lundi 27 décembre 2010

Rêves typiques

Certains rêves, comme la chute dans le vide ou le vol dans les airs, semblent relever d'un " patrimoine onirique collectif ". Comment rendre compte de l'apparente universalité de ces scénarios ?
Par Antonio Fischetti.
Photographies de Marc Le Mené.
Il y a de ces rêves que nous avons tous éprouvés au moins une fois dans notre existence : chute dans le vide, vol dans les airs, perte de dents, poursuite ... Sigmund Freud a appelé " rêves typiques " ces scénarios relativement communs. Il attribue une signification sexuelle à chacun d'eux : castration pour la chute, coït pour le vol, masturbation pour la perte de dents... Ces interprétations systématiques, qui semblent issues d'un almanach "rose", sont pour le moins étranges sous la plume de celui qui montre, par ailleurs, que le rêve s'interprète en fonction de l'histoire de chaque individu! Faut-il penser, comme l'écrivain Jean-Louis Baudry, qu'à travers l'analyse des rêves typiques (ou rêves-types), Freud ait voulu "rendre hommage à l'ancienne clef des songes en lui reconnaissant un peu de vérité" ? Mais pourquoi ces rêves sont-ils si fréquents? Ayant "les mêmes sources chez tous les hommes ", ils seraient, toujours selon Freud, les "résidus archaïques" d'une expérience ancestrale. Son élève Carl Gustav Jung va encore plus loin : il existe en chaque être un "inconscient collectif ", s'exprimant par des archétypes, schèmes mentaux analogues aux instincts. Pour le psychanalyste Roland Cahen, principal traducteur de Jung, le rêve-type serait "un mécanisme prémonté, cousin germain de l'archétype jungien". Certains psychanalystes relient ces conceptions à celles du neurobiologiste Michel Jouvet, pour qui le rêve correspond à une reprogrammation génétique de l'individu. Les pulsions instinctives, relatives à la survie, au désir de puissance ou à l'angoisse de castration, s'exprimeraient dans les rêves par des scénarios de poursuite, de vol, de perte d'un objet...
L´état physiologique pendant le sommeil ne serait pas étranger au contenu du rêve. Par exemple le scénario de poursuite serait dû au relâchement musculaire qui accompagne le sommeil, la sensation de paralysie déclenchant un désir instinctif de fuite hérité de nos ancêtres des savanes. J'ai présenté ici quelques interprétations de rêves-types. Elles ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Elles montrent même, en dévoilant la polysémie des rêves, la vanité de toute interprétation systématique. C'est évidemment le contexte individuel et culturel qui donne sens au rêve. Toutefois, sans appliquer de manière rigide la systématique freudienne ("lui-même n'y croyait plus guère vers la fin de sa vie ", rapporte le psychanalyste Gérard Bonnet), ne succombons pas à son abusif reniement. Le sexe et la mort aimantent les angoisses humaines. Ils pourraient constituer l'armature d'un patrimoine onirique collectif, toile de fond aux multiples facettes dont les rêves-types seraient une des expressions.
Rêver à la mort d'un être proche serait, pour Freud, l'expression déguisée d'un désir inconscient de cette mort, désir remontant à l'enfance où cet être était perçu comme un rival. Ce rêve peut aussi refléter une angoisse d'abandon. C'est le plus fréquent des rêves récurrents chez l'enfant.
Rêver de pendre ses dents a toujours été considéré comme un présage de mort. Il est vrai que pour nos ancêtres, la perte des dents accompagnait effectivement la vieillesse; rien d'étonnant à ce que cette expérience archaïque intègre l'imaginaire collectif. Mais les dents peuvent aussi exprimer un retour à l´enfance, période où elles tombent également. En psychanalyse, l'évocation de cet événement, un des premiers traumatismes de l'existence, fait parfois resurgir de nombreux souvenirs. Lorsqu'elles paraissent branlantes, les dents peuvent renvoyer à "l'onanisme de la puberté", selon Freud. Le symbolisme, dont il faut bien reconnaître qu'il ne saute pas aux yeux, illustre un des aspects du travail du rêve: la mise en image du langage. En effet le terme " branler " s'applique à une dent prête à chuter, mais aussi.. à la masturbation! Si cette pratique "honteuse" surgit en rêve, la censure agit : il y a déplacement de l'expression verbale en direction d'un élément étranger à l' "objet du délit " :une dent par exemple.. L'analogie est encore plus flagrante dans la langue de Freud, où se masturber se dit aussi "s'en arracher une ". Ceci montre en passant la vanité d'un symbolisme rigide qui prétendrait associer l'appareil dentaire aux organes reproducteurs. Selon sa dénomination, l'onanisme pourrait être représenté par divers objets à travers le monde: un fil électrique en Angleterre ("se tirer le câble"), une paille au Venezuela ("se faire une paille") ou une scie en Italie ("se faire une scie")... A propos de scie, la perte de dent évoque souvent l'angoisse de castration. Une association expliquée de manière convaincante par le psychanalyste Gérard Bonnet: "C'est à l'âge où les garçons prennent conscience de la différence des sexes et peuvent ressentir l'angoisse de castration, qu'ils perdent effectivement un élément de leur corps. Ils se disent inconsciemment: si une dent peut tomber, pourquoi pas autre chose?"

