mardi 28 décembre 2010

Le sommeil, le rêve et l'enfant

Le sommeil, le rêve et l'enfant
Challamel M.J., Thirion M.

Comment étudie-t-on le sommeil ?

Savez-vous pourquoi et comment vous dormez ? Savez-vous combien de temps chaque nuit vous dormez profondément, vous rêvez, à quel moments et pourquoi vous vous agitez, à quel rythme se produisent vos alternances de sommeil lent et de sommeil paradoxal, pourquoi au moment de vous endormir, vous avez froid, et vous vous réveillez en ayant chaud, pourquoi le "coup de pompe" de onze heures du matin, ou l'envie de sieste de début d'après-midi ? Seriez-vous capables de dire de combien d'heures de sommeil vous avez besoin pour être en forme, et à combien de cycles nocturnes, et surtout à des cycles de quelle durée cela correspond ? Quelle est votre heure "naturelle", physiologique, d'endormissement et quels en sont les signes d'approche ?
La manière de dormir, la durée totale nécessaire de sommeil, la durée de chaque cycle sont spécifiques à chaque individu, cérébralement programmées, sans doute génétiquement organisées, elles évoluent tout au long de notre vie, de la période foetale à la vieillesse. Or à des questions aussi simples concernant l'un des équilibres les plus précieux de notre vie, personne ou presque ne sait répondre.
Il est frappant de découvrir que l'information sur le sommeil dans notre société est nulle. Ouvrez un livre de biologie des lycéens de terminale scientifique. Les programmes scolaires rendent nos adolescents incollables sur la digestion, la circulation sanguine, les mécanismes de la reproduction et la transmission des caractères héréditaires, le fonctionnement du système nerveux ou les échanges cellulaires, les moyens de défense contre les infections et les mécanismes des réactions immunitaires, voire la théorie de l'évolution et les différents types de microscopes ! Par contre rien, pas un mot, pas une ligne sur le sommeil. Comme si cette fonction était secondaire, sans intérêt. On devient bachelier, à l'heure actuelle en France, en ignorant totalement ce qui se passe dans notre organisme pendant plus d'un tiers du temps de notre vie... Curieuse carence de l'Education nationale dont personne ne se plaint!
Personne ne se plaint, en fait, parce que personne ne connaît. Les médecins et pédiatres ignorent encore presque tout du sommeil de l'enfant normal, sur lequel les recherches fondamentales démarrent à peine. Rendez vous compte: d' Aristote à Piéron en 1913, seules quelques descriptions d'individus endormis avaient été possibles. Il a fallu attendre 1924, la découverte de l'électroencéphalographie par Hans Berger - EEG qui enregistre les faibles courants électriques émis par notre cerveau au cours de ses différentes activités, pour s'apercevoir qu'il existe une corrélation entre nos differents états de vigilance et certaines modifications de notre activité électrique cérébrale. Loomis aux États-Unis réalise en 1937 le premier enregistrement EEG nocturne de sommeil, mais c'est seulement vingt ans plus tard que débuteront les véritables études scientifiques des différents états de vigilance chez l'homme. En 1953, Aserinski et Kleitman découvrent le sommeil de rêve et sa traduction électrique; puis les travaux se succèdent: Dement en 1958 aux États-Unis sur le sommeil de l'adulte et Jouvet à Lyon en 1959 chez l'animal. Depuis cette époque, des dizaines de centres spécialisés pour l'étude du sommeil se sont ouverts, d'abord aux États-Unis, puis en Europe. Des milliers de tracés électroencéphalographiques ont été enregistrés, en très grande partie chez l'adulte jeune. Ces études ont permis de découvrir que notre sommeil est un état très complexe. Il ne s'agit pas du tout d'une mise en veilleuse de notre activité mentale et physique. Il s'agit d'un réel "état second", aussi varié et complexe à décrire que l'état de veille et où toutes nos fonctions biologiques sont modifiées. Bien sûr, l'activité électrique du cerveau est différente, spécifique des différentes phases du sommeil. Nous les décrirons longuement. Mais, et c'est là le point essentiel à réaliser, le sommeil est une période tout à fait particulière, où toutes nos autres caractéristiques biologiques vont se modifier rythmiquement: la température, le rythme cardiaque et le rythme respiratoire, la pression artérielle, le tonus musculaire, les sécrétions hormonales ont une histoire, une périodicité nocturne, que l'on peut enregistrer, mesurer, doser.
Figure 1 : Caractéristiques du sommeil enregistré sur les tracés polygraphiques.
Pour ce faire, les études du sommeil sont donc maintenant polygraphiques, c'est-à-dire que l'on enregistre simultanément l'activité électrique du cerveau (EEG), les mouvements des yeux (électro-oculogramme), le tonus musculaire (électromyogramme) au niveau des muscles du menton, l'activité cardiaque (électrocardiogramme), et la respiration.
Tous ces éléments sont recueillis par des électrodes collées sur le cuir chevelu, de chaque côté des yeux, sur le menton et sur le thorax. Elles sont reliées par de longs fils à un appareil d'enregistrement sur lequel se déroulera à vitesse lente le tracé de sommeil. De plus, le sujet endormi est en permanence filmé par une caméra spéciale, même lorsque la chambre est éteinte, et tous les bruits sont captés par un système de micros. Le tracé est annoté de façon permanente, tout au long de l'enregistrement, par une personne de l'équipe medicale.
Ces enregistrements sont peu gênants lorsqu'ils se limitent à ces paramètres. Mais l'étude de certaines pathologies du sommeil peut nécessiter des prélèvements plus traumatisants:
  • l'étude de convulsions au cours du sommeil nécessite beaucoup plus d'électrodes au niveau du cuir chevelu pour enregistrer plus de dérivations de l'EEG et une vidéo continue.
  • l'étude de pauses respiratoires au cours du sommeil nécessite l'enregistrement de la respiration au niveau de l'abdomen, du thorax, du nez, de la bouche, et les différents tracés recueillis permettent de faire la différence entre les pauses respiratoires d'origine centrale, dues à un arrêt de la commande nerveuse située dans le cerveau, et celles dues à une obstruction mécanique au niveau des voies aériennes supérieures, par de grosses amygdales par exemple.
  • dans certaines pauses respiratoires il est nécessaire également de doser les gaz du sang (oxygène, gaz carbonique, pH...) en placant avant l'endormissement un cathéter artériel ou veineux, ce qui permettra des prélèvements répétés au cours de la nuit sans réveiller le sujet.
  • de même, l'étude de certaines sécrétions hormonales comme, par exemple, celle de l'hormone de croissance dans le bilan des retards de taille, nécessite des recueils sanguins toutes les 20 minutes pour établir une courbe de sécrétion. Celle-ci permettra de déterminer, parmi tous les enfants petits, ceux qui peuvent être traités avec succès par l'hormone de croissance.
Figure 2 : Pause respiratoire centrale - pause respiratoire obstructive
Tous ces enregistrements vont ensuite être lus par fragments de 30 secondes, période du tracé sur laquelle sera mis un code correspondant à un état de vigilance et à des événements particuliers. Actuellement, des programmes sur ordinateur permettent, à partir de ces codes, d'obtenir très rapidement les caractéristiques de la nuit de sommeil et le dessin de l'hypnogramme, c'est-à-dire le déroulement temporel de la nuit de sommeil, avec les différents niveaux de vigilance en fonction du temps.
Figure 3 : Déroulement temporel d'une nuit de sommeil (hypnogramme)
Les enregistrements polygraphiques de sommeil sont normalement réalisés dans des services spécialisés: en chambre-laboratoire d'un centre hospitalier. Le sujet étudié devra donc dormir à l'hôpital au moins une nuit, et souvent plusieurs, pour lui permettre de s'adapter à l'environnement nouveau, aux électrodes (on parle de nuits d'"habituation"), puis obtenir des enregistrements valables.
Les protocoles d'étude du sommeil d'un sujet normal portent généralement sur l'analyse de 3 à 5 nuits d'enregistrement, mais, par exemple, l'étude chez l'adulte des effets d'un nouvel hypnotique peut comporter jusqu'à 45 nuits d'enregistrement chez un seul sujet!
Les progrès actuels de l'informatique permettent depuis peu de réaliser des enregistrements polygraphiques dans une chambre banale d'hôpital et même à domicile, grâce à des enregistreurs miniaturisés de la taille d'un walkman, attachés à une ceinture, et qui permettent d'obtenir, sur cassette, 24 heures consécutives de tracés. Un système de lecture et de visualisation permet une lecture en temps différé et même une lecture rapide (24 minutes de lecture pour 24 heures d'enregistrement, par exemple). Une horloge permet une recherche rapide et une lecture en temps réel des événements intéressants.
Déjà, les progrès informatiques laissent présager une analyse automatique des tracés polygraphiques. Ces analyses existent pour le rythme respiratoire et le rythme cardiaque, les enregistrements de sommeils normaux d'adultes; elles ne sont pas encore tout à fait au point pour l'étude du sommeil de l'enfant.
Ces enregistrements polygraphiques de sommeil ont permis de connaître parfaitement notre sommeil d'adulte normal, puis progressivement d'adulte malade: malade de trop ou de ne pas assez dormir, souffrant de pauses respiratoires (apnées) au cours du sommeil, ou de maladies neurologiques dont les symptômes sont masqués le jour et n'apparaissent qu'au cours du sommeil.
Depuis 1968, toutes ces études diniques et EEG de sommeil ont abouti à une classification et une codification internationales des états de vigilance en fonction des différents stades des tracés électriques d'encéphalogrammes.

