La psychanalyse – dont la création et l’élaboration sont dues avant tout au médecin et psychologue viennois Sigmund Freud – d’une méthodes de traitement médical est devenue peu à peu une science psychologique. Elle ne s’est pas limitée à la vie mentale de l’individu, elle a apporté des ouvertures aussi nouvelles que remarquables concernant les organisations humaines: famille, Etat, peuple. Féconde en d’autres domaines encore des sciences humaines, la psychanalyse attire l’intérêt de cercles toujours plus étendus. De nos jours, on l’entend souvent taxer de " mode ", aussi bien en tant que méthode médicale que comme direction des recherches psychologiques, et à ce titre on ne lui prédit qu’une existence éphémère. Or seul celui qui ne connaît pas son histoire peut parler de la sorte. Car depuis les découvertes fondamentales qui ont donné ses assises à la psychanalyse, quarante ans se sont écoulés. Et durant cette période, un nombre croissant de collaborateurs rassemblent des matériaux dont l’accumulation constitue une grande œuvre organiquement structurée. Cependant, l’édifice n’est nullement terminé: ses artisans apportent tout leur zèle à l’agrandir et à réduire ses erreurs de construction. Ainsi la psychanalyse se présente-t-elle comme une science en devenir constant dont les possibilités ne se peuvent encore délimiter, l’avenir semble lui appartenir. De sorte qu’elle n’a certes rien d’une production éphémère, d’un courant passager.
Ce mode de développement, propre à une science, cette extension de ses connaissances à des domaines de plus en plus nombreux de la vie de l’esprit méritent notre intérêt. Tournons-nous donc vers les débuts de la jeune science. En suivant son progrès, nous obtiendrons des éclaircissements sur la signification et la portée de la pensée psychanalytique.
En 1880, il fut donné au médecin viennois Joseph Breuer de rappeler sous hypnose, chez une jeune fille atteinte d’hystérie grave les faits à l’origine de ses symptômes qui semblaient avoir complètement disparu de sa mémoire. Au cours des séances d’hypnose, sa patiente revécut des scènes totalement étrangères à sa conscience et qui avaient présidé à l’apparition de ses troubles. Une fois qu’elle avait parlé de ces réminiscences de toute son âme et avec de vives manifestations effectives, il la réveillait. Chaque fois, il la trouvait déchargée d’un poids, comme libérée d’une pression intime. En poursuivant une cure conséquente. Il amena progressivement cette malade grave près de la guérison. Par la suite, Breuer fit part de cette expérience à son jeune collaborateurs, le Dr Freud, qui poursuivit dans cette voie d’abord en commun avec lui, mais bientôt comme son seul maître. Freud ne se borna pas à fonder la véritable méthode de traitement psychanalytique, il ouvrit des horizons nouveaux à toute la psychologie.
La découverte de Breuer avait attiré l’attention sur un fait remarquable, et fondamental pour l’avenir des recherches: un souvenir pouvait s’être effacé de la conscience, mais s’y trouver remplacé par un symptôme pathologique, une représentation étrangère, etc., sans que le sujet ait de soupçons de cette relation. Si l’on parvenait à faire retrouver aux représentations " refoulées " dans l’inconscient le chemin du retour à la conscience, la formation substitutive devenait superflue, et disparaissait. Or, selon les premières découvertes, n’échappaient à la conscience que les contenus psychiques qui se montraient incompatibles, en raison de l’affect pénible qui les marquait. Freud admit alors un processus psychique de " défense ". dont l’homme s’aidait pour se débarrasser de ces représentations et affects indésirables; il le nomma le " refoulement ". mais il reconnut en même temps que les mêmes forces psychiques à l’origine de ce refoulement s’opposaient sous forme de résistance au retour à la conscience du matériel refoulé. Lorsque l’hypnose se fut révélée incertaine, puisqu’elle n’arrivait souvent pas à vaincre la résistance, Freud trouva une voie nouvelle d’exploration de l’inconscient: la méthode des " associations libres ".
Les principe de ce procédé est facile à comprendre. Il est souvent arrivé à chacun de nous qu’un non, par exemple, lui échappe. Et plus il s’efforce de retrouver la trace du terme évadé en s’acharnant à y réfléchir, moins il y réussit; ou bien des noms erronés lui viennent à l’esprit, comme s’ils voulaient le railler. Seul le mot en question se dérobe opiniâtrement. Mais quelques heures plus tard, lorsque l’attention s’est tournée vers d’autres objets, le mot auparavant cherché en vain se présente tout à fait spontanément. On parle alors d’un " Einfall " (irruption). Il est donc bien clair que le mot qui avait été " oublié " n’avait pas réellement disparu, mais avait seulement été "refoulé " temporairement; q’une résistance psychique s’opposait à son retour à la conscience, et que cette résistance croissait avec l’attention portée sur le mot en question. Par contre, en s’en détournant, le matériel refoulé pouvait retrouver l’accès à la conscience. Freud demande alors à ses patients d’apporter leurs " Einfälle " sans s’efforcer attentivement, c’est-à-dire d’associer " librement " en excluant toute représentation volontaire; par cette méthode, il obtint des aperçus toujours plus profonds et bien plus complets de l’inconscient. la méthode nouvelle, issue de l’hypnose, reçut le nom de " psychanalyse ".
Une objection surgit; ne s’agit-il pas de phénomènes fortuits ou arbitraires? Au lieu de la représentation qui a émergé, une autre n’aurait-elle pas tout aussi bien pu apparaître? Le patient qui se soumet à l’analyse objecte lui-même ainsi. Ses associations libres paraissent souvent, à ses propres yeux, dépourvues de sens, et de tout lien psychologique. Mais nous l’exhortons à laisser de côté la critique de ses pensées. S’il se conforme à nos indications, s’il se conforme à nos indications, et poursuit l’enchaînement de ses idées, dont le sens ou le lien intime reste parfaitement de ses idées, dont le sens ou le lien intime reste parfaitement obscur, à un moment quelque survient une association qui conduit directement au " refoulé ". alors les chaînons précédents, apparemment sans signification, acquièrent un contenu compréhensible, et nous renseignent sur des processus psychiques qui s’étaient d’abord soustraits à notre compréhension. Ainsi nous convainquons-nous du déterminisme de tout processus psychique, si infime soit-il.
La psychanalyse apporte donc la preuve du règne de la causalité dans le domaine psychique, antérieurement conçu comme l’arène du hasard et de l’arbitraire. elle découvre régulièrement l’action de forces pulsionnelle contraires, qui se disputent la prééminence dans la conscience.
