Ainsi, dans les rêves suffocants, dits cauchemars (je parle encore uniquement de ceux qui ne tiennent point à des dispositions nerveuses particulières) ; dans les cauchemars, dis-je, l’observation nous annonce, et nous fait reconnaître quelquefois, ou des sensations, ou des mouvements qui commencent dans une partie, et vont se terminer dans une autre ; ou qui passent de la première à la seconde, sans qu’on puisse en trouver la cause dans les sympathies organiques connues. Ces transitions dépendent évidemment de déterminations conçues dans le sein même du système nerveux. Un fait général met cette proposition hors de doute, et la présente dans tout son jour. Les gens de lettres, les penseurs, les artistes, en un mot, tous les hommes dont les nerfs et le cerveau reçoivent beaucoup d’impressions, ou combinent beaucoup d’idées, sont très sujets à des pertes nocturnes, très énervantes pour eux. Cet accident se lie presque toujours à des rêves ; et quelquefois ces rêves prennent le caractère du cauchemar, avant de produire leur dernier effet. J’ai traité plusieurs malades de ce genre ; car il n’est pas rare que leur état devienne une vraie maladie. J’en ai rencontré deux, chez lesquels l’événement était précédé par un rêve long et détaillé : ils voyaient une femme, ils l’entendaient approcher de leur lit, ils la sentaient s’appuyer du poids de tout son corps sur leur poitrine : et c’était après avoir essuyé pendant plusieurs minutes, les angoisses d’un véritable cauchemar, que les organes de la génération se trouvant excités par la présence de cet objet imaginaire, la catastrophe du rêve amenait ordinairement la fin du sommeil. Plusieurs autres médecins ont observé le même fait avec peu de variétés dans les circonstances. La conclusion qui peut s’en tirer est sans doute remarquable : mais elle ne résulte pas, au reste, moins nettement de tous les actes de la mémoire ou de l’imagination, dont les impressions originelles appartiennent à un organe, tandis que les déterminations paraissent ne réagir passagèrement sur lui, que pour se diriger entièrement vers un autre.
Pierre-Jean-Georges Cabanis
Rapports du physique et du moral de l'homme
France 1802 NotesCabanis a vécu de 1757 à 1808.
Édition originale
Rapports du physique et du moral de l'homme, 3e édition précédée d'une table analytique par Destutt de Tracy, Paris, Caille et Ravier, 1815. (Première édition en 1802), p. 150 à 151.
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