Les cinq stades du sommeil d'une nuit normale

Figure 4 : différents aspects électroencéphalographiques
Chez l'enfant, les études polygraphiques du sommeil sont beaucoup plus récentes, beaucoup moins nombreuses. La lourdeur du protocole que nous venons de décrire explique à elle seule qu'en dehors des enfants hospitalisés ou malades, peu de jeunes enfants aient pu être enregistrés. Quels parents ont envie de confier leur bambin en pleine forme pour des nuits et des nuits d'enregistrement?...
Les premiers enregistrements électroencéphalographiques du sommeil de l'enfant datent de 1966, faits par Nicole Monod et Colette Dreyfus-Brisac à l'hôpital de Port-Royal à Paris, mais ne concernent que des nouveau nés prématurés ou des nouveau-nés à terme hospitalisés, donc dans les deux cas des enfants malades. L'étude du tracé électrique avait pour but de tenter d'évaluer le devenir neurologique après des souffrances néonatales plus ou moins sévères.
En 1972, Anders réalise les premiers enregistrements polygraphiques de sommeil (EEG,ECG, rythme respiratoire) de nouveau-nés à terme.
En 1975 commencent simultanément dans quatre laboratoires au monde les enregistrements polygraphiques du nourrisson dans l'étude des causes de la mort subite inexpliquée. Quatre laboratoires, c'est-à-dire à Lyon et Rouen en France et, aux Etats-Unis, à Standford et Los Angeles. La mort subite inexpliquée du nourrisson, les dramatiques problèmes qu'elle pose restent la raison numéro un d'enregistrements polygraphiques de sommeil du tout petit enfant au cours de la première année.
Il faut attendre 1980 pour qu'apparaisse l'idée de regarder dormir des enfants en bonne santé et de les filmer pendant leur sommeil. Les deux premières études concernent l'une le nouveau-né (Anders), l'autre l'adolescent (Carkadson à Standford). Le comportement de sommeil d'enfants de 7 à 12 ans a ensuite été étudié pa Cobble aux Etats-Unis, enregistrant pendant trois nuits consécutives le sommeil de deux copains en bonne santé qui venaient dormir ensemble dans son laboratoire une nuit complète. Pour l'instant, personne n'a encore regardé dormir suffisamment d'enfants de 1 à 6 ans Nous ne pouvons même pas dire quelles sont les caractéristiques cliniques de leur sommeil, alors que les EEG montrent, eux, des particularités et que les parents saven bien que c'est une période riche en problèmes: peurs du soir, illusions hypnagogiques, terreurs nocturnes... Nous en parlerons longuement.
Après 6 ans, et surtout après 10 ans, les études sont plus nombreuses car il est plus facile d'"enrôler" des enfant plus grands pour participer à de telles nuits d'enregistrements. En pratique, l'enfant vient pour 12 à 24 heures.
S'il ne vient que pour la nuit, il arrive vers 17 heures de façon à s'habituer à sa nouvelle chambre, dans laquelle il installe ses jouets préférés, parfois son édredon ou son oreiller personnel. Une fois habitué et moins anxieux, et en présence de ses parents s'il est encore petit ou s'il le désire, il est préparé pour être enregistré, préparation plus ou moins longue suivant l'âge de l'enfant et le nombre de paramètres que l'on veut enregistrer.
Compte tenu de la lourdeur de telles études, seules trois équipes ont commencé à étudier le sommeil de l'enfant normal de façon longitudinale, c'est-à-dire à enregistrer le même enfant mois après mois pendant la première année, puis tous les ans au fur et à mesure qu'il grandit. Moins de 50 enfants ont été ainsi étudiés, et sur bien peu d'années. Du coup, nous sommes loin de pouvoir dire la moindre chose statistiquement valable.
Enfin, il n'existe à l'heure actuelle qu'un seul laboratoire au monde spécialisé dans l'étude du sommeil de l'enfant et de ses troubles, celui de Richard Ferber, à Boston, ouvert aux environs de 1980. Il est à l'heure actuelle la première autorité mondiale en ce domaine, et ce livre, évidemment, fera sans cesse référence à ses travaux. En Europe, quelques centres s'organisent.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que toutes ces études n'ont d'intérêt que dans le cadre de la recherche fondamentale pour mieux comprendre l'organisation du sommeil normal et son évolution au cours des premiers mois ou années. Le diagnostic de certaines pathologies apnées du sommeil, certaines épilepsies nocturnes, et les très rares hypersomnies - peut également en bénéficier. Par contre, ces enregistrements sont inutiles dans la plupart des troubles du sommeil de l'enfant. Ils ne nous apprendront pratiquement rien sur un enfant qui présente des difficultés du coucher, des cauchemars ou un somnanbulisme. Pour tous ces troubles, la prise en charge sera d'un tout autre niveau.

L'agenda de sommeil

Pratiquement tous les troubles du sommeil peuvent être pris en charge par un médecin généraliste, un pédiatre ou un pédo-psychiatre, mais d'abord et avant tout par les parents. Il suffit souvent de deux ou trois entretiens pour dénouer des problèmes qui, au départ, paraissaient insolubles.
Au cours du premier entretien, souvent long, le médecin prend le temps d'écouter l'histoire des parents et de l'enfant, cherche à comprendre avec les parents l'origine des troubles, les principales manifestations. Il explique les caractéristiques du sommeil normal et propose quelques moyens de remédier aux troubles racontés, sans prescrire, bien sûr, ni sédatifs ni hypnotiques.
Si les troubles sont anciens et peu clairs, le médecin explique surtout comment remplir un agenda de sommeil, où les parents consigneront pendant au moins quinze jours les heures du coucher et du lever, celles des siestes, la durée du sommeil de nuit et de jour, la place des éveils nocturnes et les événements particuliers du sommeil: terreurs, somnanbulisme, cauchemars... et de l'éveil: agitation, mauvais caractère, somnolence...
Le second entretien aura lieu quinze jours ou trois semaines plus tard. Médecins et parents ont, grâce à l'agenda de sommeil, une vision globale de ce qui se passe, de l'importance des troubles, de la fréquence des éveils nocturnes ou des cauchemars. Très souvent, avant même ce deuxi&egrsave;me entretien, les parents se sont rendu compte que malgré des éveils nocturnes répétés l'enfant dort suffisamment et sont, de ce fait, beaucoup moins angoissés. Tous les médecins qui utilisent un tel agenda connaissent son "rôle thérapeutique spontané" très important.
Figure 5 : Agenda de sommeil
Dans certains cas, comme dans l'agenda de Xavier, l'analyse des troubles permet de proposer une modification d'horaire: cet enfant est infernal à l'heure du coucher et ne s'endort pas avant une heure ou une heure et demie. Une sieste trop longue aggrave les problèmes de coucher. Une sieste courte paraît meilleure, mais le sommeil est trop profond, d'où l'apparition des terreurs nocturnes en première partie de nuit. S'il ne fait pas du tout de sieste, il est tellement fatigué et énervé qu'il présente une excitation anormale et des difficultés encore plus importantes au coucher. Devant tous ces signes, il est logique de proposer un horaire de coucher plus tardif, vers 21 h 30, qui semble le moment d'endormissement spontané.
Figure 6 : Agenda de sommeil de Xavier
Dans d'autres cas, la lecture de ces agendas permettra au médecin de reconnaître chez l'enfant insomniaque plus âgé certaines anomalies de l'organisation jour-nuit par avance ou retard de phase, insomnies qui pourront être traitées par chronothérapie. Nous en reparlerons au chapitre 2, et dans les descriptions du sommeil de l'adolescent p. 197.
Les agendas permettent egalement de reconnaître et de suivre le traitement de certaines hypersomnies, ou de suivre le sevrage d'un hypnotique. Nous y reviendrons au chapitre 6.
Enfin, l'agenda pourrait être un excellent outil d'étude du développement du sommeil normal au cours des années, et fournir des renseignements irremplaçables. Cet outil, très précieux pour les médecins puisqu'il permettrait des études longitudinales du même enfant, est aussi pour les parents un excellent moyen de mieux comprendre leur bébé et son évolution. Et puisqu'il s'agit d'un protocole ultra-simple, ne perturbant en rien la vie de l'enfant, la multiplication de ce genre d'études paraît plus généralisable, autorisant un jour des recherches statistiques valables, qui n'ont pas encore été possibles avec les méthodes "lourdes" d'enregistrement.
Ainsi la maman d'Alexandre, bébé en parfaite santé, a rempli une semaine par mois un agenda (dont deux jours typiques ont été représentés sur le shéma) qui décrit à lui seul tous ses horaires jours-nuits de la première année.
Figure 7 : Agenda d'Alexandre deux jours par mois au cours de sa première année

 

Nous sommes des êtres cycliques

Tout ce qui vit alterne. Cycle de la naissance, de la maturation et de la mort, cycles des saisons au cours d'une même année, cycles du jour et de la nuit, cycles différents de sommeil au cours d'une même nuit, cycles de la lune, cycles mensuels et menstruels des femmes, cycles longs, bi-annuels ou annuels, alternant là encore des périodes actives et des périodes plus ralenties. Ne sommes-nous pas les enfants de paysans pauvres qui travaillaient l'été, se reposaient l'hiver, avec des bonnes années où la chaleur et l'alimentation étaient abondantes, et des années de disette et de repli ?
Tout ce qui vit alterne des périodes d'activité et des périodes de repos. Cette périodicité existe d'abord chez les végétaux: alternance saisonnière bien sûr, mais aussi alternance journalière bien visible chez certaines fleurs. Ainsi les "belles de jour" ouvrent leurs corolles le matin et les referment le soir, tandis que les "belles de nuit" font le contraire.
Les insectes, les reptiles ont nettement des moments d'activité et des moments de repos. Les poissons s'immobilisent sur le ventre ou sur le côté, à la surface ou au fond de l'eau. Pour tous ces animaux, on parle de "dormance", pas encore de sommeil.
Le sommeil complexe, dans sa forme évoluée, est apparu il y a cent millions d'années avec les oiseaux, mais ce sommeil est encore très différent de notre sommeil humain. Par contre, plus haut dans l'échelle animale, les différents mammifères étudiés - chats, rats, singes - ont des états de vigilance très proches des nôtres. Les animaux chasseurs, les grands fauves, ont un sommeil plus profond que leurs proies, qui, elles, ont une plus large part de sommeil léger. Les animaux chassés ont très peu de sommeil paradoxal, dont la paralysie les rendrait très vulnérables. Les dauphins, eux, ne dorment systématiquement que d'un oeil, ou plus exactement d'un cerveau, puisqu'ils alternent des éveils du cerveau droit pendant que le gauche dort, puis l'inverse.
Notre sommeil d'hommes adultes conserve l'empreinte de cette évolution. Nous en retrouvons la trace dans les études de l'évolution phylogénétique des espèces, dans les recherches sur le sommeil des mammifères qui, tel le cochon d'Inde, naissent cérébralement adultes, dans celles sur le développement progressif du sommeil (études ontogénétiques) des espèces qui naissent, comme l'homme, très immatures: raton, chaton, bébé kangourou... Tous ces travaux nous permettent de mieux comprendre notre sommeil, son développement, certaines de ses anomalies. Ils permettent de lever un peu le mystère sur sa fonction. A quoi sert le sommeil, pourquoi dormons nous ? Questions auxquelles nous n'avons pas encore de vraies réponses.
Dans tout ce chapitre, nous nous attacherons à décrire les différents états de vigilance et les cycles de l'homme adulte. Il peut sembler surprenant, dans un livre consacré à l'enfant, de rédiger un chapitre entier sur le sommeil de l'adulte, pourtant cela nous paraît indispensable.
  • Indispensable, car le sommeil de l'enfant n'est pas fondamentalement différent de celui de l'adulte, et qu'il sera beaucoup plus facile de le décrire ensuite par comparaison.
  • Indispensable aussi, parce que le sommeil de l'adulte est l'aboutissement des modifications progressives des états de vigilance qui se construisent de la période foetale à la fin de l'adolescence.
  • Indispensable enfin, car il n'est pas possible pour des parents de comprendre les éventuels problèmes de leur enfant sans être capables d'abord de comprendre leur propre sommeil et d'en analyser les difficultés. 

Pour commencer, quelques définitions

Ce sont des notions arides, mais utiles à la compréhension des chapitres qui vont suivre. Elles permettent de décrire toute la série de rythmes qui programment notre vie.
  • On appelle rythmes CIRCADIENS les alternances, aux environs de 24 heures, de certaines de nos fonctions biologiques, dont le rythme veille-sommeil est l'une des plus importantes. Dans les conditions normales, cette alternance est synchronisée par le rythme jour-nuit, par nos périodes d'activité et de repos.
  • On appelle rythmes ULTRADIENS des périodes plus courtes, de quelques minutes à quelques heures, qui régulent nos jours et nos nuits. Les cycles nocturnes de sommeil de 1 h 30 à 2 heures, les alternances de sommeil lent et de sommeil paradoxal en sont les témoins, la nuit. Dans la journée, nous alternons des cycles de repos et d'activité, de fatigue et de grande efficacité: phases d'éveil actif au cours desquelles nous sommes très vigilants, et phases d'éveil passif au cours desquelles nous sommes beaucoup moins vifs, beaucoup moins efficaces. Ces rythmes influencent la plupart de nos fonctions biologiques: rythme cardiaque, rythme respiratoire. Ils modulent notre température corporelle, nos sécrétions internes. Ils influencent nos performances physiques et mentales, et nous connaissons bien le creux très net de nos possibilités de 13 ou 14 heures, alors que nous sommes généralement en pleine forme vers 17 heures.
  • Notre vie est aussi modulée par des rythmes lents, dits INFRADIENS. Le plus classique est un rythme mensuel. Souvenez-vous du très beau film d'Eric Rohmer Les Nuits de la pleine lune, et dans Kaos des frères Taviani, de la merveilleuse séquence sur "le mal de lune".
Ce ne sont pas des inventions de cinéastes. Certaines insomnies sont visiblement rythmées par le cycle mensuel, et les statistiques de criminalité montrent une indiscutable aggravation au moment des pleines lunes !
D'autres rythmes, encore plus lents, saisonniers, bi annuels, annuels, voire tous les trois ou cinq ans, sont nettement repérables chez certains d'entre nous. Connaissez-vous les syndromes dépressifs minimes survenant pour une même personne chaque année à la même période ? Connaissez-vous l'évidente vulnérabilité des humains en hiver, leur besoin plus important de sommeil, la sensibilité aux infections, alors même que l'invention de l'éclairage artificiel et du chauffage central leur a désappris un besoin physiologique profond de repos. Par contre, notre société vient d'inventer les vacances d'été, repos au moment de notre plus grande capacité de travail, de moindre besoin de sommeil, et de nos meilleures performances physiques et intellectuelles...

