mardi 28 décembre 2010

L'histoire naturelle du rêve. Conférence de Michel Jouvet

Théorie métaphysique du rêve

L'Histoire du Rêve se déchiffrait autrefois par les messages des Dieux et des Démons. Elle se continue par les essais de décryptage des contenus oniriques en terme psychologique. Elle est devenue, il y a 30 ans, l'histoire d'un état neurobiologique qui n'intéresse que les vertébrés homéothermes.
Cette longue histoire remonte aux origines de l'homme : combien de temps a-t-il fallu devant la répétition nocturne de l'imagerie fantastique du rêve pour que jaillisse l'interrogation capItal.e qui est à l'aube de l'humanité ? Il doit exister quelque chose d'immatériel, l'Esprit ou l'Ame, qui sont fondamentalement différents du corps matériel. L'esprit infatigable et invisible peut en effet rester éveillé pendant le sommeil. Il voyage où il veut dans l'espace et le temps et délivre au cerveau les images oniriques de son périple pendant que le corps fatigué est écrasé par le sommeil. Esprit, donc immortalité, donc sépulture! Ainsi l'aspect fantastique du rêve aurait été selon J. Lublock, H. Spencer et Malinovski à la base de la croyance dans l'Ame et l'Esprit que l'on retrouve sous de nombreux avatars à la naissance de toutes les civilisations et de toutes les religions.
Le courant métaphysique du rêve persiste encore aujourd'hui. Ainsi les fellahs du Delta du Nil s'enveloppent la tête avec un turban pour empêcher leur Ame de quitter leur crâne au cours du sommeil et, chez les tribus Masai du Kenya, il est interdit de réveiller brusquement un dormeur de peur que son Esprit qui vagabonde ne puisse réintégrer son corps.
C'est à ce courant métaphysique qu'il faut rapporter les rêves prophétiques : Le songe de Jacob, de Pharaon et de Nabuchodonosor dans l'Ancien Testament. Le songe de Joseph, des Mages et de la fuite en Egypte dans le Nouveau Testament. Bien sûr, les fondateurs d'ordres religieux devaient être en relation privilégiée avec Dieu par l'intermédiaire du rêve. Ainsi en fut-il de Macaire, François d'Assise, Don Bosco, Saint Bruno. Bien sûr également, les Hommes de Guerre ne pouvaient vaincre que par l'oracle des rêves : Xerxés avant sa Campagne de Grèce et bien d'autres !
Ainsi la communication avec le futur fait-elle partie de nos structures mentales. C'est pourquoi nous constatons le succès, toujours renouvelé depuis Artémidore et la Cabale, des clefs des songes et des oniromanciens.

Les théories psychologiques

Cependant, alors que le courant métaphysique perdait de sa force, un autre courant, psychologique, allait croître et s'intéresser au rapport du rêve, (toujours considéré comme phénomène intemporel au cours du sommeil) avec les souvenirs, la personnalité, les stimuli externes au cours du sommeil.
Initié par Aristote, pour qui le rêve n'est que l'activité de l'Esprit au cours du sommeil (sans y voir une quelconque communication avec Dieu), le courant psychologique va grandir à la fin du XVIIe siècle et au cours du XIXe siècle. Il est impossible de citer ici les différentes théories du rêve qui virent le jour. Pour les uns, les sensations kinesthésiques de nos membres, les stimuli externes ou internes sont les sources des hallucinations du rêveur . Ainsi, pour Bergson, l'image onirique serait due à une image rétinienne (entoptique).
Peu à peu, la mode d'étudier ses propres rêves gagne le monde scientifique. Des concours ont lieu dans différentes Académies. Delage, déjà bien connu grâce à ses controverses avec Darwin sur l'hérédité, écrit quotidiennement ses rêves dans son laboratoire de Roscoff. Il remarque que la déclaration de la guerre de 1914 ne lui laisse aucun souvenir, ni la mort de certains de ses proches. Analysant en détail ses souvenirs, il émet l'hypothèse que ce serait le psychisme réprimé pendant l'état de veille qui apparaît dans le rêve. Cette idée de répression avait déjà été formulée 25 ans auparavant par l'allemand Robert pour qui le rêve est l'élaboration de pensées étouffées dans l'oeuf.
Tant de noms apparaissent à cette époque que plusieurs heures seraient nécessaires pour en épuiser la liste. Certains personnages étudiant les rêves sont eux-mêmes fort curieux. Ainsi Harvey de Saint-Denis, professeur de chinois et de tartaro-mandchou au Collège de France, se dit capable de diriger ses rêves . Ce qui est, je le crois, exceptionnel. En revanche, le rêve lucide mais involontaire a été constaté et fait l'objet actuellement d'une vogue médiatique. Le livre d'Hervey de Saint-Denis contient un magistral historique des théories psychologiques du rêve : "Nihil est in vibionibus somniorum quod not prius fuerit il vibu" écrit-il, insistant sur l'importance des souvenirs de l'enfance et de la répression de ces souvenirs.
Il est curieux que Freud n'ait pas lu le livre de H. de Saint-Denis et n'évoque jamais les problèmes de la situation temporelle du rêve au sein du sommeil. Freud, inventeur de la  Métapsychologie, écarte tout ce qui est sommeil parce que c'est de la physiologie. Freud fait du rêve l'expression d'un désir et le gardien du sommeil. Il construit un véritable appareil psychique en dehors du cerveau. Cette topique permet de considérer les espaces correspondant au Ca, Moi et Surmoi. Concepts qui firent fortune et qui attendent toujours une impossible réfutation expérimentale.
Nous terminerons cette revue du courant psychologique par Jung. Son inconscient diffère de celui de Freud, car il serait le siège d'images universelles primordiales que l'on trouverait parmi toutes les civilisations. Ainsi, le rêve du soleil phallique remonterait au culte de Mithra.

