mardi 28 décembre 2010

La physiologie du sommeil

Le déroulement d'une nuit de sommeil humain, avec l'alternance régulière de sommeil calme à ondes lentes (SL) et de sommeil paradoxal (SP), est de description assez récente, se situant vers le milieu des années cinquante. Cette périodicité et, surtout, l'association quasi systématique des souvenirs de rêves au sommeil paradoxal, ont été les facteurs décisifs de l'essor des recherches sur le sommeil.
L'approche pluridisciplinaire a été et reste indispensable pour l'étude du cycle veille-sommeil-rêve. Les connaissances actuelles permettent d'élaborer des schémas de régulation des états de vigilance qui débouchent sur une approche diagnostique et thérapeutique renouvelée des insomnies et des troubles du sommeil.

LE CYCLE VEILLE-SOMMEIL-RÊVE

Après une période d'éveil au cours de laquelle l'activité électrique cérébrale (électroencéphalogramme ou EGG) est rapide (>20Hz) et de faible amplitude (50µV), le sujet présente les signes précurseurs du sommeil : bâillements, clignements des paupières, inattention à l'environnement. Si la personne résiste au sommeil, l'envie de dormir passe au bout d'un quart d'heure et revient une à deux heures plus tard. Si la personne suit ces signaux indicateurs, elle se couche et prend une posture permettant un relâchement musculaire optimal (sur le coté, sur le dos ou à plat ventre). Cette posture varie avec la température ambiante. Elle est en boule (chien de fusil) au froid et allongée au chaud. Ces variations témoignent de la régulation comportementale réflexe de l'homéothermie.
L'endormissement et le sommeil calme se caractérisent par la fermeture des paupières, l'immobilité et le ralentissement progressif des fonctions végétatives (respiration, fréquence cardiaque, température, tonus musculaire). L'EEG permet de distinguer quatres stades (1 à 4) selon la profondeur du sommeil jugée sur la présence plus ou moins importante d'ondes lentes (0,5-4 Hz) de grand amplitude (300 µV). On parle alors de sommeil lent ou synchronisé. Ce sommeil calme dure 60 à 75 minutes. C'est au cours du sommeil profond que sont sécrétées l'hormone de croissance et la prolactine.
Puis survient le sommeil dit paradoxal car il associe des signes de sommeil profond (atonie musculaire, seuils d'éveil élevés) et des signes d'éveil (EEG rapides, mouvements oculaires, respiration irrégulière). Certains signes sont continus pendant toute la durée du sommeil paradoxal (SP), comme l'activité EEG rapide et l'atonie musculaire, d'autres sont intermittents, "phasiques", comme le mouvement des yeux de la face et des extrémités des membres. Le SP a une durée moyenne de 15 à 20 minutes. C'est au cours du sommeil paradoxal que survient préférentiellement le rêve, comme celaa été mis en évidence par les souvenirs de rêves racontés par le sujet humain réveillé pendant cette phase de sommeil.
Ainsi un cycle de sommeil dure environ 90 minutes. Après un bref éveil, un autre commence. Au cours d'une nuit 3 à 5 cycles de sommeil peuvent se succéder, selon la durée du sommeil. La présence de brefs éveil à la fin des cycles (au total 12-15 minutes) est tout à fait normale. La plupart du temps, la personne ne se souvient pas de ces éveils, le matin au lever. A l'opposé certaines personnes âgées ne se souviennent que de ces éveils et croient qu'elles n'ont pas "fermé l'oeil" de la nuit.
Influences de l'hérédité et de l'environnement
L'étude du sommeil dans la série animale (phylogenèse) a mis en évidence la présence de cycles complets de sommeil (SL et SP) uniquement chez les vertébrés supérieurs (oiseaux et mammifères). Les durées du SL et du SP sont très variables non seulement d'une espèce à l'autre mais aussi à l'intérieur d'une espèce donnée. Ainsi chez l'homme adulte, la durée physiologique du sommeil varie de 3 à 12 heures selon les individus. On connaît l'influence de l'environnement physique (température, lumière), social (stress, apprentissage) et l'alimentation sur les durées de sommeil. Cependant ces influences n'expliquent pas toute la variabilité observée.
Les requêtes épidémiologiques ont montré qu'il y avait des familles de petits, moyens ou grands dormeurs. La plupart des familles sont "hybrides" avec un parent petit dormeur et l'autre grand dormeur. Chez les enfants de ces familles, on retrouve des petits, des moyens et des grands dormeurs avec les proportions prévues par les lois de la génétique. L'étude des jumeaux vrais (monozygotes) a mis en évidence que l'organisation (durée des cycles) et les durées des phases de sommeil étaient semblables. La ressemblance va jusqu'au même nombre de mouvements des yeux au cours du sommeil paradoxal...
Chez l'animal, en utilisant des lignées pures de souris (populations de jumeaux monozygotes), on a pu montrer l'existence de facteurs héréditaires dans le déterminisme des durées de sommeil, du rythme circadien, du nombre des mouvements oculaires du SP, ainsi que du taux de récupération après une privation de sommeil. Ces résultats ouvrent des perspectives vers la biologie moléculaire du sommeil, tout en sachant que l'existence d'un gène unique du sommeil est du domaine de l'utopie, étant donné la complexité de la régulation des deux états de sommeil.
Ainsi, la tendance à dormir plus ou moins, à être du soir ou du matin, est héritée de nos parents, comme la taille ou la couleur des cheveux. L'influence de l'environnement et de l'éducation module cette hérédité. Le sommeil d'une personne donnée est unique. C'est donc à chacun de connaître la durée de sommeil dont il a besoin pour être reposé et en pleine forme, ainsi que les effets d'un manque de sommeil pour pouvoir se ménager des plages de récupération.
Voir aussi : La génétique du sommeil et du rêve - Jean Louis Valatx