L’expérience aidant, un art nouveau de l’interprétation permit le déchiffrement du sens caché des manifestations nerveuses et d’autres productions psychiques. Deux données capitales virent le jour grâce à cette technique. Le matériel refoulé était doté d’une force pulsionnelle dont la présence obligea à une modification des notions antérieures. Il ne s’agissait pas simplement de souvenirs qui en raison de leur valeur affective avaient dû subir un refoulement, mais d’aspirations profondes à caractère de désir très net, et qui étaient certainement liées à des réminiscences chargées d’affects. les désirs refoulés provenaient du domaine des pulsions sexuelles.
La psychanalyse s’est trouvée contrainte d’élargir considérablement la notion de sexualité, qui initialement ne fut pas l’objet d’une attention particulière. Elle reconnut en de nombreux processus psychiques l’action de pulsions sexuelles inconscientes. D’ou de nouvelles adulte, qui amenèrent à dériver des étapes infantiles bien des manifestations pathologiques de la vie mentale des sujets nerveux. Mais la psychanalyse ne néglige nullement les " instincts du moi " (par exemple l’instinct de nutrition, l’instinct de conservation); au contraire elle met l’accent sur l’action conjointe des pulsions du moi et des pulsions sexuelles dans la vie mentale normale et pathologique.
L’être humain apporte en naissant une multitude désordonnée de pulsions diverses et antagonistes. Nous désignons les tout premiers mouvements de sa sexualité comme " auto-érotiques ", car ils n’exigent pas encore d’objet extérieur ; bien au contraire, il s’agit de la stimulation agréable de certaines régions corporelles que nous nommons " zones érogènes ". la zone génitale ne centre pas la sexualité naissante. A un âgge très précoce, nous trouvons un plaisir auto-érotique lié essentiellement à la zone érogène de la bouche dans succion de nourriture, l’enfant trouve rassasiement et plaisir. Il obtient celui-ci par la succion du pouce, ou suçotement, à quoi bien des enfants s’adonneront durablement. Aucune affirmation de la psychanalyse n’a soulevé autant de contradictions que l’attribution à la succion d’une valeur d’activité sexuelle. Et cependant, les faits nous imposent d’une valeur d’activité sexuelle. Et cependant, les faits nous imposent cette conception. Car, de ces expressions de la vie pulsionnelle infantile, une gradation insensible nous conduit à des manifestations incontestablement sexuelles, en particulier à la masturbation infantile. La pathologie nous apporte des cas de développement anormal, ou le plaisir de la succion conserve une prédominance dans la vie sexuelle, et inhibe le développement des autres " tendance partielles ". il ne nous est pas possible de développer largement notre argumentation. Nous soulignerons que cette opinion qui, qui parmi d’autres, peut au premier abord surprendre n’est nullement issue d’un jugement préconçu, mais repose exclusivement sur l’observation sans préjugés et l’expérience contrôlée.
Le stade auto-érotique précède celui durant lequel la " libido " se dirige déjà vers un objet. Mais cet objet est l’enfant lui-même, qui dans cette phase de son développement instinctuel ne connaît que son propre intérêt, s’aime exclusivement, et par conséquent surestime naïvement ses pouvoirs; il exige des témoignages d’amour de toutes sortes, qu’il reçoit comme un dû. C’est le stade du " narcissisme ". le terme est emprunté à la légende grecque du jeune homme qui tomba amoureux de sa propre image. A cette époque de la vie, l’amour de soi de l’enfant est conjugué à un égoïsme encore intégralement dépourvu d’égards dans le domaine des instincts du moi. Le " je veux, je veux " de l’enfant exprime nettement cette situation.
Peu à peu, cependant, la libido se tourne vers d’autres objets. La juxtaposition de pulsions opposées donne lieu à des mouvements tendres et hostiles, d’amour et de haine envers la même personne. D’autres pulsions, destinées à se subordonner un jour à la pulsion sexuelle, se traduisent simultanément par une tendance active et passive. Citons le plaisir à voir et le plaisir à exhiber, le plaisir à l’attaque et à la domination, comme son corollaire passif. A cette époque –vers cinq ans environ- la curiosité sexuelle de l’enfant est vive. La manière dont, à la même période, les besoins d’amour de l’enfant se manifestent à son entourage proche, et dont l’attrait réciproque des sexes se fait jour, sont des points que nous nous bornerons à signaler ici, nous y reviendrons par la suite.
Les inhibitions de la vie pulsionnelle, considérées plus tard comme naturelles, font encore défaut au petit enfant. Au cours de la maturation psychique, l’adaptation progressive de l’enfant à son entourage proche ou lointain repose sur le processus du refoulement, qui frappe une part notable des premiers mouvements instinctuels. Le fonds de l’inconscient est formé d’éléments de la sexualité infantile. L’inconscient est formé d’éléments de la sexualité infantile. L’inconscient ira s’affirmant comme le lieu de ralliement de tous les contenus psychiques intolérables à la conscience en raison de leur nuance de déplaisir. Pour l’essentiel le matériel pulsionnel refoulé est soumis à une élaboration qui l’oriente vers des buts socialement admis ou désirés, ce qui lui permet l’accès à la conscience. Une partie de ces énergies pulsionnelles sert par exemple à l’édification des grandes digues opposées à la sexualité, que nous connaissons sous forme de pudeur, dégoût, pitié, etc. (processus de la " sublimation ").
La sexualité atteint sa forme définitive à la maturité. La fonction de reproduction conquiert ses droits, la zone génitale se situe au centre de la vie pulsionnelle sexuelle. Sous son hégémonie, les instincts partiels se groupent en un tout. C’est alors seulement que les pulsions sexuelles adoptent une direction unique. L’autre sexe devient l’objet exclusif, l’acte sexuel devient but sexuel. Mais les troubles de cette évolution entraînent ces déviations de la norme que nous appelons des perversions.