Structure temporelle du rêve

Dès la fin du XIXe siècle, cependant, le rêve acquiert une structure temporelle. Cette seconde voie d'exploration est capItal.e car elle annonce la neurobiologie moderne.Alfred Maury, professeur au Collège de France au début de ce siècle, en réveillant à intervalles réguliers des sujets au cours du sommeil remarque qu'il n'obtient que rarement des souvenirs de rêve. Le concept d'une activité onirique permanente au cours du sommeil est donc infirmé. Pour A. Maury, le rêve devient un phénomène épisodique ou aléatoire qui surviendrait lorsque le sommeil est plus léger, soit au cours de l'endormissement (images hypnagogiques), soit sous l'influence de stimuli extérieurs (bruit) ou internes (douleur), soit enfin avant le réveil (images hypnapompiques). Le phénomène du rêve devient ainsi dépendant de la qualité du sommeil et de son interaction avec l'éveil. Perdant son caractère intemporel, il commence à devenir physiologique A. Maury est également célèbre pour son Rêve de la Guillotine souvent cité, mais apocryphe, car il fut écrit plus de 50 ans après.
L'oeuvre d'Henri Piéron (1881-1964) a une grande importance historique même si elle ne concerne par directement le rêve. En 1913, H. Piéron réussit en effet à transférer par voie sanguine ou ventriculaire les hypnotoxines d'un chien privé de sommeil à un receveur et à induire chez celui-ci un comportement de sommeil profond. Les travaux de Piéron furent très discutés (surtout par R. Dubois de Lyon, inventeur de la théorie de la narcose carbonique, et Claparède de Genève, pour qui le sommeil est un instinct) et ils tombèrent dans l'oubli. Ils sont à nouveau à l'ordre du jour depuis la mise en évidence de peptides facilitant le sommeil. L'hypothèse d'un ou de plusieurs facteurs responsables du sommeil et du rêve fait actuellement l'objet de nombreux travaux.

