mercredi 5 janvier 2011

Le rêve chez François de Baculard d’Arnaud



Le rêve du comte de Comminge
Un spectre lui apparaît

Dans le sein du repos j’essayais d’assoupir
les tortures d’un cœur fatigué de gémir.
Quel songe m’a rempli de ses traces funèbres!
J’errais, dans un désert, à travers les ténèbres.
Du fond de noirs tombeaux, antiques monuments,
j’entendais s’échapper de longs gémissements;
dans les débris épars de ces vieux mausolées,
je voyais se traîner des ombres désolées.
D’un lamentable écho ces champs retentissaient;
des monceaux de cercueils jusqu’aux cieux s’entassaient :
on eût dit que ces bords, de la nature entière,
du monde enfin étaient l’éternel cimetière.
Tout à l’oreille, aux yeux, au cœur, à tous les sens,
portait l’affreuse mort, et ses traits déchirants.
À la sombre lueur d’une torche sanglante,
j’aperçois une femme égarée, et tremblante :
en vêtements de deuil, les bras levés au ciel,
dans les pleurs, succombant sous un trouble mortel.
J’approche... Adélaïde... à ses genoux je tombe,
et n’embrasse, effrayé, qu’une plaintive tombe!
Je repousse de moi ce tombeau gémissant.
Sous les habits d’Euthime un spectre menaçant
s’élève, se découvre, à mes regards présente...
quelle image! ... la mort cause moins d’épouvante.
D’un tourbillon de feux il était entouré;
on pouvait voir son cœur, de flammes dévoré.
Arrête m’a-t-il dit d’une voix douloureuse, cruel! ...
ma destinée est assez malheureuse!
Puissai-je dans ces feux allumés par le ciel,
expier les erreurs d’un penchant criminel!
Contemple un monument des célestes vengeances...
pleure, il est encor temps, répare tes offenses...
tu vois Adélaïde... à ces mots expirants
il lance dans mon sein un de ses traits brûlants,
je t’attends, poursuit-il. Je m’écrie. Il retombe
et rentre en murmurant dans la nuit de la tombe,
la foudre y suit le spectre, et l’enfer a mugi.

François de Baculard d’Arnaud
Le Comte de Comminge
France   1764 Genre de texte
vers, théâtre
Contexte
Le rêve se situe à la scène première du troisième et dernier acte qui compte 6 scènes.
Amoureux d’Adélaïde qu’il ne peut épouser, le comte de Comminge se retrouve en prison pour avoir tenté de tuer le mari de cette dernière. Un ami le délivre et il se réfugie dans une abbaye où il devient moine. Dans cette abbaye, il rencontre le frère Euthime qui souffre d’une douleur secrète. Le comte fait ce rêve avant la cérémonie funèbre d’Euthime pendant laquelle le frère lui apprend qu’il est Adélaïde, venue vivre à l’abbaye après la mort de son époux pour être auprès de Comminge.Texte témoin
Œuvres, Théâtre, T.2., Paris, Laporte, 1803, p. 66-67. 

 


Un songe du roi Philippe
Un souhait vite réalisé

Le jeune Sargines donna à laver au roi; il eut l’honneur de lui présenter le vin du coucher, et il revint essuyer une longue conversation où le père se dédommagea amplement de sa contrainte, et donna l’essor à tous ces mouvemens que la présence du monarque avoit retenus. Sargines court chez son fils à la pointe du jour; il l’amène à la porte de l’appartement où le prince reposoit, pour attendre l’un et l’autre l’instant de son réveil. Philippe ne les a pas plûtot apperçus :
– Chevalier, je n’ai jamais dormi avec autant de tranquillité : voilà ce que produit le plaisir de causer avec gaieté et franchise; on ne connaît guères à la cour ces effusions d’ame! Il y a pourtant une si douce satisfaction à se parler du coeur! ... mon ami, j’ai rêvé que votre fils étoit la fleur de notre chevalerie.
– Sire, les rêves des rois différent-ils de ceux des autres hommes? Puisse au reste le songe de votre majesté se réaliser! J’y gagnerois un fils, et vous, sire, un fidèle sujet de plus : le nombre des bons serviteurs n’est jamais trop grand.
Philippe s’apprêtoit à monter à cheval; il détache son épée, s’approche du jeune Sargines, et de cet air rempli de bienfaisance qui lui étoit si naturel, la lui mêt au côté en disant : « après Dieu, le roi de France te fait écuyer. »

François de Baculard d’Arnaud
Epreuves Du Sentiment
France   1772 Genre de texte
nouvelle
Contexte
Le rêve est situé dans la nouvelle intitulée « Sargines ».
Sargines, un illustre chevalier, se désole de voir son fils ne démontrer aucune aptitude pour la chevalerie. Il en parle à son ami et maître le roi Philippe qui accepte de rencontrer le jeune Sargines. Après une discussion avec lui chez Sargines, le roi croit que le fils pourrait devenir chevalier après un bon entraînement. Ce soir-là, le roi fait un songe confirmant son hypothèse.Texte témoin
Paris, Le Jay, 1773, p. 292-293, vol. 2. 


Le cauchemar de Clary
Rongée par la culpabilité

Le sommeil, malgré moi, me saisit au milieu des réflexions les plus lugubres; un songe affreux vint ajoûter à ces noires impressions. J’étois dans un souterrein éclairé d’une lampe funèbre, et j’allois tomber dans une fosse. J’apperçois un vieillard dont les cheveux blancs couvroient le visage; il accourt, en me disant : «ce n’est pas à toi de mourir, c’est à moi que cette fosse est destinée : voilà où ma fille m’a conduit!» je reconnais mon pere; je veux l’embrasser. «retire-toi,» poursuit-il, «ou, si tu m’approches, étends ce linceul sur moi.» je me trouve entre les mains un drap mortuaire; il m’échappe un cri; j’entends retentir de la terre jettée sur un cercueil, et une voix sépulchrale qui prononce ces mots : «c’est ici que nous t’attendons.» je me réveille avec horreur; la lumière finissoit.

François de Baculard d’Arnaud
Épreuves Du Sentiment
France   1772 Genre de texte
nouvelle
Contexte
Le rêve figure dans la nouvelle intitulée « Clary ».
Clary, fille d’un paysan, se fait courtiser par Mévil, un noble qui veut l’épouser. Comme il menace de se suicider si Clary refuse de partir de chez elle pour le rejoindre à Londres, Clary est déchirée entre Mévil et ses parents qu’elle aime et qu’elle ne peut abandonner. Alors qu’elle est évanouie, Mévil la fait transporter à Londres où elle mènera une vie faste malgré ses remords. La culpabilité qu’elle ressent d’avoir quitté ses parents est dévoilée dans ce rêve qu’elle raconte au baronet Borston.
Texte témoin
Paris, Le Jay, 1773, p. 226- 227, vol. 1. 

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