L’ " inconscient ", au sens ou nous l’exposons ici, est donc cette moitié de notre vie mentale qui reste opaque à la perception consciente. Il ne s’agit pas là des représentations qui sont momentanément écartées de notre conscience du fait des limites de notre intelligence, tout en restant accessibles à notre pouvoir d’évocation. nous différencions ce domaine, le préconscient, tant du conscient que de l’inconscient. par contre, nous nous figurons la " résistance ", qui a pour fonction d’empêcher le retour des représentations refoulées, inconscientes, comme une barrière entre celui-ci et le préconscient. Freud a introduits ici le terme excellent de " censure ". Ce mot se comprend aisément. Dans un état doté d’une censure de presse sévère, toute production littéraire qui ne plaît pas au gouvernement est réprimée. Mais si l’on veut cependant exprimer une opinion subversive, on la masquera d’une manière quelconque, on l’exprimera allusivement ou sous tout autre déguisement. ( Quand Montesquieu voulut critiquer la royauté française avant la révolution, il écrivit les lettres persanes. Selon toutes les apparences, il décrivait des événement se situant en perse, alors qu’il avait en vue ceux de son propres pays. C’est à ces modes indirects de figuration que notre inconscient a recours pour s’exprimer.)
Nous sommes pleinement en droit de parler de fantasmes inconscients. Car notre inconscient déborde de désir insatisfait, et pour leur majorité – ajouterons-nous –impossibles à satisfaire. C’est cet aspect de la pensée, figurant nos aspirations comme comblées ou capables de nouvelle occasion de nous convaincre de l’étroitesse du lien entre l’inconscient et la vie pulsionnelle infantile. Au début de la vie, la pensée de l’enfant est totalement régie par ses tendances au plaisir. Son activité est jeu, sa pensée est fantasme. Peu à peu seulement, la pensée s’adapte à la réalité, sans que pour autant les possibilités de fantasmer disparaissent complètement à aucun moment de la vie. Par la suite, nous reconnaissons les deux formes fantasmatique et réaliste de la pensée consciente. Mais l’inconscient, qui représente justement un stade primitif infantile de notre développement, est fait d’une pensée détachée de la réalité et liée aux désirs refoulés.
Un regard en arrière sur le développement de la psychanalyse que nous venons d’esquisser nous révèle toute la portée acquise par la découverte inaugurale de Breuer. Partant d’un moyen de fortune qui s’était offert à un médecin pour comprendre et traiter un état nerveux pathologique, il récolta une abondance de connaissances psychologiques et biologiques. La psychanalyse ouvrit à la recherche la voie de l’inconscient et créa une nouvelle optique des forces pulsionnelles à l’œuvre dans l’homme, concernant en particulier la sexualité. Elle a reconnu que les processus mentaux pathologiques dépassent peu, quantitativement, les phénomènes qu’on peut également mettre en évidence chez les normaux. Aussi l’analyse a-t-elle acquis la valeur d’une psychologie scientifique ayant ses droit sur l’ensemble de la vie mentale, normale et pathologique.
Parmi les points de vue nouveaux, la psychanalyse permit la compréhension d’un phénomène psychique qui avait de tout temps attiré l’attention sur lui: le rêve. Il ne s’agissait cette fois plus d’expliquer des manifestations pathologiques d’intérêt purement médical, mais d’une production de la vie mentale normale, d’ailleurs tout aussi difficile à saisir. L’interprétation psychanalytique des rêves a été une des sources essentielles de notre connaissance de l’inconscient. on le comprend sans peine. En effet, pendant notre sommeil, notre fonctionnement conscient est largement réduit. Les productions psychiques du sommeil nous instruiront mieux que quoi que ce soit d’autre sur les processus psychiques inconscients. D’autres investigateurs du rêve avaient déjà admis que le rêve offre les sentiments sous une forme figurée mais ils n’avaient pas fait la part des nombreuses énigmes de la psychologie du rêve, ils n’avaient pas reconnu l’inconscient et ses lois, enfin ils n’avaient rien perçu des désirs suscitant le rêve, ni de la fonction du rêve dans l’existence de l’homme.
Freud établit une distinction entre le phénomène exprimable – le contenu " manifeste " - d’un rêve et le matériel refoulé des désirs et autres représentations qui avaient pu indirectement se faire jour sous cette forme. Il les opposa sous le nom de contenu caché, " latent ", du rêve, au contenu manifeste. Le " contenu manifeste " d’un rêve, tel que notre mémoire le regarde au réveil, fait généralement un effet étrange et incompréhensible, déconcertant même; l’interprétation est donc une nécessité. La démarche de l’interprétation est aujourd’hui rigoureusement la même que celle que Freud avait utilisée pour expliquer les symptômes nerveux. On poursuit, à partir de chacun des détails du contenu onirique manifeste, le fil des associations; on exclut les représentations volontaires conscientes, ou les objections. Les représentations inconscientes, ou les objections. Les représentations inconscientes prennent la direction des pensées latentes du rêve. L’interprétation adopte un cheminement inverse de celui du processus psychique qui, par déguisement, avait formé le contenu manifeste à partir des pensées latentes du rêves, c’est- à-dire le " travail du rêve ".
Les rêves des enfants offrent naturellement le tableau le plus simple. Ils figurent comme réalisé un désir nom comblé à l’état de veille, par exemple un désir de friandises qui leur furent refusées. Dans l’enfance, tout désir peut susciter un rêve. L’égocentrisme du rêve éclate ici. Dans les rêves d’adultes, le désir refoulé ou le souhait qui est renforcé par l’action de l’inconscient provoque le rêve. Presque toujours. L’accomplissement du désir est rendu méconnaissable par le déguisement onirique. Nous rencontrons une fois de plus la résistance que nous avons déjà appris à connaître sous le nom de censure.
Le rêve réunit en un tout un matériel issu de sources très diverses. D’abord des désirs actuels, auxquels la vie réelle du rêveur interdit leur satisfactions, on pourrait dire des rééditions, de désirs infantiles. Ce point prend un aspect particulièrement convaincant dans certains rêves, qui sont communs, à d’infimes variations près, à tous les hommes. On y rangera par exemple les " rêves de nudité ". il nous arrive une fois ou l’autre en rêve de nous trouver en société, au restaurant, dans la rue, etc., insuffisamment vêtus. Il est clair qu’une telle situation ne correspond pas à des désirs conscients. L’affect désagréable d’angoisse qui s’y attache, et qui colore habituellement ces rêves nous amène déjà à cette conclusion. Or dans le passé du sujet, il y eut une époque ou la nudité n’entraînait pas de honte, mais uniquement du plaisir: c’est l’époque de la première enfance. Celui qui observe attentivement les enfants ne méconnaîtra pas tout le bonheur que les petits enfants éprouvent dès qu’ils sont débarrassés de la contrainte des vêtements. Ils n’ont pas de plus grand plaisir que de se montrer nus aux personnes qui leur sont les plus chères. L’état paradisiaque de la nudité sans pudeur est une des bienheureuses libertés de l’enfant, dont l’homme adulte garde une nostalgie inconsciente.