Les trois états de vigilance

Encore quelques définitions, mais plus connues et beaucoup plus simples. Notre vie d'adultes est faite de la succession de trois états de vigilance, totalement différents les uns des autres, aussi bien dans notre comportement extérieur, visible, que dans leur traduction électroencéphalographique: l'éveil, le sommeil lent et le sommeil paradoxal.
- L'EVEIL, OU ÉTAT DE VEILLE, caractérise tous les moments conscients de notre vie, et représente chez l'adulte près des deux tiers du temps. Cet état oscille de façon plus ou moins rapide entre des temps d'éveil actif et des temps d'éveil passif.
  • Au cours de l'éveil actif, nos yeux sont grands ouverts, brillants, très mobiles, nos gestes fréquents, rapides, précis, notre temps de réaction à toutes les stimulations qui nous entourent est très court, les réflexes sont vifs, notre envie de communiquer et notre facilité pour apprendre sont importantes. Notre cerveau est en alerte et l'activité électrique cérébrale recueillie sur l'EEG est rapide, peu ample. Il nous sera difficile de nous endormir au cours de cette période de veille active.
  • A ces états actifs succèdent de façon périodique des états de veille passifs. Éveils au cours desquels nos gestes sont plus lents, nos yeux moins vifs, notre temps de réaction à ce qui nous entoure beaucoup plus long. Nous sommes moins bavards, plus distants, plus rêveurs, souvent plus frileux. A ce stade, nous avons envie de nous relaxer, de nous détendre, et il nous est facile de nous "laisser aller", de fermer les yeux et de nous endormir. Nos ondes électriques corticales, lorsque nous avons les yeux fermés, sont régulières, un peu plus amples et plus lentes que lors des états de veille actifs, de 8 à 12 ondes par seconde (activité type "alpha"). Cet état de veille relaxé est une porte ouverte sur le sommeil.
- LE SOMMEIL LENT est ainsi appelé car il est caractérisé par un ralentissement et une augmentation d'amplitude progressive des ondes électriques corticales. Il est dit aussi sommeil classique, sommeil orthodoxe.
Un adulte s'endort presque toujours en sommeil lent et ce sommeil représente chaque nuit environ 75 % à 80 % du sommeil total, soit environ 6 heures de sommeil lent pour une nuit de 8 heures. Ce sommeil peut être décomposé en quatre stades de profondeur croissante:
  • Le stade I correspond à l'endormissement ou à un état de pré-réveil, périodes au cours desquelles nous sommes "entre deux eaux", pas tout à fait endormis, ni complètement réveillés. Les mouvements corporels se font rares.
  • En stade II, nous dormons, mais ce sommeil est léger. Une porte qui claque chez le voisin nous réveillera. Il persiste une certaine activité mentale: rêves flous, plus proches d'une pensée d'éveil que d'images, rêves plus logiques, plus cohérents que ceux du sommeil paradoxal. L'activité électrique est de plus en plus lente. Les stades I et II représentent 50 % du sommeil total, soit 4 heures par nuit.
  • Les stades III et IV correspondent à un sommeil très profond. La réactivité aux stimulations extérieures est très faible, l'immobilité à peu près totale. Le visage est inexpressif, l'activité mentale probablement très faible. Les yeux sous les paupières fermées sont immobiles (sommeil sans mouvement oculaire des Anglo-Saxons: non rapid eyes movement sleep: NREMS). Le pouls et le rythme respiratoire sont lents et réguliers. Par contre, le tonus musculaire est conservé, les muscles restent fermes, le corps à demi plié, les doigts serrés (dormir à poings fermés). S'il nous arrive de nous endormir debout, nous ne nous effondrerons pas. L'activité électrique cérébrale est lente et ample. Ces stades III et IV représentent environ 25 % du sommeil total, soit 2 heures par nuit.
- LE SOMMEIL PARADOXAL, OU SOMMEIL DE REVE, succède au sommeil lent. Il en est aussi différent que le sommeil lent est différent de l'éveil. Il a été nommé "paradoxal" par Michel Jouvet, devant le contraste entre un sujet complètement endormi, détendu, et l'enregistrement EEG d'une activité électrique corticale intense, avec des ondes rapides, peu amples, très proches de celles de l'éveil actif. Ce sommeil représente 20 à 25 % du sommeil total, soit, lui aussi, près de 2 heures par nuit.
L'activité électrique est le reflet d'une activité mentale intense, d'un véritable éveil cérébral, qui correspond au rêve. Si l'on réveille un dormeur pendant cette période, dans 80 % des cas il raconte une histoire de rêve très précise, très détaillée. Ces rêves sont fugaces, vite effacés de notre mémoire, ce qui peut nous faire croire que nous n'avons pas rêvé. Les rêves dont l'on se souvient au matin sont ceux des dernières minutes du sommeil paradoxal, juste avant notre réveil ssif. En effet, l'éveil spontané du matin survient souvent à la fin d'une phase de sommeil paradoxal.
En sommeil paradoxal, notre visage est le reflet de l'activité onirique. Il est mobile, expressif, plus "social" qu'en sommeil lent. Les paupières sont fermées, mais les yeux bougent très rapidement et ces mouvements sont visibles au travers des paupières (sommeil à mouvements oculaires rapides des Anglo-Saxons: REMS). Le pouls et la respiration sont aussi rapides qu'en phase d'éveil, mais plus irréguliers. Il peut de temps à autre exister quelques brefs mouvements corporels, mais, en pratique, la caractéristique de ce sommeil paradoxal est une hypotonie musculaire intense. Nous sommes complètement détendus, étalés, muscles relâchés, doigts ouverts. Endormi en position instable, la tête s'écroule, le corps se laisse tomber. Il existe une véritable paralysie transitoire qui, bien sûr, disparaît dès que nous sommes réveillés ou dans une nouvelle période de sommeil lent. Cette paralysie nous empêche peut-être de "passer à l'acte" au cours de nos rêves.
Deux tableaux peuvent résumer ces caractéristiques:
SOMMEIL LENTSOMMEIL PARADOXAL
visage inexpressif
respiration lente et régulière
pouls lent et régulier
pas de mouvements oculaires
tonus musculaire conservé
activité électrique cérébrale de plus en plus lente et ample
visage expressif
respiration rapide et irrégulière
pouls rapide
mouvements oculaires rapides verticaux et horizontaux
tonus musculaire aboli
paralysie
activité électrique cérébrale rapide, intense

Que se passe-t-il au cours d'une nuit de sommeil?

Notre sommeil d'adulte est, dans les conditions habituelles (civilisation occidentale, travail de jour), essentiellement nocturne.
  • Le besoin de sommeil survient généralement chaque soir à la même heure, annoncé par une sensation de fatigue, de faible activité mentale, de froid.
  • Si nous nous couchons au moment où ces signes apparaissent, l'endormissement est rapide. La latence d'endormissement, temps qui s'écoule entre le moment où l'on a decidé de dormir, éteint la lumière, fermé les yeux et le moment où l'on s'endort vraiment sera brève, généralement moins de dix minutes. Ce paramètre est très important. Il mesure notre capacité d'endormissement.
  • Nous nous endormons en sommeil lent, sommeil lent qui va durer en moyenne de 1h 10 à 1h 40. D'abord sommeil lent léger puis progressivement de plus en plus profond.
  • A la fin de cette phase, nous passons en sommeil paradoxal pour 10 à 15 minutes.
  • Une nuit complète représente l'enchaînement de 4, 5 ou 6 cycles de ce "train". La fin du sommeil paradoxal est marquée par une phase de pré-éveil très courte, insensible pour un dormeur normal, mais où l'éveil serait très facile. Puis, si aucune stimulation particulière ne le tire du sommeil, le dormeur enchaîne un nouveau cycle.
Figure 9 : Le train du sommeil
Quelques points intéressants:
  • La durée d'un cycle est de lh 30 à 2 heures.
  • La durée exacte d'un cycle est constante pour chacun d'entre nous, remarquablement stable tout au long de notre vie. Un dormeur qui connaît ses rythmes profonds devrait être capable de dire s'il dort par cycle de 90, 100, 110 ou 120 minutes. En pratique, ce n'est pas très facile.
  • Si l'enchaînement de sommeil ne se fait pas au cours de la nuit, l'éveil pourra se prolonger pendant la durée normale d'un cycle. Beaucoup d'entre nous connaissent l'éveil de 4 à 6 heures du matin, pour se rendormir ensuite profondément.
  • La qualité du sommeil se modifie au cours de la nuit. Dans le premier tiers, le sommeil lent est plus profond, plus prolongé : les deux premiers cycles comportent la presque totalité du sommeil lent profond. Le sommeil lent leger et le sommeil paradoxal sont proportionnellement plus importants en fin de nuit. La durée des périodes de sommeil paradoxal s'allonge d'un cycle à l'autre, les dernières phases étant aussi plus intenses, plus riches en mouvements oculaires.
  • Même si nous dormons bien, nous nous réveillons la nuit: nous changeons de position environ 3 fois par nuit. Ces "micro-éveils" surviennent généralement en fin de cycle, au moment du passage d'une phase de sommeil paradoxal à une nouvelle phase de sommeil lent. Si ces micro-éveils durent moins de trois minutes, nous n'en gardons en fait aucun souvenir. Ces éveils sont plus longs et plus fréquents après les deux premiers cycles de sommeil, d'où une plus grande fréquence des réveils nocturnes, passé le premier tiers de la nuit.
  • La quantité de sommeil lent profond est indépendante de la durée totale du sommeil. Par contre, elle est liée à la durée de l'éveil qui précède le sommeil, et à la qualité de cet éveil: une activité physique importante augmente la quantité de sommeil profond. Après une sieste d'après-midi, il y a relativement peu de sommeil lent profond, au bénéfice de plus de sommeil lent léger. En cas de privation de sommeil, par contre, nous rattrapons en priorité notre déficit en sommeil lent profond.
  • La durée du sommeil paradoxal est par contre directement liée à la durée totale de notre nuit de sommeil: "Plus on dort, plus on rêve". En cas de privation de sommeil, les temps de sommeil paradoxal ne se rattraperont que si l'on en a le temps, après que les phases de sommeil lent profond auront pu, elles, se rattraper.
  • Enfin le sommeil lent profond diminue avec l'âge, au bénéfice d'un sommeil beaucoup plus léger. De nombreu ses insomnies des personnes âgées ne sont, en fait, que des "impressions de mauvais sommeil", de sommeil trop léger, alors même que la durée totale du sommeil est très bonne, voire augmentée.
Figure 10 : Déroulement d'une nuit de sommeil (hypnogramme)

Les besoins de sommeil

Qu'entend-on par sommeil normal ? Est-il assez profond, trop léger, trop long, à quelle heure doit-il commencer? Voilà beaucoup de questions auxquelles on ne peut donner de réponse générale puisque chaque individu dort à son propre rythme.
Il n'existe en réalité qu'une seule définition du sommeil normal: c'est quand, le matin, nous nous réveillons non seulement avec l'impression d'avoir bien dormi, mais aussi avec celle d'être reposé et en pleine forme.
Ces impressions seront obtenues après des temps différents de sommeil selon les sujets. Nous sommes très inégaux devant le sommeil:
  • La plupart d'entre nous ont besoin de 7 h 30 à 8 heures de sommeil, réparties par exemple sur 4 cycles de 2 heures ou 5 cycles de 1 h 30.
  • Certains sujets, dits "petits dormeurs", auront besoin de moins de 6 heures par nuit (probablement 4 cycles de 1 h 30). D'autres, beaucoup plus rares, n'auront besoin que de 4 heures de sommeil pour être en forme. Ces petlts dormeurs représentent envlron 5% de la population.
  • Par contre, les "gros dormeurs" auront besoin d'une durée moyenne de plus de 9 heures de sommeil par jour. Ils représentent environ 10 à 15 % de la population.
Ces besoins de sommeil sont probablement innés, en grande partie déterminés héréditairement. Ils évoluent pendant l'enfance, puis ils restent en général remarquablement constants après la fin de l'adolescence.