Support neurobiologique

Dès 1880, les premières pièces du puzzle d'un support neurobiologique du rêve furent mises en place. En 1880, le Docteur Gélineau , ancien médecin de la Marine, individualise la narcolepsie (maladie de Gélineau). Sans le savoir, il décrit l'une des caractéristiques primordiales du rêve, c'est-à-dire l'absence totale de tonus musculaire : la narcolepsie consiste en effet soit dans l'irruption brutale et invincible du sommeil au cours de l'éveil soit souvent à la suite d'une émotion ou du rire d'une perte de tonus musculaire avec chute ( catalepsie). Pendant ces épisodes, les malades rêvent et perdent contact avec la réalité.
Peu à peu, au cours de la première moitié du XXe siècle, les pièces du puzzle de l'activité onirique vont être rassemblées : en 1937, l'allemand Klaue découvre chez le chat des périodes de Tiefen Schlaf (sommeil profond) accompagnées d'une activité électrique rapide corticale très différente de l'activité corticale lente du sommeil. Son travail est totalement oublié. En 1944, l'allemand Ohlmeyer décrit chez l'homme - dans un Journal de Physiologie - un cycle d'érection périodique au cours du sommeil. Ce cycle débute 90 min après l'endormissement et les phases d'érections d'une durée moyenne de 25 min ont une périodicité moyenne de 85 min. Ce sont les caractéristiques exactes des périodes de rêve mais l'érection ne fut pas alors reliée au rêve.
Abolition de l'activité musculaire au cours de la  narcolepsie, érection périodique et activité rapide corticale au cours du sommeil : ces signes pathognomoniques du rêve ont ainsi été presque tous rassemblés en 1944, mais non assemblés entre eux. Il a fallu ainsi 70 ans, entre 1880 et 1950, pour que se rassemblent des éléments divers. L'Histoire des Sciences nous enseigne ainsi que, pour être féconde, une discipline doit interférer avec d'autres à la fois au niveau des concepts et au niveau des techniques. La science ne peut être réduite à un seul discours et doit être interdisciplinaire. Comment donc comprendre un système intégré comme celui du Rêve, à partir de la seule biologie moléculaire !
C'est alors qu'entre 1955 et 1957, le puzzle fut assemblé, mais à l'envers.
En 1953, Nathaniel Kleitman à Chicago, observe des épisodes de mouvements oculaires rapides au cours du sommeil de l'enfant. Il émet l'hypothèse qu'il peut s'agir de périodes de rêve.

Le Rêve dans le cycle veille-sommeil

Le puzzle fut enfin assemblé à l'endroit en 1959, grâce à la neurophysiologie animale qui devait mettre le rêve à sa véritable place dans le cycle veille-sommeil.
De tout temps, depuis Aristote, les chasseurs avaient remarqué que leurs chiens pouvaient présenter quelques mouvements au cours du sommeil. Mais, c'est grâce au chat que le rêve fit son entrée en neurophysiologie. L'étude polygraphique du cycle éveil-sommeil par des électrodes chroniquement implantées au niveau des principales structures cérébrales et de différents groupes musculaires , permit en effet de déceler, par hasard, à l'intérieur du sommeil, deux véritables états différents : l'un, de sommeil à ondes lentes, qui s'accompagne d'ondes corticales lentes et de grande amplitude et de la conservation du tonus musculaire, l'autre de sommeil profond caractérisé paradoxalement par une activité électrique cérébrale similaire à l'éveil, par des mouvements oculaires rapides et par une disparition totale du tonus musculaire. Ces périodes, que j'ai baptisées sommeil paradoxal en 1959, ont une durée moyenne de 6 min et surviennent toutes les 25 min au cours du sommeil.
Très rapidement, on s'aperçut que le critère d'atonie musculaire existait également chez l'homme et que le rêve chez l'homme et le sommeil paradoxal chez le chat avaient le même substratum neurobiologique (au moins sur le plan physiologique). Il n'était donc plus question d'en faire un stade de sommeil léger. Le rêve devenait donc le troisième état du cerveau, aussi différent du sommeil que le sommeil l'est de l'éveil.
Le concept que le rêve est le 3e état du cerveau n'est qu'un nouvel avatar d'un concept millénaire - celui des Upanishads de la mythologie hindoue - pour qui le cerveau humain subit l'alternance de l'éveil, du sommeil sans rêve et du sommeil avec rêve.
Or, les neurobiologistes n'avaient pas besoin d'un troisième état du fonctionnement cérébral. En effet, l'alternance éveil-sommeil est a priori satisfaisante pour expliquer l'alternance activité-repos de nos cellules cérébrales, au moins de celles qui sont responsables de l'activité nerveuse supérieure.
Devant ce nouveau continent découvert dans le cerveau, la neurophysiologie allait alors adopter deux attitudes afin d'essayer de trouver une explication à l'activité onirique : l'une globale - à la recherche de l'histoire naturelle de ce phénomène : quand commence-t-il au cours de l'évolution phylogénétique et ontogénétique ? L'autre réductionniste : que sait-on des mécanismes neurobiologiques du sommeil paradoxal?
Peut-on enfin déduire les fonctions du rêve de ses structures et de ses mécanismes ?