Les rêves fréquents de la mort des proches sont comparables. Il n’est pas rare que nous rêvions de la mort d’une personne aimée, à la vie de laquelle nous tenons consciemment de toutes nos fibres. En rêve nous ressentons cet événement avec tous les sentiments de l’angoisse, de la terreur et de la douleur. On tendra donc à voir dans ces rêves l’expression d’une crainte, et nullement d’un désir refoulé. Il n’est que trop humain que la théorie psychanalytique, qui assigne à ces rêves aussi un caractère de désir, ait suscité la plus vive opposition. Gardons toute notre objectivité dans cet examen. Si ces rêves de mort ne correspondaient réellement qu’à une tendre sollicitude. Comment comprendre que le rêveur en garde si souvent un pénible sentiment de culpabilité ? Or ce sentiment peut nous servir d’indication. il y eut dans notre vie une période ou nous faisions sans hésitation mourir en fantasmes quiconque barrait notre chemin. Revenons en arrière. Un enfant de deux à cinq ans, jusque-là unique et qui trouve un rival du fait de la naissance d’un cadet, y réagit par une hostilité nom déguisée. Une fillette de quatre ans voit donner son bain à son frère âgé de quatre jours. " fais-le donc se noyer ", dit-elle à la nurse. Un bout d’homme de trois ans s’estime traité injustement par son père, se fâche violemment et s’écrie: " Il faut couper la tête à papa. " Ce mode primitif de réaction persiste dans l’inconscient, tandis que le conscient, la couche culturelle superficielle de la vie mentale, le nie radicalement. Le refoulement est parfois poussé si loin que nous croyons pouvoir affirmer à bon droit n’avoir jamais nourri de tels mouvements. Les adultes persistent à souligner inlassablement l’ " innocence " de l’enfant. or si nous considérons la vie pulsionnelle de l’enfant aussi objectivement que la psychanalyse le requiert de nous, nous estimerons l’enfant aussi peu " innocent " que " méchant ". il en ressortira bien plutôt que l’enfant, au début de la vie, est un être dominé par ses instincts, et que ses désirs et ses actions ne peuvent encore se prêter à une échelle morale. C’est à cette époque encore amorale de l’enfance que remontent les rêves de mort qui nous occupent.
On sera frappé de ce que les hommes rêvent essentiellement de la mort de leur père, et les femmes de celle de leur mère. Une fois de plus, ce stade primitif du développement nous donne une explication de ces faits bizarres. De quatre à cinq ans, le petit garçon se tourne vers sa mère avec une tendresse marquée, tandis qu’il oppose à son père une hostilité nettement jalouse. Il déclare qu’il veut épouser sa mère, désire que son père s’éloigne, demande quand il mourra. Il témoigne bien plus de tendresse à sa mère, souhaite se trouver seul avec elle, se donne en un spectacle comiquement puéril en se posant en homme devant elle, enfin il se montre à elle, de propos délibéré, dévêtu. Il ne nous est plus permis de mettre en doute que nous ayons devant nous les manifestations de la sexualité infantile. Une fillette du même âge fait une cour assidue à son père, en même temps qu’elle assaille sa mère de questions: " Quand mourras-tu ? Seras-tu encore vivante dans dix ans ? Vivras-tu encore quand je serai grande ? " quand la mère demande à la petite ce qu’elle ferait sans elle, la réponse jaillit : " Alors j’épouserais papa ! " Un jour elle s’exclame : " Papa, il pourrait arriver qu’une fois je te voie nu ! " " Il pourrait arriver " est certainement nue forme atténuée de " je voudrais ". nous comprenons mieux en apprenant que cette fillette venait d’avoir un petit frère, et qu’elle avait constaté avec un vif intérêt la différence des sexes.
L’attitude érotique infantile du garçon envers sa mère et sa position jalouse et hostile à l’égard de son père trouvent leur expression dans la légende grecque d’œdipe, dont le héros tue son père lorsque celui-ci se trouve sur son chemin, et prend ensuite sa mère pour épouse. Ce motif, qui se retrouve dans d’autres légendes, provient du conflit psychique qui, dans l’enfance de tout homme, est d’une portée décisive. Si l’enfant arrive à transformer son érotisme primitif en une tendresse non sexuelle pour sa mère, et que par ailleurs il endigue l’hostilité témoignée à son père, la maîtrise de cette tâche est la meilleure garantie de succès pour les efforts ultérieurs d’adaptation, que la vie exige si impérativement. S’il échoue à conquérir sa position œdipienne, il est menacé de troubles graves et de maladies nerveuses dans la suite de son développement affectif.
Dans les rêves des adultes, les tendances refoulées de ce type cherchent constamment à s’exprimer. un homme m’a raconté le rêve suivant : " Je suis assis à la gauche de ma mère dans une carriole rappelant un dog-cart. A droite, à côté de la voiture, mon père reste silencieux, le visage sévère. Il se détourne et s’éloigne dans la direction opposée à celle de notre parcours. Bientôt il a disparu à nos yeux. Déjà, auparavant, j’avais proposé à ma mère des allées et venues, comme lorsqu’on attend quelqu’un. Elle imprimer un légère secousse aux rênes du cheval, le cheval se met à tirer. A cet instant je lui prends les rênes des mains. Pousse le cheval, et m’éloigne rapidement avec elle. "
Ce rêve ne trouve aucun point d’appui dans la réalité car le rêveur et ses parents n’ont jamais possédé de voiture. Jamais non plus ne s’est déroulée dans la réalité de scène si peu que ce soit comparable. Impossible de découvrir ce qui aurait pu donner au rêveur l’occasion de dépeindre une scène de ce genre. Mais rappelons-nous que le contenu manifeste d’un rêve ne permet pas de distinguer sa tendance réelle, et laissons-nous guider par les idées qui viennent au rêveur. Dans cet exemple, elles conduisirent rapidement à des fantasmes d’éviction du père, qui, datant de l’enfance, avaient été ranimés par des conflits actuels avec ce dernier. Le père se tait et s’en va, ce en quoi nous reconnaissons le mode d’expression allusif et insinuateur du rêve qui ne peut exprimer ouvertement le fantasme de la mort du père. Le fils prend immédiatement après la " disparition " de son père sa place auprès de sa mère, il se saisit des rênes qui sont un symbole de domination. Tout cela nous est maintenant compréhensible. Il se peut qu’ultérieurement nous puissions pénétrer encore plus profondément le sens latent de ce rêve. Mais, dès maintenant, nous distinguons son caractère de désir et son appartenance au thème œdipien.
