samedi 1 janvier 2011

Devons-nous permettre aux patients d’inscrire leurs rêves ?

Dans son texte "Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse ", Freud a pris position sur l’intérêt éventuel de laisser les patients inscrire leurs rêves à leur réveil. Il conclut qu’une telle mesure est superflue. "Si l’on a ainsi sauvé péniblement le texte d’un rêve qui eût été dévoré par l’oubli, on peut se convaincre facilement que le malade n’en est pas pour autant plus avancé. Les associations ne se font pas sur ce texte, et l’effet est identique à ce qui se serait passé sans la saisie du rêve."
Ma propre expérience me conduit à la même conception. Cette question me semble d’un grand intérêt pour le psychanalyste qui utilise quotidiennement l’interprétation des rêves, et me conduit à présenter quelques situations pratiques. Elles survinrent précisément avec les patients auxquels j’avais signalé l’inutilité de l’inscription immédiate des rêves.
Observation I. Le patient fait un rêve prolongé riche en épisodes émouvants; éveillé, mais encore ivre de sommeil, il saisit de quoi écrire, matériel posé prés de son lit, contrairement à mon indication. Le lendemain, il apporte deux feuilles in – 4° remplies de notes. Mais il se révèle presque immédiatement que son écrit est complètement illisible. La tendance à préserver le rêve de l’oubli s’est heurtée à la tendance opposée ( refoulement ). Il y a eu formation d’un compromis: le rêve est couché sur le papier, mais l’écriture est illisible et ne trahit rien.
Observation II. Le patient qui en réponse à sa question a reçu l’avis que l’inscription des rêves au cours d’une des nuits suivantes. A son réveil – au milieu de la nuit – il tente de façon ingénieuse d’arracher à l’oubli les rêves qui lui paraissent très importants. Il dispose d’un appareil enregistreur et il dicte les rêves dans l’appareil. il est remarquable qu’il ne se soucie pas de son fonctionnement, défectueux depuis quelques jours. Le résultat est imprécis. Le patient doit compléter de mémoire. Le texte dicté nécessitait donc d’être complété par les souvenirs du rêveur! L’analyse du rêve se poursuivit sans résistance particulière, ce qui permet de penser que le rêve aurait été conservé tout pareillement sans ce recours.
Mais le patient ne se laissa pas convaincre par cette expérience, il renouvela l’essai. l’appareil, entre-temps réparé, rendit au matin une dictée bien audible. Mais, du point de vue de son contenu, elle était, de l’avis même du patient, tellement décousue que c’est à grand-peine qu’il y mit quelque ordre. Les nuits suivantes apportèrent un matériel très abondant sans aide artificielle; ainsi, la fixation immédiate du contenu des rêves montre son inutilité.
La troisième observation montre de façon évidente qu’on s’oppose vainement de cette manière à une tendance marquée au refoulement.
Pendant plusieurs semaines, la patiente se plaint de son incapacité à garder un certain rêve dans son souvenir. Elle ferait chaque nuit le même rêve depuis quelque temps. Elle se réveillerait alors en sursaut, déciderait de me le raconter, mais l’oublierait à chaque fois. Un jour, elle déclara préparer de quoi écrire pour fixer le rêve dès son réveil. Je le lui déconseillai, lui faisant remarquer qu’une tendance qui se manifestait chaque nuit finirait bien arriver à la conscience sans aide; que pour l’instant, la résistance était trop grande. Elle acquiesça et renonça à son projet. Mais au coucher, le désir de se saisir du rêve réapparut. La patiente prépara crayon et papier.
Et vraiment elle se réveille, effrayée, à l’issue du même rêve, allume et écrit. Elle se rendort avec le lendemain, elle dort longtemps et arrive en retard au traitement (résistance). Elle me tend une feuille et remarque que dans sa hâte du matin elle ne l’a pas regardée de prés.
L’écriture imprécise rend difficile la lecture des quelques mots inscrits ( à comparer à la première observation). Les voici: " Ecrire le rêve contre la convention établie." la résistance l’a emporté. La patiente n’a pas inscrit le rêve, mais seulement le projet de le noter. Puis elle s’est endormie satisfaite!
Une semaine à peu prés après cette tentative échouée, elle put me raconter le rêve réapparu à plusieurs reprises. Son contenu était marqué par un transfert très vivant. La patient rêvait que je m’approchais d’elle et se réveillait en sursaut. Lorsque d’autres manifestations du transfert eurent permis une analyse approfondie, la raison de garder la rêve secret céda d’elle-même.
Je voudrais noter brièvement les motifs qui poussent le patient à accorder du prix à une inscription immédiate de ses rêves. Dans de nombreux cas, il s’agit d’une manifestation de transfert. Le patient qui apporte un rêve écrit à la séance, veut (inconsciemment) montrer au médecin que ce rêve le regarde (le médecin). Dans certains cas, un rêve écrit et donné prend absolument l’allure d’un cadeau au médecin, comme si le patient voulait dire: " Je t’apporte ce que j’ai de plus précieux."
Visiblement, l’orgueil névrotique y est pour beaucoup. Certains patients très narcissiques sont amoureux de la beauté de leurs rêves. Ils les préservent de l’oubli, car ils les considèrent comme de véritables bijoux.
De même que le névrosé auto-érotique économise les produits de son corps, de même qu’il préserve anxieusement de toute perte ce qu’il possède, de même il veille à ce que rien de ses productions psychiques ne s’égare. 
Karl Abraham

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