Chronobiologie et rythmes circadiens

La chronobiologie est l'étude des rythmes biologiques auxquels sont soumis les êtres vivants.
Les différents pics et creux de ces rythmes ne sont pas distribués au hasard, mais relèvent d'une véritable programmation dans le temps des nombreuses activités: métaboliques, nerveuses, endocriniennes... permettant un ajustement de l'organisme au mode de vie. Cette adaptation n'est pas individuelle, mais spécifique de l'espèce. Ainsi l'humain, homo sapiens, est un "animal" à activité diurne, et tous ses rythmes biologiques, son organisation temporelle, répondent à la nécessité de faire face, physiquement et intellectuellement, à son activité diurne. Ainsi les performances du système nerveux (attention, coordination motrice, mémoire), la force musculaire, la fréquence cardiaque et respiratoire atteignent leur maximum au cours de la journée. Par contre, d'autres variations biologiques, comme le taux de lymphocytes cellules blanches du sang qui participent à la défense anti-infectieuse de l'organisme -, sont au maximum au milieu de la nuit.
Un exemple frappant de cette adaptation biologique quotidienne est celui des sécrétions hormonales: L'hormone corticotrope, ou ACTH, a son pic de sécrétion maximum au milieu de la nuit. Elle induit la sécrétion d'hormones telles que la cortisone ou le cortisol, qui ont pour effet d'augmenter les taux sanguins de protéines, lipides, glucides et sels mineraux pour les besoins d'un organisme en activité. Or, les pics sanguins maximum de cortisol se situent au moment de l'éveil. Il y a donc cohérence biologique, le pic d'ACTH se situant avant celui du cortisol, lui-même se situant avant le pic des performances musculaires, nerveuses, etc. de l'organisme. Il y a donc bien pré-adaptation.
Cette notion d'organisation temporelle a une réelle importance, non seulement théorique, mais aussi pratique. Les accidents de voiture ou d'avion dus à une "erreur humaine" se produisent souvent vers deux ou trois heures du matin, heure où les potentialités physiques, psychiques et intellectuelles des humains sont au plus bas. C'est le moment où les réponses, les réflexes sont les plus lents et les moins adéquats. Le chronobiologiste américain Charles Ehret de Chicago a même rapporté que la gravité de l'accident à l'usine nucléaire de Three-Mile-Island était en grande partie due au fait que la centrale s'était emballée à trois heures du matin. Les ingénieurs et techniciens de garde ont été incapables de prendre en temps voulu les décisions qui s'imposaient.
Autre utilité pratique essentielle de cette chronobiologie: notre organisme ne réagit pas de la même façon aux médicaments selon l'heure où ils sont ingérés. Pour certaines thérapeutiques hormonales, comme la stimulation du cortisol par l'ACTH la même dose peut être strictement inefficace à six heures du soir et parfaitement adaptée à sept heures du matin. Autre exemple : la stimulation hypophyso-ovarienne par la LH-RH n'a aucune efficacité en perfusion continue, même à très fortes doses, et ne marche que si l'on effectue une stimulation de quelques minutes toutes les heures. Cette découverte, utilisée maintenant dans le traitement de certaines stérilités, prouve bien que les effets qualitatifs et quantitatifs d'un traitement hormonal dépendent plus du rythme de sa biodisponibilité que de la dose théoriquement utile.
Figure 11 : Les fonctions biologiques ont des activités rythmiques dont les pics et les creux ne sont pas distribués au hasard, mais représentent une organisation dans le temps.

Les rythmes circadiens de vigilance

Au cours des 24 heures, notre vigilance passe par des hauts et des bas, réalisant un véritable tracé sinusoïdal repérable à la même heure ou presque chez tous les humains, dans tous les coins de la planète, et corrélé à l'heure du soleil.
Cette vigilance est directement précédée par une autre courbe parallèle qui est celle de notre température corporelle. Lorsque la température s'élève, notre organisme se prépare à une phase active, éveillée, efficace. Lorsque la température baisse, la vigilance ne tarde pas à diminuer. Nous verrons que toutes ces notions conduisent à un bon nombre de réflexions sur les rythmes scolaires imposés à nos enfants: l'heure des siestes à l'école maternelle, l'heure habituelle des cours qui ne correspond guère aux meilleurs moments d'activité intellectuelle, la suppression des classes l'été, meilleure période d'apprentissage que l'hiver. Nous nous reposons et nous travaillons souvent à contretemps de nos besoins physiologiques.
Schématiquement, ce rythme fondamental (en heures solaires) est formé de:
  • une phase active, chaude, entre 5 et 8 heures du matin;
  • une phase de repli, de fatigue, de faibles performances physiques entre 11 et 14 heures;
  • une nouvelle phase de haute vigilance entre 17 et 20 heures;
  • une phase de fatigue et de très faible vigilance entre 23 heures et 2 heures du matin;
  • la phase la moins active se situe entre 2 heures et 5 heures du matin. 

Comment interpréter cette courbe ?


  • Le matin au réveil, nous sommes en pleine forme, actifs, efficaces, prêts à apprendre, à mémoriser, à effectuer un travail physique important.
  • En milieu de journée survient une phase moins efficace, marquée sans doute pour beaucoup d'entre nous par le "coup de pompe de 11 heures". Malgré la célèbre publicité de Banania, il ne s'agit pas d'une fatigue hypoglycémique, mais bien d'un moment de fatigue biologique fondamental, avec refroidissement corporel, identique pour tous. C'est, d'ailleurs, souvent le moment de la sieste et beaucoup de jeunes enfants s'endorment avant leur repas de midi.
  • Vers 17 heures, nous commençons une nouvelle phase de grandes performances physiques et intellectuelles. Les enfants sont excités. Nous avons chaud, nous pouvons faire du sport, étudier très efficacement, apprendre très vite... Le champion mondial de saut à la perche améliorant, le 11 juillet 1988, pour la neuvième fois, son propre record en sautant 6 m 06 à 2 heures (heure locale, soit 18 heures heure du soleil) a déclaré aux journalistes de la télévision: "C'était des conditions météo idéales, et, surtout, la meilleure heure pour sauter". Quel dommage que, dans notre société actuelle, nos enfants ne profitent pas de cet excellent moment, trop souvent consacré mollement aux devoirs scolaires, ou encore plus mollement aux feuilletons télévisés. Quant à nous, adultes, ce devrait être le moment de faire du sport, des études, des recherches, au lieu de perdre des heures en voiture dans les embouteillages de retour, ou à préparer le repas du soir.
  • Vers 23 heures, nouvelle période de faible vigilance : nous commençons par sentir le froid, nous nous étirons, nous bâillons, écoutons avec moins de lucidité les conversations environnantes, et sommes proches de l'endormissement. Si nous nous endormons, nous dormons en sommeil lent profond (nous l'avons vu p. 45). Si nous continuons à veiller, nous serons "ivres de sommeil", instables sur nos jambes, peu réactifs, nous aurons froid, envie de fermer les yeux. Notre tension artérielle sera basse, notre force physique très diminuée.
  • Pourtant, même si nous n'avons pas dormi, tout ira mieux après 5 heures du matin, et si nous tardons encore à nous coucher, nous ne pourrons plus nous endormir. Pour ceux qui ont dormi une nuit normale, vers 4-5 heures le sommeil devient plus léger, plus fragile, plus riche en sommeil lent léger et en sommeil paradoxal. Les éveils sont plus fréquents et parfois perceptibles. Environ deux heures avant le réveil spontané, la température remonte, les modifications métaboliques liées à la sécrétion de cortisol sont stimulées, et nous nous réveillons en pleine forme.
On dit d'un individu qu'il est en phase, lorsqu'il vit et travaille aux moments de meilleure performance, et se repose ou dort dans les moments de faible performance. Cette notion est du plus haut intérêt pour comprendre certaines pathologies du sommeil.
Il existe, par rapport à cette courbe moyenne, des variations possibles d'une ou deux heures, fixes pour un même individu tout au long de sa vie. Nous pouvons donc définir des humains "couche-tôt" et d'autres "couche-tard", selon la position de leur propre périodicité horaire.
Cette courbe, ce rythme fondamental sont retrouvés chez tous les sujets dans les conditions normales: travail de jour, vie à la lumière extérieure, vie sociale régulière. Mais tout n'est pas si simple. Les expériences de "vie hors du temps", en dehors de tout repère temporel (pas de montre, pas d'alternance de jour et de nuit, pas d'horaires de repas réguliers), nous permettent d'aborder les mécanismes très compliqués qui règlent nos différents rythmes: rythmes biologiques et rythmes de sommeil.

Les expériences "hors du temps"

Plusieurs études de "vie hors du temps", chez des sujets volontaires isolés dans des grottes ou dans des bunkers, ont été réalisées. La plus connue est celle de Michel Siffre, enfermé dans une grotte pendant plusieurs mois sans aucun repère temporel, ni communication avec l'extérieur. Les découvertes sur les rythmes profonds dans de telles conditions sont tout à fait passionnantes.
Le rythme biologique circadien profond, inné, n'est pas de 24 heures, mais de 25 heures. Aussi curieux que cela puisse paraître, en l'absence des donneurs de temps (synchroniseurs ou Zeitgebers en allemand) que sont les rythmes sociaux et les alternances jour-nuit, le rythme spontané s'installe sur 25 heures. En d'autres termes, les oscillations de la température, de la sécrétion du cortisol, et vraisemblablement aussi les rythmes de sommeil paradoxal, reculent d'une heure toutes les 24 heures. En libre cours, ce rythme reste très stable aux environs de 25 heures.
Au début de l'expérimentation, la périodicité du rythme veille-sommeil suit celle de la température corporelle et s'organise sur 25 heures. Le sujet se lève et se couche en se décalant d'une heure tous les jours par rapport à ses horaires habituels de 24 heures.
Au bout de quelques semaines d'expérience, on voit apparaître des anomalies du rythme veille-sommeil. L'alternance phases éveillées et phases de sommeil se poursuit, et garde une proportion stable de 2/3 d'éveil pour 1/3 de sommeil. Mais ces alternances se dérèglent. Certains cycles "jour-nuit" atteignent 60 heures, d'autres sont plus courts et ne durent que 12 heures environ. Pourtant, pendant toute cette période, le cycle de la température reste stable sur 25 heures. Le sujet vit donc souvent à contretemps de ses rythmes de cortisol et de température. Il dort en phase "chaude", s'active, travaille et mange en phase froide. Il n'existe plus de relation de phase stable entre, d'une part, la température, la sécrétion du cortisol et d'autres constantes biologiques, et d'autre part, les rythmes éveil-sommeil. Chacun de ces rythmes oscille de façon autonome. On parle alors de syndrome de désynchronisation interne.
Que dire de ces données ?
  • Le rythme circadien inné est de 25 heures.
  • Ce sont les donneurs de temps extérieurs, horaires sociaux, alternance jour/nuit, qui règlent chaque jour notre mécanisme biologique sur 24 heures, envoyant à notre corps et à notre cerveau des signaux qui leur permettent d'adapter nos rythmes internes à notre environnement.
  • Les différents rythmes circadiens ne dépendent pas de la même régulation puisqu'ils peuvent se désynchroniser. 