Comparés à ces sources oniriques –nous voulons dire aux désirs actuels et infantiles –d’autres motifs du rêve restent très à l’arrière-plan. Dans la conception populaire du rêve, à laquelle bien des psychologues se rallient, les sources somatiques d’excitation (réplétion gastrique, vésicale, etc.) possèdent une grande valeur comme instigatrices de rêves. Il ne fait pas de doute que ces sensations corporelles entrent dans le rêves. Il ne fait pas de doute que ces sensations corporelles entrent dans le rêve à titre de matériel récent, sans suffire par elles-mêmes à la susciter. La même " excitation corporelle " provoque ainsi, chez des personnes différentes, ou chez la même personne à des moments différents, des rêves tout à fait distincts. Ce qui doit suffire à nous indiquer que ces stimulations corporelles ont bien un rôle déclenchant dans le rêve, mais que son contenu véritable, latent, est issu d’autres sources.
Le processus déjà mentionné sous le nom de " travail du rêve " sert à déjouer la " censure ". cette dernière empêche les pulsions inconscientes de pénétrer dans le conscient , tant que nous sommes à l’état de veille. Pendant le sommeil, elle leur donne accès sous condition. La censure réclame dans bien des cas une répression ou un retournement des affects appartenant aux pensées du rêve, et surtout un ample déguisement des pensées oniriques. Le travail du rêve prend donc des chemins très divers, que nous ne pouvons tous citer ici. Il fait par exemple fusionner plusieurs représentations, dotées d’une similitude quelque, en une seule qui acquerra des significations multiples. Il revêtira aussi le matériel onirique d’une forme qui le rende figurable, comme dans une scène de théâtre. Ainsi l’abstrait sera remplacé par des images concrètes. Le travail du rêve fait aussi un large usage du mode symbolique de représentation.
Nous connaissons déjà les rapports inextricables de notre inconscient avec la sexualité; nous ne nous étonnerons donc plus des nombreux symboles du rêve la concernant. Les organes et les fonctions de l’instinct sexuel sont notifiés par les symboles les plus divers. Beaucoup de ces symboles nous sont connus d’ailleurs par la vie éveillée; ils appartiennent tout autant au sous-entendu, au folklore et aux représentations de l’art plastique. Si nous tirons parti de ces expériences, nous pénétrons encore plus avant dans la signification du rêve dont nous avons discuté. Tous les mouvements exécutés en commun- à pied, en voiture, etc. – du rêveur avec une personne de l’autre sexe signifient le commerce sexuel. Dès lors seulement, nous repérons dans le rêve l’accomplissement des désirs œdipiens.
Le rêve qui suit nous donnera un autre exemple d’une symbolique simple: une jeune fille fait connaissance en sanatorium d’un jeune médecin, et parle de lui avec enthousiasme. Dans la nuit, elle rêve que ce médecin s’approche de son lit et lui enfonce un poignard dans le corps. L’affect d’angoisse concomitant nous porte à conclure que le rêve contient un désir qui n’est pas agréable. L’inconscient de la rêveuse réclame de l’homme la satisfaction de son instinct. Or, dans les rêves de femmes, l’attaque par surprise compte parmi les faits les plus banals; on ne peut donc mettre en doute non plus, pour ce rêve-ci, le but poursuivi. La rêveuse fait figure d’innocente victime de l’assaut viril. Son rêve est irréprochable. Et pourtant il contient une réalisation de désir, modifiée par l’angoisse.
Nous avons plutôt effleuré qu’épuisé une faible part des problèmes liés au rêve. D’autres questions importantes de la psychologie onirique ont également reçu une solution satisfaisante grâce à la psychanalyse; mais nous n’avons pas à nous en occuper ici. Notre intention n’est pas de rendre justice au problème du rêve sous tous ses rapports, en prenant appui sur l’interprétation du rêve, mais de montrer la position de la psychanalyse à l’égard des phénomènes de la vie psychique normale. Nous sommes désormais plus à même de saisir les rapports de certains processus psychologiques de la vie éveillée avec l’inconscient.
Chez le sujet normal, les effet du refoulement ne se font pas sentir uniquement dans le rêve, mais également pendant la veille. Nous l’avons dit au début de ce travail, certains souvenirs (de noms par exemple) sont momentanément pas indisponibles. Dans ces cas, la psychanalyse montre qu’il s’agit d’un oubli tendancieux.. il a pour fonction d’écarter de notre conscience des représentations désagréables et par là " impropres à la conscience ". qu’un nom de personne, une adresse, un numéro de téléphone, d’ordinaire connu, nous échappe, il s’agit toujours d’un refoulement. Rappelons-le les troubles mnésiques des nerveux, selon la découverte de Breuer se rapportent aux circonstances de la formation des symptômes. L’oubli des rêves au réveil obéit aux mêmes lois. Souvent nous pouvons percevoir immédiatement comment, à l’instant du réveil, le souvenir du rêve se volatilise.
D’autres phénomènes seront groupés sous le nom d’ "actes manqués ". Nos erreurs de langages, de lecture, d’écriture, nos confusions d’objets, nos méprises, et de même nos erreurs ne résultent qu’apparemment du hasard. En réalité, ces processus même minimes obéissent à des lois rigoureuses. Des motifs inconscients de nature opposée interviennent dans la réalisation d’un dessein conscient. L’acte manqué donne l’impression d’une maladresse. Or si nous analysons des exemples de ce type, nous serons surpris de l’habileté et de la pertinence avec lesquelles les tendances inconscientes s’assurent une expression.
Une femme est malheureuse en ménage; par égard pour ses enfants, ses parents, etc., elle ne se sépare pas de son mari mais le désir refoulé se trahit en ce qu’elle signe ses lettres de son nom de jeune fille, désavouant par conséquent le nom acquis par mariage.
Une autre jeune femme reçoit une lettre de ses beaux-parents, qui se plaignent de la rareté de ses missives. Voici sa réponse: " Excusez-moi de vous écrire si rarement ces prochains temps. " Elle voulait dire: ces derniers temps. Sa répugnance à écrire à des gens qui ne lui sont pas sympathiques se fait jour. L’épistolière annonce qu’elle continuera à peu écrire à l’avenir!
