Le rêve du comte de Comminge
Un spectre lui apparaît
Dans le sein du repos j’essayais d’assoupir
les tortures d’un cœur fatigué de gémir.
Quel songe m’a rempli de ses traces funèbres!
J’errais, dans un désert, à travers les ténèbres.
Du fond de noirs tombeaux, antiques monuments,
j’entendais s’échapper de longs gémissements;
dans les débris épars de ces vieux mausolées,
je voyais se traîner des ombres désolées.
D’un lamentable écho ces champs retentissaient;
des monceaux de cercueils jusqu’aux cieux s’entassaient :
on eût dit que ces bords, de la nature entière,
du monde enfin étaient l’éternel cimetière.
Tout à l’oreille, aux yeux, au cœur, à tous les sens,
portait l’affreuse mort, et ses traits déchirants.
À la sombre lueur d’une torche sanglante,
j’aperçois une femme égarée, et tremblante :
en vêtements de deuil, les bras levés au ciel,
dans les pleurs, succombant sous un trouble mortel.
J’approche... Adélaïde... à ses genoux je tombe,
et n’embrasse, effrayé, qu’une plaintive tombe!
Je repousse de moi ce tombeau gémissant.
Sous les habits d’Euthime un spectre menaçant
s’élève, se découvre, à mes regards présente...
quelle image! ... la mort cause moins d’épouvante.
D’un tourbillon de feux il était entouré;
on pouvait voir son cœur, de flammes dévoré.
Arrête m’a-t-il dit d’une voix douloureuse, cruel! ...
ma destinée est assez malheureuse!
Puissai-je dans ces feux allumés par le ciel,
expier les erreurs d’un penchant criminel!
Contemple un monument des célestes vengeances...
pleure, il est encor temps, répare tes offenses...
tu vois Adélaïde... à ces mots expirants
il lance dans mon sein un de ses traits brûlants,
je t’attends, poursuit-il. Je m’écrie. Il retombe
et rentre en murmurant dans la nuit de la tombe,
la foudre y suit le spectre, et l’enfer a mugi.
François de Baculard d’Arnaud
Le Comte de Comminge
France 1764 Genre de texte vers, théâtre
Contexte
Le rêve se situe à la scène première du troisième et dernier acte qui compte 6 scènes.
Amoureux d’Adélaïde qu’il ne peut épouser, le comte de Comminge se retrouve en prison pour avoir tenté de tuer le mari de cette dernière. Un ami le délivre et il se réfugie dans une abbaye où il devient moine. Dans cette abbaye, il rencontre le frère Euthime qui souffre d’une douleur secrète. Le comte fait ce rêve avant la cérémonie funèbre d’Euthime pendant laquelle le frère lui apprend qu’il est Adélaïde, venue vivre à l’abbaye après la mort de son époux pour être auprès de Comminge.Texte témoin
Œuvres, Théâtre, T.2., Paris, Laporte, 1803, p. 66-67.
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