Vous êtes dans la rue ou dans un cocktail, devisant tranquillement.. ; soudain, vous découvrez que vous êtes nu (variante: en slip)! Le public, lui, reste indifférent. Malgré la gêne qui vous submerge, il faut, selon Freud, interpréter ce rêve comme un désir d'exhibition, exprimant la nostalgie du paradis perdu de l'enfance où vous déambuliez dans une innocente nudité. Pour conjurer le désir coupable envers les parents (complexe d´Oedipe oblige), la censure écarte du rêve les êtres susceptibles d'éveiller un désir, et redouble de précautions en y plaçant des personnages indifférents au spectacle. Mais la nudité peut également se lire de manière imagée. Le sexe serait le symbole d'un sentiment intime et profond, dissimulé derrière les atours sociaux. Le rêve de nudité exprime alors la peur d'être découvert sous sa nature profonde. Mais parfois, ce que l'on cache c est aussi ce que l'on désire montrer. " Le sexe est la métaphore du désir ", résume le psychanalyste Gérard Bonnet, auteur de Voir, être vu (PUF, 1981). La gêne ressentie dans le rêve s'expliquerait par l'" ambivalence entre désir et inhibition" : on a souvent honte de nos souhaits profonds. Dans d'autres cas, "mettre à nu", c'est amener un a événement refoulé à la conscience. Une métaphore qui illustre le travail de mise en images du rêve. "Lors d'un traitement psychanalytique, celui qui fait un rêve d'exhibition est tout prêt de faire une grande découverte, en jouant sur le double sens de ce mot", révèle Gérard Bonnet. Cacher ou révéler.. C est aussi le dilemme de l'inconscient qui, en se projetant sur l'écran du rêve, montre et cache à la fois, dans une dialectique opposant le caché du contenu latent et le révélé du contenu manifeste. Ce qui fait dire à Gérard Bonnet que "tout rêve est un rêve d'exhibition". Et le rêve de nudité, parce qu'il exprime ce principe sous sa forme la plus caricaturale, serait le "rêve par excellence".

Voler dans les airs : enfin un rêve agréable.. On attribue parfois la sensation de planer à la relaxation physique et mentale pendant le sommeil. Pourtant le cerveau est autant actif lors du rêve que de l'éveil (ce qu'attestent les tracés électroencéphalographiques du sommeil paradoxal). Pour le neurobiologiste Michel Jouvet, le rêve de vol serait plutôt provoqué par une activation de la sphère vestibulaire, zone du cerveau associée au sens de l'équilibre. Une hypothèse que pourrait confirmer l'utilisation de la caméra à positons, en visualisant l'activation cérébrale. Pour Freud, on s´en doute, le vol symbolise un septième ciel d'un autre genre. Il exprime des réminiscences de ces "jeux de mouvements si agréables aux enfants ", comme le balancement dans les bras des parents ou le transport " à bras tendus et courant à travers la pièce" . Ces activités acrobatiques sont censées préfigurer d'autres envolées: s'envoyer en l'air sur une balançoire serait une orme archaïque de plaisir sexuel.
S'élever au ciel, le pénis le fait aussi : l'érection et le vol ont ceci de commun qu'ils représentent un véritable défi à la pesanteur! En témoigne l'image du phallus ailé, courante dans la mythologie. D'ailleurs si l'érection est associée à la puissance, le vol est l'apanage de Superman. Mais le septième ciel n'est pas que sexuel. On peut sublimer. "Le rêve de vol est analogue à certains rêves où l'on excelle dans un domaine donné, comme le patinage artistique", précise le psychanalyste Gérard Bonnet. "Voler de ses propres ailes" peut également représenter un souhait d'émancipation, d'évasion hors de la réalité, de réalisation d'un désir secret.. Comme ce patient de Gérard Bonnet qui, depuis de nombreuses années, passe ses nuits à voler: "En fait, il a toujours eu le désir d'écrire un livre. La plume dont il rêve c'est le stylo. Chez un autre patient très timide, le vol représentera le fait d'aborder une fille." Décidément, on n'en sort pas...

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