PHYSIOLOGIE DU CYCLE

Éveil
Depuis les observations de Von Economo en 1926 lors de l'épidémie d'encéphalite léthargique, de nombreux travaux ont essayé de localiser un "centre" de l'éveil.
L'utilisation récente de substances neurotoxiques, provoquant la dégénérescence spécifique d'une catégorie de neurones, fit s'effondrer de nombreuses certitudes accumulées avec des techniques moins performantes. Actuellement, l'éveil n'est plus considéré comme l'expression d'un centre, mais d'un réseau assez complexe d'une dizaine de groupes de neurones répartis du cerveau antérieur (hypothalamus) au bulbe rachidien. Dans ce réseau l'information circule d'un neurone à l'autre grâce aux transmetteurs comme l'acetylcholine, le glutamate, la sérotonine, la dopamine, la noradrénaline ou l'histamine. Ces neurones de l'éveil diminuent ou arrêtent leur activité pendant le sommeil.
On comprendra ainsi que les médicaments qui bloquent ces neurotransmetteurs soient des substances qui diminuent la vigilance comme les antihistaminiques.
Endormissement
Le réseau d'éveil, une fois activé, est entretenu par les stimulations internes et externes. Comment l'envie de dormir est-elle à nouveau déclenchée ? L'arrêt des stimulations ne semble pas suffisant. L'endormissement est la résultante d'un mécanisme généré par l'éveil lui-même que l'on peut appeler système anti-éveil. En effet les neurones à sérotonine, en plus de leur participation au réseau de l'éveil, envoient des prolongement dans une région du cerveau antérieur (aire préoptique) qui synthétise une ou des substances qui, en bloquant le réseau de l'éveil, permettent au réseau du sommeil de fonctionner.
Le système anti-éveil est un processus de régulation prédictif. Il est situé à un carrefour stratégique contrôlant des fonctions vitales : thermorégulation , faim, reproduction, etc... Il intégrerait l'état fonctionnel de l'organisme et déclencherait le sommeil avant son épuisement, à un moment précis du nycthémère indiqué par l'horloge biologique.
Le sommeil calme à ondes lentes
L'étude de l'activité électrique cérébrale a permis de mettre en évidence un réseau responsable des ondes lentes, situé dans le cerveau antérieur. Il fonctionne comme un pacemaker, en permanence s'il n est pas inhibé par des éléments du réseau de l'éveil.
Le sommeil paradoxal
Pour chacun des paramètres du sommeil paradoxal, ont été identifiés des groupes de neurones particuliers constituant le système exécutif. Par exemple, l'atonie musculaire n'est pas un relâchement passif des muscles, mais la conséquence du blocage des motoneurones spinaux par la glycine, transmetteur inhibiteur libéré sous l'influence de neurones du cerveau postérieur. La lésion de ces neurones supprime la paralysie musculaire sans modifier la survenue et la durée du sommeil paradoxal. Il est alors possible d'observer le comportement onirique.
Ce réseau du sommeil paradoxal, comme celui du sommeil calme, fonctionnerait en permanence s'il n'était pas bloqué par des éléments de l'éveil. Ce contrôle est particulièrement strict pour empêcher le sommeil paradoxal de se manifester en dehors du sommeil. Cependant, ce contrôle n'est pas encore mis en place chez le foetus ce qui permet d'expliquer l'hypersomnie en sommeil paradoxal (80% du temps) observée au cours de la deuxième moitié de la gestation.