Ajoutons quelques exemples de lapsus. Un professeur dit, dans sa leçon inaugurale : " je ne suis pas porté à énoncer les mérites de mon prédécesseur. " Il voulait dire: " apte ". au Reichstag, pendant les débats de novembre 1908, un député de droite, au sujet de certains propos de l’Empereur, expliqua solennellement: " il nous faut dire notre opinion à l’Empereur, sans plier l’échine. " Une bruyante hilarité interrompit l’orateur, qui corrigea son lapsus par " sans réserve ". Trop tard cependant, car l’intention cachée s’était déjà traîtreusement fait jour.
Les erreurs dans le choix d’une ligne de tramway, la montée dans une mauvaise direction(ce qui ramène au point de départ !), la perte et le bris d’objets, les blessure qu’on se fait, de nombreux accidents, et bien d’autres événements, majeurs ou mineurs, de la vie quotidienne, trouvent leur place dans cette catégorie. Il suffit que nous tenions compte de la règle psychanalytique fondamentale, c’est-à-dire que, partant de l’événement, nous fassions associer librement, sans nous laisser égarer par les résistances qui surgissent.
Il en va de même des actions dues au hasard, que l’on revêt volontiers dans la vie quotidienne du manteau de leur apparente insignifiance. Lors d’une consultation médicale, un époux, formulant ses griefs, retire son alliance de sa main droite et la laisse tomber et rouler à travers la pièce. Il se révèle bientôt que son état nerveux est lié à des problèmes conjugaux intimes, mais qu’il n’arrive pas à la décision de divorcer.
On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ce genre, mais nous nous limiterons aux précédents. Ajoutons que des cas comme le dernier que nous avons cité (celui de l’anneau) sont souvent interprétés, par le public, comme une prémonition. La psychanalyse en donne, par sa référence aux fonctions psychiques inconscientes, une explication mieux fondée, de même elle ramène beaucoup de phénomènes de superstition à des sources inconscientes.
Pour le non-initié, il peut sembler étrange que Freud, après qu’il eut réussi à élucider le problème des actes manqués et du rêve, se soit intéressé à la psychologie du mot d’esprit. nous ne donnerons pas ici l’ensemble de la théorie psychanalytique le concernant. Nous nous bornerons à quelques aperçus sur les rapport du mot d’esprit et du rêve avec l’inconscient. c’est ce rapport qui attire l’attention du créateur de l’analyse.
Le mot d’esprit, en s’écartant des lois rigoureuses de la logique, rétablit une liberté accordée à la petite enfance. Le processus de refoulement, qui s’installe vers l’âge de quatre ans, est momentanément supprimé. L’économie d’énergie psychique ainsi réalisé procure du plaisir : là aussi, dégagés des conventions, nous sommes fugacement ramenés à la liberté de l’enfance.
La psychogenèse du mot d’esprit renvoie au jeu de l’enfant avec les mots, donc à l’étape de son développement intellectuel ou il ne tient pas encore compte de la réalité. L’enfant plus âgé a parfois besoin de faire fi de la raison. Sa joie à plaisanter engendre le goût de dire des absurdités : c’est la seconde étape préliminaire du mot d’esprit. Un troisième degré est celui de la plaisanterie innocente. Qui exclut la critique, en exprimant une pensée plus précise et plus valable. Enfin, le mot d’esprit délibéré, qui donne issue, entre autre, à des mouvements agressifs ou sexuels, vient à l’aide de tendance plus marquées en lutte contre le refoulement.
Le mot d’esprit a en commun avec le rêve de notables moyens techniques de représentation, par exemple la condensation de divers éléments psychiques en un tout, et la représentation par le contraire. De plus, le matériel du mot d’esprit comme celui du rêve surgit de l’inconscient. le mot d’esprit est un " Einfall " et nom le produit d’une élaboration psychique consciente. Il est aussi en butte à l’opposition de la force inhibitrice que nous avons appris à connaître sous le nom de censure. Mais – et c’est ce qui le distingue du rêve – le mot d’esprit est un processus social. Celui qui l’énonce a besoin d’un partenaire, qui reçoit son mot, à qui il puisse le communiquer chez autrui, les refoulements sont brusquement levés, d’ou le rire. Et tandis que le rêve sert à éviter le déplaisir, le mot d’esprit apporte un plaisir en tant que tel.
Examinons le chemin parcouru par la psychanalyse. Elle a démontré l’existence, non seulement en pathologie mentale mais aussi dans des manifestations importantes de la vie mentale normale, de la lutte entre forces refoulantes et pulsions refoulées. A côté du riche matériel, coloré par les dispositions innées et le destin de l’individu, la psychanalyse met au jour ce qu’il y a de typique et de généralement humain dans l’inconscient. des constatations de ce genre devraient nécessairement se trouver justifiées dans d’autres domaines psychologiques encore. Le bref aperçu qui suit est destiné à montrer à grands traits, sans prétendre être complet, toute la diversité des disciplines qui trouvent un intérêt scientifique ou pratique aux résultats de la psychanalyse.
Les adultes comprennent habituellement mal la vie instinctuelle de l’enfant, leurs propres refoulements pulsionnels les ayant trop éloignés des comportements infantiles. La psychanalyse nous a apporté des éclaircissements essentiel sur les désirs et les représentations de l’enfant, mais surtout sur sa sexualité. Or dans de larges cercles, des opinions erronées persistent en ce qui concerne la vie de l’enfant. on saisit aussitôt tout le parti que pédagogie peut tirer de notre science. Ses données peuvent, entre autres, indiquer aux pédagogues que de nombreuses expressions de la vie pulsionnelle infantile sont très vraisemblablement éliminées par des mesures de répression. Ce refoulement serré prépare le terrain aux maladies nerveuses de l’enfant. une éducation d’orientation psychanalytique évitera ces fautes, elle cherchera à supprimer les inhibitions pathologiques qui s’opposent à une sublimation instinctuelle; elle surveillera notamment de près les fantasmes sexuels de l’enfant. une éducation ainsi comprise peut avoir une grande valeur pour l’avenir, en évitant les maladies nerveuses.
Il n’est pas donné à tout individu de trouver sans peine, en grandissant, la voie qui, partant de l’enfance et de ses rêves d’accomplissement, va jusqu’à une pensée adaptée à la réalité. Entre le sujet sain, qui a victorieusement parcouru ce trajet, et le névrosé, qui a trébuché, à un degré variable, on trouve un type intermédiaire: l’artiste: dans son œuvre, l’accomplissement du désir a un sens comparable à celui des rêves. Sans pouvoir résoudre tous les problèmes de l’art et de l’artiste, la psychanalyse jette un regard neuf sur les mouvements inconscients qui président à la création artistique, et sur l’effet de l’œuvre d’art sur le spectateur. L’œuvre offre à l’artiste une libération, semblable à la " catharsis ", à laquelle il convie les autres car leur vie mentale est régie par les mêmes désirs refoulés. Il est d’un intérêt particulier de considérer certains résultats de la psychanalyse, concernant le rapport entre les impression d’enfance de l’artiste et sa création, fût-ce en passant. Sur ces questions on lira avec profit les travaux sur la psychologie de l’art que Freud et ses élèves ont publiés en abondance; ils se rapportent autant aux créateurs en poésie et en arts plastiques qu’à leurs œuvres.
