La clef
[...] toute colère ne s’était-elle pas évanouie entre eux lorsque Jacques avait indiqué à sa sœur, en rêve, ce lieu où se trouvait une clef, n’était-ce pas dans ce tiroir qu’elle rangeait les affaires des enfants pour l’école, en automne, leurs écharpes, leurs bonnets de laine, qu’elle ouvrît vite ce casier du tiroir, il n’y aurait plus de mise au secret mais que le bon ordre, et quelle radieuse impression produisait sur l’œil ce qu’elle y découvrit, c’étaient des ouvrages de peinture que lui léguait son frère, des tableaux imprécis peut-être mais qui diffusaient une clarté rose, quelle radieuse impression ces tableaux produisaient sur l’âme, en les regardant, n’avait-elle pas repris courage, de cette clarté rose se dégageaient les pâles dessins de leurs visages d’enfants, en ce temps où ils avaient été doux, l’un envers l’autre, sans colère, avant que Jacques ne fût méprisé par les siens, il lui avait semblé soudain sentir du réconfort dans la présence de son frère, n’était-il pas debout près d’elle lui indiquant la voie, là, prends cette clef, ouvre ce casier, ces tableaux sont pour toi, la lumière de l’aube l’avait réveillée, avait-elle dormi, qu’avait-elle rêvé, de ces objets, le t-shirt de Tanjou, le pantalon de velours côtelé, les bottes dont le cuir n’avait pas eu le temps de s’user, ces objets, elle les avait mis en bon ordre, Gsund, la santé, herr got, gsund!, elle était hors de leur atteinte, elle devenait cette main industrieuse de Jacques, ce regard dirigé vers le carnet, et la lumière de l’aube brillait sous ses paupières.
Marie-Claire Blais
Soifs
Québec 1995 Genre de texte roman
Contexte
Jacques, un professeur d’université homosexuel, et sa sœur n’entretenaient pas des rapports harmonieux. Toutefois, après la mort de Jacques des suites du sida, sa sœur voit dans un rêve un signe de leur réconciliation.
Notes
Gsund, herr got, gsund : phrase en allemand qui signifie : «la santé, mon dieu, la santé».
Texte témoin
Soifs, Montréal, Boréal (Compact), 1997, p. 237-238.
Édition originale
Soifs, Montréal, Boréal, 1995. Ce roman constitue le premier volet d’une trilogie.
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