Phylogénèse du Rêve

Résumons d'abord l'histoire naturelle du rêve : le rêve (ou sommeil paradoxal) est-il l'apanage de tous les animaux, au moins de tous les vertébrés, (le sommeil étant déjà bien difficile à reconnaître chez une bactérie, une huître ou un moustique). La réponse est négative : nul n'a encore pu enregistrer avec certitude un état similaire au sommeil paradoxal chez les poissons, les amphibiens, les reptiles (sauf peut être le crocodile), alors qu'il est relativement facile d'y reconnaître le sommeil. Ainsi tout se passe comme si les vertébrés inférieurs (poikilothermes) n'avaient pas eu besoin de sommeil paradoxal.
En revanche, à partir des oiseaux et chez tous les mammifères - et donc chez les homéothermes- il est facile de mettre en évidence le sommeil paradoxal. Il existe des variations considérables selon les espèces - de la poule (qui ne rêve que 25 min chaque nuit, comme la vache) au chimpanzé (90 min) et à l'homme (100 min). Le champion des rêveurs est le chat domestique (200 min par jour) . Ainsi, ce n'est pas le critère de cérébralisation qui sert à mesurer la quantité de rêve d'une espèce. C'est pourquoi beaucoup d'autres corrélations ont été proposées. L'une des meilleures est un indice de sécurité. Les animaux en sécurité dans leurs biotopes dorment plus facilement que ceux qui risquent d'être attaqués. Ainsi, le sommeil leur ouvrira plus aisément les portes du rêve : l'histoire phylogénétique du rêve nous laisse donc sur une interrogation sans réponse. D'autant plus que le mystère du Dauphin ne facilite pas la solution de cette énigme.
Permettez-moi de vous parler de notre frère marin en cérébralisation. Il est d'abord soumis à la Malédiction d'0ndine, car il ne peut respirer que volontairement - choisir entre ne pas dormir ou mourir noyé. L'Evolution a résolu de façon élégante ce dilemme. Le dauphin ne dort en effet qu'avec un seul hémisphère a la fois, contrôlant sa respiration alternativement avec son cerveau droit ou gauche. En revanche. malgré plus de 10 années de recherches menées par mon ami. le Professeur Mukhametov, à Moscou et en Crimée, il n'a pas encore été possible d'enregistrer des périodes de sommeil paradoxal au cours du sommeil des dauphins. Cette absence de preuve n'est pas la preuve d'une absence, mais tant que cette énigme ne sera pas résolue, toutes les théories sur les fonctions du rêve resteront fragiles.

Ontogénèse du Rêve

L'histoire ontogénétique nous apporte cependant des enseignements plus solides. De nombreux travaux ont établi que plus un mammifère nouveau-né est immature (et plus sa thermorégulation est fragile), plus le temps occupé par le sommeil paradoxal est important : 50 à 60 % de la durée du sommeil pour un nouveau-né humain, 80 à 90 % de la durée du sommeil pour un chaton ou un raton nouveau-né. Il a été même vérifié qu'à l'intérieur de l'utérus, un foetus de cobaye présentait une augmentation considérable de sommeil. Il en est de même chez l'embryon du poussin in ovo quelques jours avant l'éclosion.