MODÈLE DE RÉGULATION DU CYCLE

Le détail des mécanismes de chaque état de vigilance devient de plus en plus complexe. Cependant, on peut résumer la régulation du cycle veille-sommeil-rêve par un schéma très simplifié. Il comprend cinq éléments : les deux pacemakers du sommeil, le système d'éveil inhibiteur du sommeil avec son frein pour l'endormissement et l'horloge biologique pour le rythme circadien (voir figure).
L'alternance sommeil lent-sommeil paradoxal (rythme ultradien) semble avoir un support métabolique. Au cours du sommeil paradoxal, le cerveau consomme autant de glucose et d'oxygène que pendant l'éveil. La durée du rêve est ainsi dépendante des réserves énergétiques disponibles. On sait que l'hypoxie de haute altitude réduit le temps de sommeil paradoxal. A l'opposé, pendant le sommeil lent se produit une économie d'énergie (diminution du métabolisme général et de la température corporelle) associée à la reconstitution des réserves énergétiques grâce à la synthèse cérébrale de glycogène et de protéines.
L'éveil est la conséquence de deux mécanismes parallèles, l'inhibition du sommeil et l'activation neuronale généralisée. L'activation du réseau de l'éveil est entretenue par l'éveil lui-même. L'observation empirique montre que lorsque les motivations positives sont suffisamment fortes, il est possible de rester éveillé plus que d'habitude, sans fatigue excessive. L'inhibition du sommeil semble être exercée par un circuit propre à chaque état de sommeil.
L'existence d'un contrôle séparé du sommeil lent et du sommeil paradoxal suggère quelques spéculations en relation avec les fonctions prêtées à chaque état de sommeil. Ainsi, un exercice physique intense et une charge thermique élevée pendant l'éveil sont plutôt suivis par une augmentation du sommeil lent. Pour le sommeil paradoxal, sa durée est augmentée à la suite de situations nouvelles, inhabituelles, mettant en jeu la survie comme les séances d'apprentissage dans un labyrinthe ou le stress d'immobilisation de courte durée. En rejouant son répertoire génétique pendant le sommeil paradoxal, l'animal y confronte sa nouvelle expérience pour trouver des éléments de réponse. Lorsque l'apprentissage est maîtrisé ou lorsque l'animal est habitué au stress répété, le sommeil revient aux valeurs de contrôle. La privation de sommeil perturbe l'acquisition de la maîtrise de ces situations de survie (voir aparté).
Chez l'homme, la suppression prolongée du sommeil paradoxal par les inhibiteurs des mono-amine-oxydases (IMAO) ne semble pas perturber la mémorisation. Cependant, les batteries de tests utilisés pour apprécier les troubles de la mémoire ne mettent pas le sujet dans des conditions de survie analogues à celles de l'animal.

