florence Aadland.
Notes
Wystan Hugh Auden (1907-1973) a grandi à Birmingham (Angleterre, mais s'est installé aux États-Unis en 1939.
Commentaires
Dans Der Struwelpeter, conte fantastique créé par Heinrich Hoffman, l’Homme aux ciseaux coupe le pouce des petits garçons qui se le sucent. Il apparaît dans «L’histoire du petit Suce-pouce», une des comptines favorites d’Auden lorsqu’il était enfant. Sous l’entrée «Complexe de castration», Auden donne la traduction du texte complet et ajoute : «En lisant aujourd’hui ce poème, je me dis que, bien évidemment, il ne s’agit pas du tout de sucer le pouce, mais bien de la masturbation, qui est punie par la castration. Mais, si c’est le cas, pourquoi est-ce que je prenais plaisir à ce poème lorsque j’étais enfant? Pourquoi n’étais-je pas effrayé? Si ça suscitait ma peur, c’était une peur fictive bien agréable. Il se trouve que je me rongeais les ongles, mais je savais parfaitement que je ne subirais pas le sort de Suce-pouce, car l’Homme aux ciseaux était juste un personnage dans un poème et non une personne réelle. D’un toute autre ordre est la peur qu’éveillent en moi araignées, crabes et pieuvres, qui symbolisent pour moi la castration par la Vagina Dentata». (p. 52-53)


Texte témoin
A Certain World: A Commonplace Book, London: Faber and Faber, 1971, p. 126-127. Notre traduction [CV].
Texte original
“Dreaming permits each and every one of us to be quietly and safely insane every night of our lives.” (Charles Fisher) Precisely. So far as my own experience goes, my dreams, however physiologically and psychologically necessary, seem to me, on waking, to be boring in exactly the same way that lunatics are, that is to say, repetitious, devoid of any sense of humour, and insanely egocentric. Only once in my life have I had a dream which, on conscious consideration, seemed interesting enough to write down. A Nightmare—August 1936
I was in hospital for an appendectomy. There was somebody there with green eyes and a terrifying affection for me. He cut off the arm of an old lady who was going to do me an injury. I explained to the doctors about him, but they were inattentive, though, presently, I realized that they were very concerned about his bad influence over me. I decide to escape from the hospital, and do so, after looking in a cupboard for something, I don’t know what. I get to a station, squeeze between the carriages of a train, down a corkscrew staircase and out under the legs of some boys and girls. Now my companion has turned up with his three brothers (there may have been only two). One, a smooth-faced, fine-fingernailed blond, is more reassuring. They tell me that they never leave anyone they like and that they often choose the timid. The name of the frightening one is Giga (in Icelandic Gigur is a crater), which I associate with the name Marigold and have a vision of pursuit like a book illustration and, I think, related to the long red-legged Scissor Man in Schockheaded Peter. The scene changes to a derelict factory by moonlight. The brothers are there, and my father. There is a great banging going on which, they tell me, is caused by the ghost of an old aunt who lives in a tin in the factory. Sure enough, the tin, which resembles my mess tin, comes bouncing along and stops at our feet, falling open. It is full of hard-boiled eggs. The brothers are very selfish and seize them, and only my father gives me half his.

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