Les horloges biologiques

Pour expliquer ces faits d'expérimentation, il semble que l'on ne puisse parler d'une horloge biologique unique des rythmes circadiens. Il existe vraisemblablement non pas une, mais deux horloges principales appelées par les chercheurs "oscillateurs".
  • Un oscillateur fort, ainsi nommé car il est peu dépendant de l'environnement et des donneurs de temps. De lui dépendrait la modulation des rythmes de température, de la sécrétion du cortisol, et aussi, vraisemblablement, du sommeil paradoxal. Comme ces rythmes sont peu soumis aux modifications de l'environnement, on dit qu'ils ont un caractère endogène prépondérant. Ils seront donc très stables en l'absence de donneurs de temps, ce que nous avons vu plus haut. Par contre, du fait de ce caractère endogène prépondérant, ils opposeront une inertie importante aux changements extérieurs. Ainsi, en cas de vol transméridien, de nouveaux horaires de travail, de décalage horaire saisonnier, l'organisme mettra souvent plusieurs semaines pour s'adapter. C'est ce que l'on appelle désynchronisation externe, entre le rythme biologique profond et les donneurs de temps extérieurs.
  • Un oscillateur faible, beaucoup plus sensible aux signaux des donneurs de temps et qui se dérègle plus vite en leur absence. Il synchronise nos rythmes de veille sommeil et probablement certaines de nos sécrétions très dépendantes du sommeil, telles que les sécrétions de prolactine et d'hormone de croissance. Cet oscillateur a une inertie faible et s'adapte vite aux modifications brutales de l'environnement. En cas de vol transatlantique par exemple, nous dormirons la nuit et nous éveillerons le jour en très peu de temps. Pourtant, nos rythmes profonds de température resteront, eux, bien plus long temps perturbés. C'est ce que l'on appelle les altérations de phase d'origine externe. Nous y reviendrons. C'est aussi cet oscillateur faible qui se dérègle le plus vite en l'absence de donneurs de temps, d'où les alternances jour-nuit tout à fait anarchiques, de 12 à 60 heures dans les expériences hors du temps.
Figure 12 : Horloges biologiques

Les altérations de rythme

Ces études chronobiologiques permettent de comprendre toute une série d'anomalies de coordination des rythmes et les difficultés d'adaptation physique et intellectuelle de l'organisme qui peuvent en résulter.

Les altérations de phase d'origine externe

Ce sont les difficultés rencontrées par les personnes soumises à de nombreux changements d'horaires: vols transméridiens des personnels navigants, horaires de travail variables (les trois huit), et aussi, tout simplement, par toute la population lors du changement d'horaire saisonnier: horaire d'hiver et horaire d'été.
Au cours de ces changements, le cycle veille-sommeil se trouve brutalement déphasé par rapport à l'environnement habituel. Le sujet va rapidement adapter sa vigilance: en deux ou trois jours, il se réveillera et s'endormira en fonction du rythme de soleil du nouveau lieu. Par contre, la température corporelle, la sécrétion du cortisol, moins dépendantes de l'environnement, vont mettre beaucoup plus longtemps pour s'adapter aux nouvelles conditions de vie. Et donc, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, il y aura désynchronisation interne, responsable d'une impression de malaise, d'une fatigue, de difficultés d'endormissement.
Cette période d'adaptation sera plus longue pour les vols transatlantiques Ouest-Est, par exemple un vol de retour États-Unis-France, car ils mènent à une avance de l'horaire habituel de sommeil, ce qui est beaucoup plus difflcile que de retarder son heure d'endormissement. De même, il sera plus difficile de s'adapter à l'horaire d'été puisqu'il correspond à une avance du coucher de deux heures sur l'heure solaire.
La sensibilité des individus à ces modifications extérieures de rythme est très variable. Certains mettent quelques jours à s'adapter, d'autres plusieurs semaines. Cette adaptation est plus difficile après 35 ans, chez les sujets dépressifs ou ayant des problèmes psychologiques. Elle est aussi difficile chez le jeune enfant: nous y reviendrons.

Les altérations de phase d'origine interne

Figure 13 : Organisation circadienne des états de vigilance
On peut en décrire deux grands types: les altérations de phase par retard ou avance sur l'horaire, ou des périodicités circadiennes anormales.
  • Les avances de phase correspondent à des horaires anormalement précoces d'endormissement. Les cas modérés représentent les sujets dits "couche-tôt", sujets "du matin". Ces avances de phase se voient aussi fréquemment chez les sujets dépressifs, et les personnes âgées. Chez ces dernières, elles peuvent traduire un raccourcissement spontané du cycle de la température corporelle.
  • Les retards de phase simulent une "insomnie d'endormissement". C'est un peu le cas extrême des sujets dits "du soir" ou "couche-tard", qui restent en pleine forme très avant dans la soirée, mais qui ont beaucoup de difficultés pour se lever le matin. La courbe de température de ces sujets semble retardée par rapport à celle des gens vivant selon un horaire veille-sommeil classique. Il ne s'agit pas d'un trouble du sommeil, puisque le sommeil est de bonne qualité après l'endormissement, et que sa durée sera normale, d'environ huit heures si le sujet n'est pas obligé de se lever tôt le lendemain. Par contre, ce retard d'endormissement, l'incapacité quotidienne de se coucher avant deux ou trois heures du matin s'accompagnent souvent d'une privation chronique de sommeil, car les horaires de travail ou de la scolarité ne permettent pas au sujet de se lever chaque jour vers 13 heures.
  • Les périodicités circadiennes anormales sont beaucoup plus exceptionnelles. Elles correspondent à un cycle jour-nuit ou un cycle "repos-activité" de périodicité plus longue que 24 heures, par exemple, pour un individu, une périodicité de 27 heures. Ce sujet aura envie de dormir chaque soir trois heures plus tard que la veille, et aura souvent de grandes difflcultés à se lever le matin. Il s'ensuit un trouble du sommeil très particulier, avec difficultés d'endormissement et de réveil, somnolence au cours de la journée s'il ne peut suivre son rythme propre pour des raisons de travail ou de vie sociale. Il présentera alors un tableau complexe d'hypersomnie dans la journée, d'insomnies nocturnes, avec des périodes très troublées, entrecoupées de pha ses d'amélioration quand l'horaire spontané cadre à peu près avec l'horaire habituel.
Figure 14 : Ces différentes altérations internes peuvent être résumées dans ce tableau.

Ce qu'il faut retenir

  • Nos fonctions biologiques et notre rythme veille sommeil, synchronisés sur 24 heures avec l'alternance du jour et de la nuit, ont, en fait, une périodicité innée de 25 heures environ, dépendant de deux horloges biologiques internes principales.
  • De la bonne harmonie de ces deux horloges dépen dront la qualité de notre sommeil nocturne et celle de notre vigilance diurne.
  • L'horloge qui règle les plus importantes de nos fonctions biologiques (température, fréquence cardiaque et respiratoire, tension artérielle, sécrétion de cortisol) est modulée par les donneurs de temps. Mais elle a un fonctionnement assez indépendant de ceux-ci. Elle a un caractère endogène prépondérant. Elle aura donc une inertie importante, s'adaptera lentement, sur plusieurs semaines, aux modifications brutales de l'environnement.
L'autre horloge, régulant notre rythme veille-sommeil, est beaucoup plus dépendante des donneurs de temps, en particulier des facteurs sociaux. Elle est, de ce fait, beaucoup plus labile et s'adaptera donc vite aux modifications, même brutales, de l'environnement. Elle sera aussi beaucoup plus fragile et se déréglera facilement en l'absence de donneurs de temps.
  • Nos rythmes veille-sommeil pourront être à contre temps de nos principaux rythmes biologiques. Il en résultera une sensation de malaise, une fatigue importante, une impression de n'être ni réveillé, ni endormi. On parle de désynchronisation interne, syndrome dont on ne connaît pas encore toutes les conséquences.
  • Les rythmes veille-sommeil peuvent aussi être à contretemps de l'alternance du jour et de la nuit. Notre sommeil nocturne sera troublé, notre vigilance diurne perturbée. 

De la vie foetale à l'adolescence, le sommeil se construit et s'organise

"Le futur m'intéresse, parce que c'est là que j'ai l'intention de passer mes prochaines années."
Graffiti sur les murs du campus américain de Berkeley.
Parler du sommeil des premiers temps de la vie, du sommeil avant la naissance, de celui des premières semaines après la naissance, c'est décrire toute une évolution, une maturation, directement liées à la construction contemporaine du cerveau. Il n'y a pas de rupture, de changement brutal d'un stade à l'autre, mais un rythme cérébral profond qui, peu à peu, s'installe et se manifeste.
Schématiquement, il serait presque possible de dire que "tout se joue avant quatre mois", et que les différents stades repérables ne sont pas ceux que l'on aurait pu imaginer. Nous pouvons, en simplifiant à l'extrême, décrire trois périodes fondamentales de construction, puis trois périodes moins visibles de maturation.

Étapes de construction:

  • la "dormance" foetale avant 20-24 semaines;
  • de 24 semaines à la fin du premier mois de vie extra-utérine: le rythme cérébral "foetal", indépendant de l'environnement;
  • de 1 mois de vie jusque vers 4 à 6 mois, l'acquisition progressive des rythmes circadiens de température, rythmes cardiaque et respiratoire, et d'un sommeil de type "adulte".

Étapes de maturation:

  • de 4-6 mois à quatre ans, la réduction progressive du temps de sommeil;
  • de 4-5 ans à 12 ans environ, la période de haute vigilance;
  • l'adolescence et son sommeil.
Nous allons tenter de décrire chacune de ces étapes, avec ses caractéristiques neurophysiologiques, mais il nous faut d'abord définir les états de vigilance du nouveau-né, car ce ne sont pas les mêmes que ceux de l'adulte. Nous pourrons ensuite revenir longuement sur chacune des périodes.

Les états de vigilance du nouveau né

La vigilance d'un tout-petit se compose de quatre stades:
  • le sommeil calme;
  • le sommeil agité;
  • l'éveil calme;
  • l'éveil agité.
Ces différents stades ont été décrits et définis de façon très précise par les professeurs A. Parmelee et P.H. Wolff aux États-Unis, les docteurs Colette Dreyfus-Brisac et Nicole Monod à Paris en 1965 et 1966, puis par le professeur H.F.R. Prechtl en Hollande en 1974. Ce dernier a proposé une classification en cinq stades (nommés stade I à V) allant du sommeil très calme à l'excitation maximum de l'éveil agité.

