mercredi 5 janvier 2011

Le songe d’une prisonnière






Le songe d’une prisonnière

Funeste prémonition

« Et voici qu’un songe épouvantable vient de me replonger dans mon infortune, que dis-je, d’y mettre le comble. Il me sembla qu’arrachée par la force à ma maison, à ma chambre nuptiale, à mon lit lui-même, j’errais à travers des déserts impénétrables, appelant le nom de mon infortuné mari, et lui, dans l’état où il avait été privé de mes embrassements, encore tout humide de parfums, couronné de fleurs, il cherchait à me suivre, tandis que je fuyais, sur les pieds d’autrui. Et, comme il poussait de grands cris pour se plaindre du rapt de sa belle fiancée et appelait le peuple à l’aide, l’un des brigands, saisi d’indignation en se voyant poursuivi de façon aussi importune, prit une énorme pierre qui se trouvait à ses pieds et, frappant mon malheureux mari, le tua. Terrifiée par l’horreur d’un tel rêve, j’ai été arrachée, toute tremblante, à mon sommeil funeste. »
Alors, joignant ses soupirs aux larmes de la jeune fille, la vieille commença ainsi : « Aie bon courage, jeune demoiselle, et ne te laisse pas terrifier par les vaines images des songes. Car, non seulement l’on considère comme mensongères les images qui viennent pendant un sommeil de jour, mais encore les rêves nocturnes annoncent bien souvent le contraire de ce qu’ils représentent. Ainsi, pleurer, être battue, parfois même être égorgée présagent gains et heureux profits ; au contraire, rire, s’emplir le ventre de bonbons et de douceurs ou s’unir à quelqu’un pour goûter le plaisir de la chair signifieront que la tristesse, la maladie, et autres maux vont vous tourmenter. »

Apulée
Les Métamorphoses
Rome   160 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit arrive au début du roman.
Une jeune fille de bonne famille, qui a été enlevée par des brigands, raconte à la vieille chargée de la garder un rêve qu’elle vient de faire.
Apulée est un écrivain né vers 130 en Numidie (Afrique du nord) et élevé à Carthage.
Texte témoin
Romans grecs et latins, Textes présentés, traduits et annotés par Pierre Grimal, Gallimard, NRF, 1958, p. 217-218.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire