mercredi 19 janvier 2011

Rêves de Michelle



Le premier rêve de Michelle

Les larmes sèches

[...] Michelle et sa mère dîneraient dehors, «tu peux me parler, maintenant, nous sommes seules, toi et moi», lui dirait sa mère, et Michelle ne dirait rien, éparse sous ses cheveux, dans son chandail, avec ses chaussettes d’hiver, en été, ils dîneraient dehors, le ciel serait encore chaud et pesant, son père viendrait pour le dessert, le café, Guislaine cesserait de pleurer, on ne verrait plus ces larmes au bord de ses cils, «tu sais, dirait Michelle à sa mère, j’en pleure, moi aussi, des larmes, mais ce sont des larmes sèches», et son père dirait avec le détachement de la fatigue, «il faut raconter tout cela au psychiatre qui te soigne, ta mère et moi, nous avons déjà bien assez de soucis à ton sujet», un père, le sien, en apparence, si détaché, ce grand jeune homme au front sérieux, papa, «je pleurais en rêve des larmes sèches qui n’arrêtaient pas de couler», il dirait avec une certaine indulgence, «mon petit, cesse de te tourmenter, d’autres sont là pour t’aider» [...] Michelle aurait la force de sourire de ses malheurs et son père dirait «que pourrait bien penser Jung des rêves de notre petite fille, qu’il y a là beaucoup de nuages, dans cette pensée, de brouillard, qu’en penses-tu toi-même Michelle, il est temps d’apprendre à rire un peu de toi-même, comme nous avons tous appris à le faire» [...]

Marie-Claire Blais
Visions d’Anna ou le vertige
Québec   1982 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit de rêve se trouve au milieu du roman. Michelle, une jeune adolescente qui étudie le piano, connaît des problèmes de drogue, ce qui rend les relations familiales tendues et la communication difficile.
Notes
Carl Gustave Jung (1875-1961), psychiatre et psychologue d’origine suisse. Il fut pendant quelque temps un disciple de Sigmund Freud. Il étudia notamment les rêves individuels qui, selon lui, font partie d’un fonds commun de l’humanité qui est structuré par des archétypes.
Texte témoin
Visions d’Anna ou le vertige, Montréal, Boréal (Compact), 1990, p. 104 et 107.
Édition originale
Visions d’Anna, Montréal, Stanké, 1982.


Le deuxième rêve de Michelle
Les embrassades
Michelle et Guislaine marchaient sous le ciel chaud du soir, alanguie par le vin, Guislaine enveloppait de son bras droit les frêles épaules de Michelle, l’orage ferait du bien, après toute cette véhémente chaleur, disait-elle, «quelle belle nuit et que l’été est court, mais cet hiver, tu verras, nous ferons du ski, je ne vous quitterai plus», Michelle écoutait sa mère, Guislaine lui caressait la joue du bout des doigts, comme l’eût fait Liliane, Guislaine ne se reposait jamais, en été ou en hiver, pensait Michelle, elle n’avait jamais le temps de se reposer, pourquoi lui racontait-elle ces mensonges heureux, ces rêves, «nous entendrons le bruit de nos pas, sur la neige, disait Guislaine, et tu seras toujours en bonne santé», «c’est beau, maman, mais ce n’est pas vrai», «mais oui, c’est vrai», «tu sais bien, que ce n’est pas vrai, encore des rêves», dit Michelle, avec bienveillance, «tu veux que je te raconte un rêve, moi aussi, Liliane était près de mon lit, je dormais, et à toutes les heures elle me réveillait pour m’embrasser, elle me serrait très fort dans ses bras, m’embrassait et je m’endormais aussitôt», «ce n’est pas un bon rêve», observait Guislaine, «évidemment, il y a encore beaucoup d’ingénuité dans les embrassements de ta sœur, mais il me semble que c’est indiscret de regarder un visage qui dort, elle ne sait pas, elle ne peut pas se rendre compte encore, tu comprends, malgré sa taille, son poids, c’est encore une enfant, nous savons cela, nous, ses parents, et cet éparpillement de tes boucles noires, sur l’oreiller, est-ce que cela n’éveillait pas sa sensualité, elle était déjà si avancée pour son âge», murmurait Guislaine pour elle-même, «qu’en penses-tu, toi, Michelle?» «moi, maman, je ne sais pas, attends, je veux te parler d’un autre rêve [ ...]»

Marie-Claire Blais
Visions d’Anna ou le vertige
Québec   1982 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit de rêve se trouve vers la fin du roman. Michelle, une jeune adolescente qui étudie le piano, connaît des problèmes de drogue alors que l’homosexualité de sa sœur Liliane n’est pas accepté par ses parents, Paul et Guislaine, ce qui rend les relations familiales tendues et la communication difficile.
Texte témoin
Visions d’Anna ou le vertige, Montréal, Boréal (Compact), 1990, p. 188-189.
Édition originale
Visions d’Anna, Montréal, Stanké, 1982.


Le troisième rêve de Michelle
Les ailes du papillon

«[ ...] attends, je veux te parler d’un autre rêve, tu avais tricoté deux ailes, pour moi, une laine bleue et or, il me semble, elles étaient ouvertes sur le gazon, comme les ailes d’un papillon miraculeux, mais je n’osais pas les essayer, je rêvais pourtant de m’envoler à la hauteur des arbres, comme Anna, à bicyclette sur l’air, le feu», pensait Michelle, «pourquoi n’osais-tu pas, dit soudain Guislaine, ce sont tes ailes à toi, surtout ne raconte pas ce rêve aux autres, ils pourraient te le déformer et ce ne serait plus ton rêve», elles se regardaient pensivement, en silence, elles ralentissaient leurs pas, «je t’aime, tu sais, dit Michelle, à voix basse, même si tu es parfois un peu détestable», il y avait longtemps, pensait Guislaine, qu’elle n’avait pas vu Raymonde seule, de grandes ailes sur le gazon fraîchement coupé dont elles ne pouvaient plus se servir, pensait Guislaine, le rêve de Michelle était primaire mais touchant, tout en Michelle était ainsi, avait cette forme, ce souffle, elle était primaire, touchante, parfois ridicule, son enfant [...] «tu m’as raconté ton rêve, je t’en remercie, c’est rare, j’aurais pu te faire de la peine, à ma manière», «mais toi, c’est différent, dit Michelle, tu es ma mère»

Marie-Claire Blais
Visions d’Anna ou le vertige
Québec   1982 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit de rêve se trouve vers la fin du roman. Michelle, une jeune adolescente qui étudie le piano, connaît des problèmes de drogue, ce qui rend les relations familiales tendues et la communication difficile. Elle raconte à sa mère Guislaine un rêve dans lequel apparaît sa copine Anna, la fille de Raymonde, une amie de Guislaine.
Texte témoin
Visions d’Anna ou le vertige , Montréal, Boréal (Compact), 1990, p. 189 et 192.
Édition originale
Visions d’Anna, Montréal, Stanké, 1982.

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