Le sommeil calme (stade I)

Le nouveau-né est immobile au cours de ce sommeil. Il ne présente aucun mouvement, en dehors de quelques sursauts, mais son tonus musculaire reste important. Il peut dormir parfois avec les bras ramenés vers le visage, très légèrement au-dessus de celui-ci. Bras et jambes sont fléchis.
Le visage est souvent pâle, peu expressif. Il n'existe aucune mimique, aucun mouvement, en dehors de petits mouvements de succion périodiques, à peine perceptibles, visibles surtout lorsque le nouveau-né commence à avoir faim.
Les yeux sont fermés, ne bougent pas. La respiration est très régulière, souvent peu ample, lente pour un tout petit, aux environs de 30 ou 40 mouvements par minute. Le coeur est calme, régulier, entre 100 et 140 battements par minute.
Ce sommeil, très stable, n'est interrompu par aucun éveil. Sa durée est presque toujours la même, de 20 minutes environ. Ses caractéristiques sont donc, en dehors de la durée plus courte, tout à fait comparables à celles du sommeil lent profond de l'adulte.
C'est pendant ce sommeil calme, comme plus tard dans le sommeil lent profond -mais sans doute pas exclusivement-, qu'est sécrétée l'hormone de croissance (STH OU hormone somatotrophe hypophysaire) qui joue un rôle dans le développement corporel et la croissance.
A l'EEG les ondes corticales sont lentes, mais il n'est pas possible de différencier dans ce sommeil calme plusieurs stades (léger à profond), comme dans le sommeil de l'adulte.

Le sommeil agité (stade II)

Ce sommeil est caractérisé par l'apparition de toute une série de mouvements corporels: mouvements fins au niveau des doigts et des orteils, mouvements un peu plus amples au niveau d'un bras ou d'une jambe, mouvements corporels plus globaux d'étirement ou de flexion. Tous ces mouvements sont très stéréotypés: le nouveau-né s'étire, grogne, devient rouge, bâille puis ramène ses bras au niveau du visage. Ces mouvements sont très fréquents, et se répètent parfois toutes les 3 à 5 minutes. Le visage du nouveau-né en sommeil agité est souvent plus coloré qu'en sommeil calme, et peut devenir, de façon très transitoire, subitement plus pâle ou plus rouge.
Les yeux bougent, remuent sous les paupières fermées, puis les paupières elles-mêmes peuvent s'entrouvrir à plusieurs reprises. Parfois, les yeux sont carrément ouverts pendant de longues secondes, mais le regard est lointain, flottant, absent.
Le visage est très expressif, avec de multiples mimiques très fines, mimiques parmi lesquelles nous avons reconnu les expressions des six émotions fondamentales, expressions innées, présentes dans toutes les cultures humaines: la peur, la colère, la surprise, parfois le dégoût, la tristesse, et surtout la joie, avec de magnifiques sourires "aux anges", repérables dès les premières heures de vie.
En dehors de ces mouvements, de ces périodes d'agitation, le tonus d'un enfant en sommeil agité est extrême ment bas. Le bébé est très mou, ses bras retombent, les doigts s'ouvrent, les membres se déplient.
La respiration est plus rapide, plus irrégulière qu'en sommeil calme. Elle est parfois haletante, voire entrecoupée de réelles pauses respiratoires physiologiques, qui peuvent atteindre 10, 12 ou même 15 secondes sans être inquiétantes. Le rythme cardiaque est aussi plus rapide, entre 120 et 160 pulsations par minute.
Ce sommeil est l'équivalent du sommeil paradoxal de l'adulte. Il est simplement plus actif, plus mobile, plus agité, moins "paralysé".
Il est aussi beaucoup moins stable, beaucoup plus léger, avec de nombreux micro-éveils. Au maximum, l'enfant semble s'éveiller, véritables micro-éveils qui durent de quelques secondes à près d'une minute. C'est d'ailleurs à peu près toujours pendant une phase de sommeil agité que l'enfant se réveille. Cette instabilité conduit à des durées de sommeil variables, de 10 à 45 minutes, la durée moyenne étant d'environ 25 minutes.
A l'EEG, les ondes corticales (plus lentes que chez l'adulte en sommeil paradoxal) ressemblent à celles de l'état de veille, parfois même plus rapides lorsque ce sommeil est riche en mouvements oculaires et lorsque le visage du nouveau-né est très expressif.
Il est évident que ce sommeil agité peut facilement être confondu avec un éveil ou un pré-réveil. Un enfant qui s'étire, qui bâille, qui ouvre les yeux, qui pleure ou gémit un peu peut-il vraiment être en train de dormir ? L'erreur d'interprétation est classique.

L'état de veille calme (stade III)

Il s'agit des moments d'éveil tranquilles, attentifs. Le nouveau-né a les yeux grands ouverts, brillants. Il regarde activement le visage qui lui sourit ou lui parle, et peut même suivre des yeux un objet coloré dès les premières heures de vie. L'enfant est conscient de son environnement : il bouge peu, mais il est attentif aux bruits, aux paroles, aux mouvements autour de lui. Il est sensible aux odeurs, reconnaît le visage de sa mère qu'il regarde de façon très intense, son visage devenant très expressif. S'il est très détendu, et doucement stimulé par une demande chaleureuse de communication, il lui arrive même de sourire, vrai sourire-réponse conscient et volon taire. Il peut imiter une mimique, tirer la langue ou arrondir la bouche, comme le lui montre sa mère ou un examinateur.
Cet éveil calme est, dans les premiers jours de vie, limité à quelques minutes, 3 à 5 en moyenne, et pas plus de deux ou trois fois par 24 heures. Puis le nouveau-né se fatigue, ne peut plus fixer son attention. Il va alors s'endormir ou, plus souvent, passer en état de veille agitée et manifester malaises et pleurs. Au fil des jours, il sera de plus en plus capable de prolonger ces périodes calmes, qui peuvent atteindre près de 30 minutes vers la fin du premier mois, et près de deux heures consécutives vers trois mois.
Le tracé électroencéphalographique est un tracé d'éveil, avec des ondes corticales rapides, mais ces ondes sont plus lentes que celles d'un éveil de type adulte.

Les états de veille agitée (stades IV et V)

Ce sont des moments de veille beaucoup moins conscients, beaucoup moins attentifs que l'état de veille calme. L'enfant se renferme en lui-même, suce son pouce ou sa langue, laisse flotter son regard, réagit peu et lentement si on lui parle. Ses paupières sont parfois à demi fermées. La respiration est irrégulière, le coeur rapide. Il retourne à son activité réflexe. Il donne souvent une impression de malaise, gémit un peu, grimace, bouge fébrilement bras et jambes, se replie sur lui-même en véritables spasmes. Et même, le plus souvent, il pleure, carrément, violemment, insensible à toute consolation.
Dans les premiers jours de vie, ces états de veille agitée sont beaucoup plus fréquents et prolongés que les états de veille calme. Puis peu à peu, au long des semaines, ils vont se réduire, avec de grandes variations d'un tout-petit à un autre. Pour certains enfants, ils ne sont presque plus repérables vers trois mois, sauf dans les minutes qui précèdent l'endormissement. Pour d'autres, ils restent une part importante de l'activité d'éveil. Moins bonne adaptation relationnelle à l'environnement, malaise persistant ou conditionnement génétique différent ? Il serait bien hasardeux de trancher...
A partir de ces définitions des différents états de vigilance du tout-petit, il nous est possible de décrire les principales étapes de développement du sommeil et de l'éveil. Une étude chronologique n'est peut-être pas la plus pertinente. Elle a pourtant l'avantage de la clarté et de bien schématiser l'évolution et la maturation.

Le sommeil du foetus

On savait depuis longtemps que le foetus présente des périodes d'immobilité et des périodes d'agitation, périodes complètement indépendantes du rythme de sa mère. Il n'est pas possible de trouver une corrélation entre les phases d'éveil de la mère et les mouvements de l'enfant non-né.
Deux méthodes nous permettent d'étudier le bébé foetal et ses états de vigilance:
  • L'enregistrement du rythme cardiaque foetal par monitorage obstétrical, bien connu dans les maternités françaises depuis 1970 environ. Ce rythme cardiaque n'a maintenant plus de secret pour les obstétriciens, qui savent reconnaître sur un tracé non seulement si l'enfant souffre ou va bien, mais aussi s'il dort, ou s'il est réveillé et s'il entend. (L'étude de l'audition se fait en sommeil calme.)
  • L'échographie abdominale, de pratique courante depuis 1975, permet de regarder un futur bébé dans sa bulle amniotique, d'observer même les mouvements fins comme les mouvements oculaires, les mouvements respiratoires, et, bien sûr, les mouvements corporels plus amples. Il est possible de filmer ces images échographiques pendant des heures, donc d'avoir une véritable observation clinique.
  • Par contre, il n'est pas possible, puisqu'on ne peut mettre d'électrodes sur sa tête, d'enregistrer l'électroencéphalogramme d'un bébé foetal. Seuls les enfants prématurés nous permettront d'approcher la réalité électrique du sommeil foetal.
L'étude échographique des mouvements f&brkbar;taux, réalisée par de nombreuses équipes obstétricales européen nes permet de dater l'apparition des différentes activités de façon extrêmement précise:
Age d'apparition des activités foetales
Battements cardiaques: 6-9 semaines
Mouvements du tronc (sursaut): 8 semaines
Mouvements isolés des membres: 9-13 semaines
Mouvements respiratoires:9-12 semaines
Mouvements de succion: 15 semaines
Mouvements coordonnés des 4 membres: 16 semaines
Mouvements oculaires lents: 16 semaines
Mouvements oculaires rapides: 19 semaines
Mouvements fins des doigts et des paupières: 20 semaines
Tous les mouvements corporels sont donc présents dès la 20e semaine de gestation, même les mouvements délicats de succion, d'ouverture et de fermeture des yeux.
L'étude simultanée de trois paramètres du sommeil: mouvements oculaires, mouvements corporels et rythme cardiaque, réalisée pour l'instant par deux équipes de recherche, permet de donner les grandes lignes du sommeil de l'enfant foetal:
  • Le bébé foetal est un gros dormeur. Il dort presque sans arrêt jusqu'aux dernières semaines de la grossesse, rien ne le réveille, et il dort même pendant l'accouchement. Les états de veille sont pratiquement absents.
  • Dès la 20e semaine, il existe déjà une alternance d'activité et d'immobilité; dont la périodicité est pratiquement identique à celle du futur cycle de sommeil. On ne peut pas parler encore de sommeil, au sens strict du terme, mais plutôt d'une sorte de sommeil indifférencié, presque une "dormance", terme dont nous avons vu la signification dans l'évolution des espèces.
  • Le sommeil agité apparaît le premier, vers 28 semaines de gestation (6 mois).
  • Le sommeil calme n'apparaît qu'à 30 semaines.
  • Ces deux sommeils alternent régulièrement à 36 semaines de gestation (8 mois).
  • Le sommeil de l'enfant est totalement indépendant de celui de sa mère.
  • Il existe déjà une certaine organisation circadienne de la vigilance: les foetus ont une période active, plus réveillée, entre 21 et 24 heures, moment où ils s'agitent de façon perceptible par la mère, donc dans la soirée, au moment où elle-même se repose. Ce rythme circadien foetal est probablement induit par des variations maternelles du taux de glucose sanguin et de la sécrétion du cortisol, puisqu'il disparaît après la naissance.
Figure 15 : Au cours des éveils avec mouvements corporels le rythme cardiaque est très variable...