Toutefois, la psychanalyse ne s’est pas bornée à l’étude de la vie imaginaire individuelle chez l’enfant et l’adulte, chez l’être sain ou malade; elle a aussi poussé des incursions fécondes dans le domaine des fantasmes collectifs. En discutant des rêves " typiques ", nous avons reconnu leur analogie frappante avec le contenu de divers mythes, analogie très poussée, et qui concerne aussi bien le contenu que la forme. Le mythe possède lui aussi – à côté de son contenu manifeste – un contenu latent dissimulé derrière de nombreux symboles et fondu dans des condensations caractéristiques. Toute une série de thèmes des mythes se retrouve dans les rêves. Les motifs de l’inceste, de la nudité, d’autres encore, sont communs à ces deux formations. On peut donc considérer le mythe comme un rêve collectif: de même que le rêve de l’individu nous ramène aux temps oubliés de son enfance, le contenu du mythe est issu de préhistoire d’un peuple. L’investigation psychanalytique des mythes et des contes a abouti à des conclusions d’une grande richesse sur l’activité créatrice inconsciente de l’âme populaire. Il est particulièrement remarquable que la psychanalyse nous enrichit quant aux motifs de la formation du mythes. Le besoin d’expliquer les phénomènes naturels énigmatiques, et tout ce qu’on pourrait y ajouter encore, ne suffit pas à promouvoir ce processus de la psychologie des peuples. Nous y verrons bien plutôt à l’œuvre les mêmes aspirations pulsionnelles que celles que nous avons rencontrées dans le rêve. De tels travaux ont découvert d’étonnantes analogie entre l’enfance de l’individu et la jeunesse des peuples et ces points de vue nouveaux prirent aussitôt une grande signification pour la compréhension de beaucoup d’autres productions de l’esprit: religion, morale, droit, philosophie, coutumes, usages, etc. toutes ces institutions sont fondées sur le besoin d’une transformation des mouvements pulsionnels dont la satisfaction doit rester interdite. Elles sont donc l’équivalent des sublimations de l’individu.
Ici encore, la comparaison des représentations humaines primitives et de celles de l’enfant s’est révélée extrêmement féconde. La psychanalyse nous montre comment chez l’enfant les représentations sont à l’origine alimentées par la puissance essentielle de ses propres désirs. Beaucoup de représentations animistes et magiques des peuples primitifs ressemblent de près à ces conceptions infantiles. Les organisations sociales les plus primitives qui nous soient connues reposent entièrement sur la peur de l’inceste. la psychanalyse nous a appris la signification des vœux incestueux, l’un des conflits infantiles les plus précoces. Mais un grand intérêt revient à certains parallélismes entre les formes primitives de la religion et la vie psychique de l’enfant – une découverte qui compte parmi les plus hauts mérites de Freud.
Chez un grand nombre de peuples primitifs, il existe un système social et religieux que l’on connaît en ethnologie sous le nom de totémisme. Le " totem " est en général un animal, plus rarement une plante ou un objet inanimé. Bornons-nous ici à sa forme la plus fréquente. Tout animal de ladite espèce jouit auprès du clan dont il est le totem de conditions particulières. On n’a pas le droit de s’emparer de lui, de le tuer ni de le chasser. Ce n’est que dans des occasions particulièrement solennelles que le totem est tué et mangé par l’ensemble des membres du clan, acte associé à des cérémonies spéciales (totem-mariage). Tout membre du clan se situe dans une relation particulière au totem. Il se considère comme le descendant du totem, l’épargne en général, mais escompte aussi sa bienveillance.
A ce système, que nous tenons pour un stade préliminaire des religions proprement dites, se rattachent d’autres institutions, qui sont également très difficiles à saisir pour l’homme civilisé. Un homme qui appartient au totem du " Kangourou " n’a pas droit à une femme également " Kangourou ". En d’autres termes: il ne lui est pas seulement interdit de s’allier à une parente par le sang, mais l’interdiction s’étend à tous les membres du clan, comme si la défense de l’inceste devait être assurée par d’amples mesures (loi de l’ "exogamie "). Les institutions des peuples primitifs donnent véritablement l’impression qu’il n’existe pas pour eux de but plus important que l’évitement de l’inceste.
Pour les ethnologues, tous les phénomènes que nous venons de décrire sont restés incompréhensibles. Ils ne sont pas parvenus à déchiffrer le sens du totémisme et des cérémonies qui s’y rattachent, ni non plus la signification de l’exogamie. ils n’aboutissaient qu’à des contradictions dans leurs tentatives d’approfondissement de ces problèmes délicats. Rien ne permettait l’explication des questions étroitement intriquées du totémisme et de la peur de l’inceste (exogamie), sinon des points de vue concordants.