CONCLUSION

La régulation du cycle veille-sommeil-rêve apparaît de plus en plus complexe . L'approche pluridisciplinaire allant de la biologie moléculaire au comportement est indispensable pour en comprendre les mécanismes. Avec l'influence de l'environnement physique et social, le sommeil est un excellent modèle de physiologie intégrée. Cependant, l'accumulation des connaissances sur les structures et les mécanismes n'a pas encore permis de déduire avec certitude, une fonction au sommeil paradoxal/rêve apparu assez soudainement dans l'évolution (oiseaux,mammifères). Actuellement la recherche de la fonction du sommeil et du rêve s'appuie sur l'étude des hypersomnies induites pharmacologiquement, plutôt que sur les privations de sommeil dont il est difficile de contrôler tous les facteurs . L'hypno-onirologie sera encore une discipline active au XXIe siècle...
Schéma de la régulation du cycle veille-sommeil-rêve et des insomnies
Les pacemakers du sommeil lent et du sommeil paradoxal sont sous le contrôle inhibiteur de l'éveil. L'éveil, réseau complexe de structures multiples et redondantes , est entretenu par les stimulations de l'environnement et du milieu interne.
L'endormissement est le résultat du blocage de l'éveil à un moment donné du nycthémère (horloge biologique)(C) par un système anti-éveil situé dans l'hypothalamus et mis en route par des composantes de l'éveil, la sérotonine (5-HT).
La presque totalité des insomnies est un trouble de l'éveil. Les causes les plus fréquentes sont le maintient de la stimulation du réseau de l'éveil (A). Un hypo-fonctionnement du système anti-éveil (B) est à rechercher. Un dérèglement de l'horloge biologique peut entraîner une réduction du temps de sommeil si la personne a des horaires de travail contraignants.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  1. Benoit O., Foret J.
    Le sommeil humain: bases expérimentales, physiologiques et physiopathologiques.
    Paris: Masson, 1995 : 232 p.
  2. Jouvet M.
    Le sommeil paradoxal est-il le gardien de l'individuation psychologique ?
    Rev. Can. Psychol., 1991; 45: 148-68.
  3. Valatx J.L.
    Régulation du cycle veille-sommeil.
    In: Benoit O, Foret J. Le sommeil humain. Paris: Masson, 1995: 25-37.
LE MANQUE DE SOMMEIL
Tout le monde a fait l'expérience d'une ou plusieurs nuits blanches. Au cours de la journée qui suit, différents signes peuvent être observés. Le premier est l'irritabilité accrue, c'est-à-dire que la personne supporte mal les contraintes ou les contrariétés et "s'énerve", se met en colère plus facilement. Cette personne en manque de sommeil a de la difficulté à se concentrer sur son travail plus de cinq minutes et éprouve le besoin de bouger constamment. Ce défaut d'attention a des conséquences évidentes sur l'apprentissage et la mémorisation. Si le manque de sommeil est plus important, des troubles visuels peuvent apparaîtrent comme se croire en plein brouillard ou voir des objets inexistants (hallucinations). Les navigateurs solitaires en compétition ont tous signalé ce phénomène. Certains ont vu une vache sur le pont ou le TGV en plein Atlanlique.
Un trouble, connu depuis l'antiquité, est l'augmentation de la suggestibilité. La personne exécute des ordres qu'elle ne ferait pas en temps normal. La privation de sommeil est utilisée par toutes les polices du monde pour faire signer des aveux. Certaines personnes résistent mieux que d'autres au manque de sommeil.
Une autre manifestation du manque de sommeil, peu connue, est l'amnésie du futur. La personne a des difficultés se projeter dans le futur, à faire des projets nouveaux. Elle répète ce qu'elle a fait la veille. Elle ne voit pas les conséquences lointaines de ses actes. L'accident de la navette Challenger en 1986 en est un exemple tragique. Le responsable de la salle de contrôle n'a pas arrêtéle compte à rebours du lancement quand un technicien lui a signalé une fuite de carburant qui s'est révélée par la suite à l'origine de l'accident. Il n'a pas évalué les conséquences de cette fuite. L'enquête a montré que ce responsable n'avait dormi que deux heures les jours précédents. D'autres manifestations végétatives peuvent également être observées, comme une hypothermie relative (les personnes ont froid) ou une hyperphagie.
Quand la personne peut redormir, la durée du sommeil est augmentée, on parle de rebond de sommeil. Selon les stimulations utilisées pour maintenir la personne éveillé, l'augmentation portera soit sur le sommeil calme, soit sur le sommeil paradoxal. Les différents troubles décrits ci-dessus disparaissent après une a deux nuits de récupération. Une privation partielle de sommeil d'une ou deux heures chaque nuit peut entraîner à la longue les mêmes troubles.
C'est un risque chez l'adolescent couche-tard et grand dormeur. Devant l'irritabilité, l'instabilité psychomotrice, les troubles de l'attention (à l'origine d'un échec scolaire), il faut savoir évoquer le manque de sommeil avant de classer le jeune comme caractériel. Un signe évocateur est le retour d'un comportement "normal " après une semaine de vacances ou l'adolescent peut dormir jusqu'à midi. Actuellement, les effets du manque du sommeil se manifestent chez les enfants de plus en plus jeunes. Ils sont en cela un vrai problème d'éducation.

Jean Louis Valatx

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