Le sommeil du nouveau-né prématuré

C'est l'équipe de Colette Dreyfus-Brisac, à l'Hôpital de Port-Royal à Paris, qui réalisa les premières études à partir de 1956. Le sommeil du bébé prématuré est maintenant bien connu. Tous les centres de prématurés réalisent de façon systématique des électroencéphalogrammes. Ils permettent, en effet, non seulement de dépister d'éventuelles anomalies neurologiques, mais surtout d'évaluer l'âge de gestation du bébé prématuré, à une semaine près. Cette évaluation repose essentiellement sur l'analyse des ondes corticales au cours des différents états de vigilance.
L'étude des états de vigilance du prématuré repose sur trois paramètres:
  • l'étude du comportement, par observation directe dans la couveuse;
  • l'électroencéphalogramme, possible actuellement sur les plus petits prématurés viables, c'est-à-dire à 24 semaines (5 mois), bébés qui pèsent souvent moins de 800 grammes;
  • l'enregistrement polygraphique est possible vers 32 semaines, lorsque le prématuré est moins fragile.
Ce que l'on peut dire d'emblée, c'est que le développement du sommeil et de l'activité électrique du cerveau ne dépend ni du poids, ni de l'âge légal de l'enfant (âge de vie extra-utérine, donc depuis sa naissance). Il ne dépend que de son âge conceptionnel. Si un petit prématuré va bien, son sommeil va évoluer de la même façon que s'il était resté in utero. Par exemple, un nouveau-né prématuré de 28 semaines (né à 6 mois de gestation) aura à trois mois d'âge légal un électroencéphalogramme et une organisation de sommeil pratiquement identiques à ceux d'un nouveau-né à terme de quelques jours, donc conçu au même moment que lui. Sa vieille expérience de vie extra-utérine n'aura presque pas influencé la maturation de ses neurones et l'organisation de ses états de vigilance.
Nous pouvons succintement décrire les principales étapes de cette période.
  • A 24 semaines, le tout-petit prématuré dort. Il alterne de brèves périodes d'immobilité avec des phases d'agitation plus ou moins intenses, faites de mouvements brusques, de sursauts. Les yeux sont constamment fermés, les mouvements oculaires épisodiques. La respiration est irrégulière et souvent insuffisante, ce qui nécessite une ventilation artificielle. A ce stade, l'EEG est souvent complètement silencieux pendant plusieurs secondes, parfois même pendant une à deux minutes, pratiquement plat, avec quelques bouffées intermittentes d'activité.
  • Entre 24 et 27 semaines, toutes les caractéristiques comportementales du sommeil sont présentes, mais elles ne concordent pas. Il est impossible de décrire un état de sommeil calme, et un état de sommeil agité. Sur le tracé EEG les bouffées d'activité deviennent plus longues.
  • Vers 28 semaines, apparaissent les premières périodes de sommeil agité. L'activité électrique cérébrale, jusque-là discontinue (entrecoupée de tracés plats), va devenir permanente au cours des périodes de sommeil agité.
  • A 30 semaines, des périodes de sommeil calme vont être très bien individualisées.
  • A partir de 32 semaines, le pourcentage de sommeil agité et de sommeil calme par rapport au sommeil indifférencié va augmenter rapidement, et l'activité électrique corticale devient de plus en plus continue, permanente, mais le tracé reste peu actif pendant les rares moments d'éveil.
  • Vers 36 semaines, le bébé proche du terme présente de toutes petites périodes d'état de veille calme, les premières ! Il ouvre plus souvent les yeux, devient plus conscient. Son tracé EEG montre enfin une activité continue au cours de ces éveils calmes. Pendant ces dernières semaines avant le terme, la quantité de sommeil agité va être un peu plus importante que celle du nouveau-né à terme, aux environs de 65%.
Toute cette évolution, repérable de semaine en semaine, dépend de la maturation des neurones corticaux, de l'établissement des connexions qui les relient entre eux, et surtout qui les relient au cerveau profond. Elle est donc le reflet direct de la construction cérébrale du bébé.

Les états de vigilance pendant l'accouchement

La surveillance du rythme cardiaque foetal pendant l'accouchement est de pratique systématique dans la plupart des maternités de France depuis 1975 environ. Soit par capteur ultrasonique externe, soit, après l'ouverture de la poche des eaux, directement par une électrode sur l'enfant. Il est également possible, quand l'enfant se présente normalement tête en bas et dès que les membranes amniotiques sont rompues, d'enregistrer l'EEG à l'aide d'électrodes-ventouses posées directement sur le cuir chevelu.
Plusieurs études de l'électroencéphalogramme pendant l'accouchement ont ainsi été réalisées entre 1970 et 1980 aux États-Unis et en France. Nous avons participé, avec une équipe obstétricale lyonnaise, à l'une de ces études, basée sur l'analyse de plus de 100 tracés EEG, recueillis en cours d'accouchement.
Ce travail nous a permis d'affirmer que le bébé dort pendant l'accouchement et ne se réveille qu'au moment des contractions utérines les plus fortes et de l'expulsion. S'il dort, c'est qu'il va bien, c'est le signe d'un bien-être évident.
Cette étude nous a également montré que le premier signe de souffrance de l'enfant au cours de l'accouchement est son réveil. Tant qu'il est bien, il dort; s'il a un problème, il se réveille.
Enfin, et c'est là un point essentiel, cette étude a montré que les sédatifs donnés à la mère pendant l'accouchement dépriment très vite le système nerveux central du futur nouveau-né, avec des modifications évidentes de l'électroencéphalogramme.

Le sommeil du nouveau-né et du premier mois de vie

Schématiquement, le nouveau-né ne diffère de son alter ego foetal de la veille que par deux transformations peu importantes:
  • L'apparition de nombreux éveils au cours des 24 heures, probablement modulés par le rythme nouveau de la faim et de la satiété, mais pas uniquement, puisque ces éveils existent aussi chez les nouveau-nés malades alimentés en perfusion ou en gavages continus.
  • La disparition pour quelques semaines de l'ébauche de cycle circadien foetal, qui ne commencera à réapparaître de façon confuse que vers la fin du premier mois.
Nous ne reviendrons pas sur la description des états de vigilance de cette période. Nous allons plutôt tenter de donner les principales caractéristiques de cette période.
  • Un nouveau-né dort beaucoup, en moyenne 16 heures sur 24, mais il existe d'emblée des différences importantes. Certains bébés gros dormeurs dorment près de 20 heures, d'autres, petits dormeurs, auront besoin de moins de 14 heures sur 24, sans que cela soit anormal. D'ailleurs ces appellations de petits et gros dormeurs ne laissent en rien présager de l'avenir.
  • Les éveils sont essentiellement les premiers 30 jours des états de veille agitée, et rarement quelques brefs épisodes de veille calme. En d'autres termes, un nouveau né qui dort peu est souvent un bébé qui pleure beaucoup, ce qui n'est pas toujours facile à tolérer pour les parents et l'entourage.
  • Le nouveau-né ne connaît pas le jour et la nuit. Il est indifférent à l'environnement lumineux, et ses éveils se produisent indifféremment à n'importe quel moment. Le sommeil est morcelé en périodes ultradien nes de 3 à 4 heures, les premières périodes de sommeil un peu plus longues survenant au hasard, aussi bien le Jour que la nuit.
  • Le nouveau-né s'endort presque toujours en sommeil agité;. C'est l'une des caractéristiques fonda mentales de cette période puisque, nous l'avons dit, le sommeil de l'adulte commence, lui, toujours en sommeil lent. Ce sommeil agité suit généralement une phase d'éveil calme, et, bien souvent, une tétée. Les rares endormissements en sommeil calme se produisent après une longue et violente période de pleurs, pleurs qui n'ont pas permis le passage vers l'hypotonie et la détente du sommeil agité.
  • Les cycles de sommeil sont courts, constitués d'une phase de sommeil agité, suivie d'une phase de sommeil lent. Un cycle dure en moyenne 50 à 60 minutes (rappelez-vous, le double chez l'adulte: 90 à 120). L'enchaînement de trois ou quatre cycles permet un sommeil de 3 à 4 heures consécutives, rarement plus, pendant le premier mois. Il existe donc 18 à 20 cycles de sommeil par 24 heures, inégalement répartis en phases de som meil plus ou moins longues, et sans périodicité diurne ou nocturne.
  • Le sommeil agité représente 50 à 60 % du sommeil total et peut atteindre 8 à 10 heures par jour chez le nouveau-né à terme, alors que le rêve n'occupera plus que 20 à 25 % du temps, deux heures environ, de notre sommeil d'adultes.
Une telle part relative de sommeil paradoxal chez le tout-petit, moment de construction cérébrale majeure, est à l'origine des plus grandes hypothèses concernant la fonction du sommeil paradoxal et du rêve.
Figure 16 : Modifications en fonction de l'âge

L'enfant de 1 à 6 mois

C'est certainement le moment de la vie où le sommeil évolue le plus rapidement, période de transition absolue entre le sommeil du nouveau-né et celui de l'adulte, avec trois composantes fondamentales:
  • l'apparition d'une périodicité jour-nuit;
  • la maturation électroencéphalographique des ondes de sommeil;
  • l'apparition de rythmes circadiens de la température, du pouls, de la respiration et des sécrétions hormonales.
L'apparition d'une périodicité jour-nuit survient spontanément vers la fin du premier mois. Quelques périodes de sommeil plus longues, pouvant atteindre 6 heures consécutives, se manifestent la nuit; les éveils journaliers s'allongent un peu. Progressivement, cette tendance s'améliore, l'enfant devenant capable d'un sommeil nocturne de 9 heures vers l'âge de 3 mois et de 12 heures entre six mois et un an. Evidemment, il y a là encore de grandes variations individuelles, et ces chiffres n'ont valeur que d'information moyenne, pas de recette.
Dans le même temps, la qualité du sommeil change. Le sommeil agité des premiers jours, très instable, léger, vulnérable, entrecoupé de fréquents éveils et de mouvements corporels, va progressivement laisser la place à plus de sommeil calme, stable. Le sommeil agité, qui représentait 50 à 60 % du sommeil total à la naissance, ne représente plus que 27 % à six mois, donc un chiffre proche de celui de l'adulte.
Vers deux mois, le sommeil calme devient transitoirement plus profond, avec diminution temporaire des possibilités d'éveil. Puis, il s'allégera un peu, entre deux et quatre mois, et-il va être possible d'individualiser, sur le tracé électroencéphalographique, plusieurs stades, équivalents électriques déjà en place, du sommeil lent léger et du sommeil lent profond de l'adulte.
L'apparition progressive des rythmes circadiens est l'élément capital de toute cette période. Nous en savons encore peu de choses.
P. Hellbrugge en a étudié la genèse sur les principaux rythmes de température, de fréquence cardiaque et des diverses fonctions du rein. Il a pu montrer que des différences nettes de ces fonctions entre les valeurs maximales et minimales, diurnes et nocturnes, apparais sent progressivement après la 4e semaine de vie et l'âge de 4 mois. L'amplitude de ces fonctions augmentera ensuite lentement entre le 5e et le 9e mois.
Les études de cette maturation des rythmes circadiens, par l'analyse minutieuse des comportements quotidiens de veille et de sommeil, n'ont concerné jusqu'à maintenant qu'un très petit nombre de nourrissons normaux, en bonne santé. Par contre, les services de réanimation d'enfants nous apportent des renseignements importants sur ce qui se passe dans des conditions presque expérimentales: enfants nourris par sonde gastrique continue (pour des troubles digestifs graves), enfants vivant en éclairage constant (dans les services de soins intensifs).

Qu'apprenons nous de ces études ?