La psychanalyse a abordé ces problèmes avec des instruments forgés ailleurs. Elle avait déjà distingué la grande importance, dans la vie de tout enfant, de la solution du problème de l'inceste. de plus, elle s’était familiarisée avec une peur excessive de l’inceste constatée dans la psychologie des êtres dont elle s’était le plus intensément préoccupée: les névrosés. Freud avait découvert dans l’enfance d’autres points de concordance avec la vie mentale des peuples primitifs. Il se peut que tous les enfants, en tout cas un très grand nombre d’entre eux, établissent dans les premières années de la vie une relation affective particulière avec une espèce animale donnée. Cette relation frappe par sa double face (" ambivalence "). D’une part, l’enfant manifeste à l’égard de cet animal un intérêt tendre et affectueux ; de l’autre, le même animal suscite sa haine et sa crainte. Le plus souvent, chez les enfants soumis à nos conditions de vie, ce sont les animaux domestiques de grande taille qui jouent ce rôle- en ville essentiellement les cheveux et les chiens, plus rarement les chats, les poules, ou d’autres animaux. Il n’est pas rare qu’un enfant de cinq à sept ans se sente, en fantasme, tout à fait semblable à son animal préféré. Les enfants de tempérament nerveux y ont une propension particulièrement marquée. Un petit garçon, par exemple, ne pouvait être écarté de la basse-cour, ne s’intéressait à rien d’autre qu’aux poules, ne voulait rien savoir que des chants et des poésies mettant en scène coqs et poules, imitait les attitudes et les mouvements de ses favoris, et abandonna même temporairement le langage parlé en faveur du cri du coq et du caquetage. Dans ce cas-là l’amour pour les volailles occupait le premier plan. Dans d’autres, l’angoisse prédomine largement. Les enfants normaux font aussi des cauchemars ou ils subissent une attaque provenant toujours des mêmes animaux, en général d’un chien. Or il est très remarquable qu’un garçon assailli par un chien en rêve se trouve très souvent en compagnie de sa mère. Il n’est pas rare que l’enfant parle au chien dans ses rêves, lui demande pardon, lui promette de s’améliorer, etc. Ces détails à eux seuls nous font déjà soupçonner que l’animal objet d’angoisse ou d’amour a revêtu la signification des parents. Les faits très divers qui appuient cette conception ne peuvent être exposés ici. Nous nous contenterons de dire qu’un tel animal joue dans la vie mentale de l’enfant le même rôle que le totem dans la vie mentale des primitifs!
En psychologie infantile, nous pourrons faire dériver du totémisme individuel l’évolution ultérieure des relations du sujet à ses parents, plus spécialement la genèse de ses sentiments et concepts religieux. A l’attitude ambivalente du garçon à l’égard du totem (père animal) fait suite la victoire des mouvements affectueux sur les tendances hostiles. L’aspiration infantile précoce à évincer le père est résolue par une tendance opposée. La puissance du père eut magnifiée, admirée et tenue pour illimitée. Si l’éducation imprime en l’enfant les premières notions de religion, celles-ci utilisent des voies préformées. L’enfant- et l’homme en général- ne peut se forger une idée de Dieu autrement que sous les traits de son père ; toutes les religions recourent à cette comparaison.
Nous n’avons donné ici qu’un bref survol des résultats si riches de la recherche psychanalytique dans le domaine de la psychologie des religions. Indiquons que la même recherche est parvenue à expliquer d’autres phénomènes jusqu’ici obscurs, comme par exemple le " tabou " des peuples primitifs. La psychologie de l’enfant et du névrosé présente des données parfaitement analogues ; notre science, une fois ce fait compris, put également lever le voile qui s’étendait sur les phénomènes correspondants de la psychologie des peuples.
Nous avons envisagé de vastes domaines de la recherche moderne. L’abondance de nouveautés qui s’y est offerte nous a forcés à nous borner à quelques points et à approfondir nos connaissances sur les résultats dus à la psychanalyse. mAis même un coup d’œil aussi rapide nous permet de reconnaître quels bouleversements la doctrine analytique provoque dans tous les domaines de la vie mentale. Elle a commencé par fonder la stricte légitimité, la prédominance de la causalité, dans le domaine psychique. Elle transpose la loi de la conservation de l’énergie même dans la vie mentale, et nous enseigne à distinguer sous mille métamorphoses les mouvements humains primitifs. Les connaissances modernes montrent le développement organique de l’individu récapitulant sous une forme abrégée celui de l’espèce. cette loi biogénétique fondamentale, ainsi nommée par Haeckel, peut, grâce à la psychanalyse, être transposée dans le domaine mental. Que l’on compare la doctrine freudienne de l’inconscient conçu comme le " psychisme proprement dit ", celle du refoulement, des rapports de notre vie mentale avec la sexualité infantile, ou sa théorie du rêve, avec les travaux d’autres écoles de psychologie. La différence saute aux yeux. Nous voici enfin en possession d’une psychologie qui se tient à égale distance des stériles spéculations et des expérimentations de laboratoire étrangères à la vie. La doctrine freudienne est née, comme seule peut l’être une science naturelle inductive, de l’observation de l’homme vivant. Exempte de tout préjugé, elle s’est adressée impartialement à ces phénomènes de la vie mentale qui représentaient auparavant le " continent obscur " de la psychologie. Et libre de toute fausse honte et de toute pruderie, elle a également examiné ces aspects de notre être que la science conformiste tend à éviter comme trop humains.
L’auteur craint fort que maint lecteur de tant d’innovations ici développées se sente plus désorienté qu’éclairé. Car la psychanalyse exige de quiconque révérait jusqu’ici les spéculations psychologiques traditionnelles une " révolution de la pensée " considérable. Et même celui tend intellectuellement à ce bouleversement se révolte effectivement contre ces nouvelles vues. On ne saurait douter que l’orgueil humain ait reçu, de par la doctrine de Freud, un des chocs les plus sévères de ceux que la science actuelle lui a assenés plus d’une fois. L’optique copernicienne contraignit l’homme à reconnaître que la terre n’était pas le centre du monde, mais une particule du cosmos tournant autour du soleil. Mais l’homme conservait encore sa position privilégiée dans la nature. Alors vint Darwin, qui l’engagea à se considérer comme un chaînon de la série animale, portant en lui tous les signes de son passé phylogénétique. Cependant, il restait à l’homme civilisé sa position favorisée par rapport aux peuples primitifs, qu’il nommait des " hommes naturels ". Alors Freud le délogea de cette position également : n’enseigna-t-il pas que l’homme est anormal dans son enfance, qu’il parcourt de nombreux stades de développement, par quoi il ressemble radicalement aux plus primitifs parmi les " sauvages " ? ces doctrines ont soulevé de tout temps non seulement les critiques des spécialistes, mais encore une opposition affective et passionnelle. La lutte contre Darwin est encore présente à toutes les mémoires ; la lutte autour de Freud lui ressemble étrangement. On serait presque tenté de dire " à juste titre ", car Freud est le protagoniste de l’idée de l’évolution dans le domaine psychologique, comme Darwin l’est en matière de biologie.
Mais les voix se multiplient qui abordent la psychanalyse sans passion. Notre époque est une période de grands bouleversements.
Les remaniements sociaux sont considérables. La technique se trouve en plein essor. La conception de l’art se modifie radicalement. Les doctrines d’Einstein nous imposent un travail particulièrement lourd de remaniement de la pensée concernant notre conception de la nature. C’est précisément de cette génération que nous escomptons qu’elle reconnaisse les découvertes de la psychanalyse, même s’il lui faut encore vaincre de nombreuses résistances de la part de la science académique.
Karl Abraham
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