  • Le premier signe d'apparition d'un rythme circadien est la survenue, entre 3 et 4 semaines de vie, d'une longue phase quotidienne d'éveil, éveil qui se situe très souvent entre 17 et 22 heures. Le plus souvent, c'est un moment d'éveil agité, très agité même, avec des pleurs incoercibles pouvant durer plusieurs heures. Ce point est capital à connaître, car presque toujours ces signes sont interprétés à tort comme des signes de faim ou de douleur abdominale. Nous y reviendrons longuement page 119. Nous ne pouvons, par contre, pas encore dire si les bébés dont le malaise du soir se situe plutôt vers 17 heures seront des "couche-tôt", et si les futurs "couche-tard" hurlent plutôt en fin de soirée. Question toute bête, à laquelle nous ne pouvons apporter de réponse.
  • Les rythmes qui s'installent sont encore presque indépendants de l'environnement. Ils sont peu influencés par le rythme, libre ou non, de l'alimentation, et par l'alternance du jour et de la nuit, puisqu'ils surviennent même chez les enfants élevés en éclairage artificiel constant.
  • Ce rythme circadien, indépendant de l'environnement, est un rythme endogène, inné, régulé par une horloge interne. Il n'est donc pas étonnant, si vous avez compris ce que nous avons dit au chapitre précédent, qu'il s'installe sur 25 heures. L'enfant de 1 à 4 mois vit en "libre cours", tout comme le chercheur, dans sa grotte, vit sur son rythme endogène de 25 heures. Ses périodes de veille et de sommeil se décalent donc régulièrement tous les jours d'une heure sur l'horaire extérieur.
  • Après 4 mois, le nourrisson devient plus dépendant de son environnement. Il va peu à peu synchroniser ses rythmes endogènes avec les rythmes extérieurs. L'alternance du jour et de la nuit, donc le respect de la luminosité du dehors, la régularité des repas, des moments de jeux, de promenade, d'échanges avec l'entourage, vont l'aider à réussir son adaptation et à faire disparaître les éveils de nuit prolongés.
LA CONCLUSION LOGIQUE DE TOUTES CES DONNEES nous paraît évidente. Cette période est un moment charnière de transformation, de synchronisation des rythmes, de maturation électrophysiologique. Toutes ces évolutions en font une période vulnérable, fragile. Dans toute la mesure du possible, il serait souhaitable d'éviter les manques de sommeil, les réveils intempestifs, les horaires perturbés et, bien sûr, les décalages horaires...
Figure 17 : Développement des rythmes circadiens veille/sommeil

L'enfant entre 6 mois et 4 ans

L'enfant de six mois à quatre ans va réduire progressivement son temps de sommeil diurne, passant de 3 à 4 siestes journalières vers 6 mois à 2 vers 12 mois, puis à une seule vers 18 mois, moment où disparaît celle du matin, tandis que s'allonge un peu celle de l'après midi.
Il dort en moyenne 15 heures vers six mois et ne diminuera cette quantité globale de sommeil que très lentement, au fil des années. Elle sera encore fréquemment de 13 ou 14 heures de sommeil vers 4 ans.
Les endormissements se font comme pour l'adulte, en sommeil lent, avec l'apparition de la rythmicité déjà décrite, de plus de sommeil lent profond en début de nuit, et plus de sommeil lent léger et de sommeil paradoxal en fin de nuit.
Deux caractéristiques de cette période méritent d'être signalées:
  • La période de 6 mois à 4 ans est celle des difficultés du coucher. L'enfant, plus conscient de lui-même et de son environnement, commence à redouter la séparation, teste les réponses et "volontés" de son entourage, cher che ses limites en s'opposant. Il a aussi peur, parfois, de s'abandonner au sommeil qui représente l'éventualité de mauvais rêves, cauchemars ou hallucinations hypnagogiques. Bien sûr, nous retrouverons toutes ces données dans les chapitres suivants.
  • La période de 6 mois à 4 ans est surtout l'âge des éveils multiples de seconde partie de nuit. Ils sont fréquents, parfois après chaque cycle au-delà de minuit.
Des études estiment à 40 et 60 % les enfants qui se réveillent à 18 mois, et 20% d'entre eux se réveillent plusieurs fois chaque nuit.
Ces éveils peuvent être longs, surtout vers l'âge de 7-8 mois. L'enfant reste calme dans son lit, les yeux ouverts, joue avec son ours ou sa couverture, puis se rendort.
Ces éveils nocturnes sont une composante normale du sommeil de cet âge-là. Ils ne posent problème que si l'enfant réveille ses parents, exige un biberon ou d'être bercé, donc s'il a besoin de l'intervention de quelqu'un d'autre pour se rendormir.

L'enfant de 4 à 12 ans

Cette période est habituellement une période simple. L'enfant, très vigilant dans la journée, est en pleine forme, ne cherche pas à dormir, est souvent considéré comme "increvable" par les parents ou les moniteurs de colonies de vacances. Il s'endort très vite le soir, a un sommeil calme, très profond. La durée de chaque cycle de sommeil atteint la durée des cycles d'adulte.
Par contre, le temps total de sommeil se réduit. Pour la première fois dans l'histoire de l'enfant, la durée totale de sommeil par 24 heures devient inférieure à 12 heures. Cette réduction est, initialement, presque entièrement liée à la disparition du sommeil de jour, donc de la sieste.
Après 6 ans, on observe un retard progressif de l'heure du coucher, qui est aux environs de 20 heures vers 5-6 ans, 21 heures vers 8 ans, et 22 heures au début de l'adolescence. L'heure du lever, par contre, reste assez fixe.
Ces chiffres sont assez stables pour un même enfant, mais il existe d'un enfant à l'autre des variations importantes, certains enfants dormant deux heures de moins par nuit que d'autres.
A partir de 4-6 ans, le sommeil devient uniquement nocturne. Certains enfants arrêtent la sieste dès 4 ans, d'autres en ont besoin jusque vers 6 ans, mais tous ont encore besoin d'un moment de repos entre 11h30 et 15 heures (moment universel de faible vigilance ). La disparition de la sieste, qui se faisait en sommeil lent, entraîne un déficit relatif en sommeil lent. Celui-ci va se compenser par l'augmentation du sommeil lent profond en début de nuit. Du coup, le premier cycle de sommeil ne comporte souvent pas de phase de sommeil paradoxal, et l'enfant enchaîne deux cycles successifs de sommeil lent, représentant 140 minutes continues, alors que l'enfant plus jeune ou l'adulte ne dépassent pas 70 à 90 minutes.
Au cours de ce sommeil profond de début de nuit, l'enchaînement de sommeil lent, la difficulté d'alléger ce sommeil peuvent entraîner un certain nombre de troubles: terreurs nocturnes, accès de somnanbulisme, énurésie. Tous ces signes sont des manifestations banales liées à la prépondérance du sommeil lent profond en début de nuit, au fait que ce sommeil n'arrive pas à s'alléger, et que l'enfant "rate" son passage en sommeil paradoxal. Ce qui produit des manifestations motrices involontaires, inconscientes, impressionnantes pour l'entourage, mais dont l'enfant ne gardera aucune trace, aucun souvenir, si on ne le réveille pas. Il s'agit pour lui d'emballements moteurs purs, sans composante psychologique. Il n'est donc pas inquiétant dans cette tranche d'âge.

Le sommeil de l'adolescent

Les rythmes veille-sommeil de l'adolescent sont soumis à de nombreuses contraintes: scolaires, environnementales. L'adolescent aime sortir, il aime regarder la télévision, il aime se coucher tard et bavarder toute une nuit.
Or, à ce stade, intervient un premier phénomène essentiel: l'allégement du sommeil profond. Le début de nuit est plus instable, le sommeil plus léger. Il entend pour la première fois depuis des années ses parents venir lui dire bonsoir au moment de leur coucher. Ce sommeil plus léger s'accompagne souvent de difficultés d'endormissement, donc d'un retard du coucher, favorisé de plus par de nouvelles habitudes sociales.
Il s'ensuit une réduction du sommeil nocturne qui atteindra près de 2 heures entre 12 et 20 ans. Or les besoins physiologiques réels en sommeil ne diminuent pas. Il y a donc déficit chronique en sommeil.
Pour rattraper ce retard, l'adolescent allonge ses matinées de sommeil chaque fois qu'il le peut, en particulier le week-end. Les horaires de sommeil deviennent irréguliers. Les chercheurs américains Anders et Carkasdon ont montré qu'il existait chez l'enfant de 13 ans une différence de 4 minutes temps moyen de sommeil entre les jours scolaires jours non scolaires.
Autre point intéressant: la diminution du sommeil lent profond se fait au profit du sommeil lent léger, puisque le sommeil paradoxal reste constant entre 10 et 20 ans.
Le deuxième point caractéristique de l'adolescence est la réapparition épisodique des siestes qui, nous l'avons dit, avait totalement disparu dans la tranche d'âge précédente. Ces siestes ne sont pas seulement liées à un déficit social en sommeil. Pour Simonds, 22,7 % des jeunes entre 15 et 18 ans font la sieste, et ce besoin de sieste persiste, même quand ils ont pu dormir aussi longtemps qu'ils le voulaient.
Les modifications de structure du sommeil à l'adolescence sont importantes à comprendre, car elles expliquent certains troubles du sommeil. C'est le moment où débutent certaines insomnies d'endormissement, où apparaissent certains retards de phase, en particulier chez les adolescents phobiques scolaires qui ne s'endorment pas avant 2 ou 3 heures du matin et dont le sommeil se décale progressivement au cours de la journée. C'est également à cet âge qu'apparaissent les somnolences diurnes et certaines hypersomnies pathologiques.
Par contre, l'allégement du sommeil lent s'accompagnera de la disparition des énurésies de la première partie de nuit, des terreurs nocturnes et, après 14 ans, du somnambulisme.
Trois tableaux permettent de résumer toutes les données capitales de ce chapitre. Nous vous conseillons de vous y reporter aussi souvent que nécessaire au cours de la lecture de la deuxième partie de ce livre, concernant la pédiatrie du sommeil. Si toutes les informations de neurophysiologie que nous venons de décrire sont bien comprises, vous verrez que la conduite pratique qui en découle est extrêmement simple, logique, et que la "guidance du sommeil" ne devrait pas être la source de difficultés relationnelles majeures entre un enfant et ses parents.

ORGANISATION DU SOMMEIL COMPARAISON ENTRE ADULTE ET NOUVEAU-NÉ

 AdulteNouveau-né
Temps de sommeil par 24 heuresMoyenne 8 heuresMoyenne 16 heures
Organisation des etats de vigilanceCircadienne
nocturne
4 a 6 cycles
Ultradienne
diurne et nocturne
18 à 20 cycles/24 h
9 à 10 cycles nocturnes
EndormissementSommeil lent Sommeil agité
Durée du cycle de sommeilS. lent + S. paradoxal
= 90 à 120 mn
S. agité + S. calme
= 50 à 60 mn
Pourcentage S. paradoxal / S. agité20 - 25 % 50 - 60 %
Organisation des differents stades de sommeil4 stades de S. lent
III,IV prédominent
1e tiers de la nuit
S. paradoxal prédomine
3e tiers de la nuit
1 seul stade
de S. calme
pas de différence
entre 1e et 2e
parties de la nuit
Figure 18 : Durée moyenne du sommeil
Figure 19 : Horaire des manifestations apparaissant au cours du sommeil
PAUSE RESPIRATOIRE CENTRALE
Elle correspond à la suppression des informations émises par les centres respiratoires du bulbe. Cette pause respiratoire se traduit par un arrêt des mouvements respiratoires du thorax et de l'abdomen, par un tracé plat des dérivations respiratoires, des voies aériennes supérieures et thoracoabdominales.
PAUSE RESPIRATOIRE OBSTRUCTIVE
Elle correspond à une obstruction au niveau des voies aériennes supérieures. Elle se traduit par un arrêt respiratoire au niveau du nez et de la bouche, alors que les mouvements du thorax et de l'abdomen augmentent pour lutter contre l'obstruction.

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