Mécanismes du Rêve

Dans quel but l'Evolution a donc inventé le rêve chez les homéothermes ?
Un début possible d'explication est apporté par la voie réductionniste de la neurophysiologie expérimentale qui, depuis une vingtaine d'années, a réussi à démonter la machinerie intrinsèque du rêve et à répondre aux questions suivantes.
Quelles sont les structures cérébrales nécessaires et suffisantes au déclenchement périodique des phénomènes exécutifs du rêve ? Comment interagissent-elles ? Enfin, où se trouvent les systèmes dits permissifs qui empêchent le rêve d'apparaître au cours de l'éveil, et seulement (en général) après une phase assez longue de sommeil ?
1) Quelles sont donc les parties du cerveau suffisantes au déclenchement du rêve ?
Ni l'ablation du cortex cérébral, ni celle du cervelet, n'entraîne d'altérations significatives dans l'apparition du sommeil paradoxal. Bien plus, malgré l'ablation entière des structures situées en avant du pont (incluant l'hypothalamus et l'hypophyse), le SP continue à apparaître périodiquement. Il se reconnaît par l'atonie musculaire totale, d'autant plus remarquable que l'animal dit pontique est en état de rigidité lorsqu'il est éveillé. D'autre part, les signes électriques caractéristiques du Sp apparaissent au niveau du pont accompagnant les mouvements latéraux des yeux et les variations cardio-respiratoires. Etant donné que le pont et le bulbe sont suffisants à l'apparition périodique du SP il doit donc se trouver au niveau de ces structures des systèmes dits exécutifs responsables à la fois de l'apparition périodique et du déroulement du SP.
2) Les structures exécutives ponto-bulbaires responsables du SP ou la machinerie intrinsèque primitive du rêve.
Les mécanismes de base du SP sont responsables de deux fonctions qui sont complémentaires l'une et l'autre. D'une part, elles mettent en jeu un système endogène d'excitations du cerveau au moyen de l'activité PGO  . Cette stimulation entraîne l'excitation des systèmes sensoriels (surtout visuels) et des systèmes moteurs (neurones pyramidaux de l'aire motrice). Ainsi, des influx descendants moteurs vont répondre à ces stimulations et gagner la moelle épinière pour déclencher des gestes et des comportements. C'est pour empêcher cette activité motrice qu'un deuxième mécanisme doit entrer en jeu. Il vient bloquer, par une inhibition descendante puissante, les neurones moteurs de la moelle. Ainsi, le rêveur se trouve paralysé et ne peut bouger.
a) L'activité  (PGP) : la topographie des neurones (fort probablement cholinergiques) qui constituent le générateur endogène de l'activité PGO du rêve a été délimitée avec précision. Elle est située dans la formation réticulée pontique. Nous connaissons également les voies qui conduisent l'activité PGO au niveau des noyaux moteurs oculaires (où elle déclenche les mouvements rapides des yeux). Les voies ascendantes menant au cortex cérébral, soit directement, soit par l'intermédiaire de relais thalamiques, ont également été délimitées avec précision. L'activité du générateur PGO semble donc intéresser (programmer ?) tout l'encéphale. C'est-à-dire que si l'on introduit une microélectrode dans n'importe quel endroit du cerveau, on a environ 60 % de chance d'enregistrer l'activité unitaire d'un neurone qui est asservie (soit augmentée, soit diminuée) par l'activité PGO du générateur. 0n ne connaît cependant pas encore sur quels types (immunohistochimiques) de cellules corticales se projette l'activité PGO, bien que l'on devine que les récepteurs mis en jeu soient nicotiniques au niveau de certains relais stratégiques.
b) Le frein moteur dépend de 3 étages. Le premier est un étage de commande qui est le seul à être soumis à une régulation par les systèmes permissifs (voir plus loin). Les autres sont des étages d'exécution. L'étage de commande bilatérale est située à côté du locus coeruleus, au niveau d'un petit groupe de cellules appelé locus coeruleus alpha. Ce groupe de cellules, dont le transmetteur est encore inconnu, est normalement freiné pendant l'éveil et le sommeil par un système permissif puissant, celui du locus coeruleus dont les terminales libèrent de la noradrénaline. Ainsi, pendant l'éveil ou le sommeil, l'activité électrique du locus coeruleus est importante, alors que celle du locus coeruleus alpha est nulle. L'activité du frein du frein (c'est-à-dire du locus coeruleus) diminue au cours du sommeil puis cesse complètement au début du SP (neurones PS off). Le locus coeruleus alpha entre alors en jeu (neurones PS on)  . L'activité électrique de ses neurones qui était silencieuse croît brusquement. Des influx excitateurs sont alors envoyés au deuxième étage, bulbaire, par l'intermédiaire d'un faisceau descendant. L'arrivée des signaux excitateurs au niveau du noyau magno-cellulaire bulbaire (appelé ainsi parce qu'il contient des cellules de grande taille) entraîne à son tour l'excitation de ce noyau qui envoie des influx descendants inhibiteurs gagnant la moelle épinière. Ils viennent bloquer, au niveau des neurones moteurs alpha (ceux qui innervent directement les muscles), l'excitation qui arrive d'autre part par le faisceau pyramidal (mis en jeu par les cellules corticales sous l'influence de l'activité PGO). Quelquefois, certains influx moteurs particulièrement puissants peuvent franchir cette barrière inhibitrice provoquant de petits mouvements des doigts, des oreilles (chez le chat) ou des vibrisses (les moustaches du chat). Seuls les neurones moteurs oculaires (et les mécanismes de la respiration) échappent à cette intense activité inhibitrice.

Le comportement onirique

Il est donc possible de prévoir ce qui doit se passer si l'on réalise une lésion bilatérale, aussi précise que possible (ce qui n'est pas si facile) du premier étage pontique du système de frein (locus coeruleus alpha) ou du faisceau descendant qui en est issu  . Le système de freinage étant détruit, rien ne pourra plus bloquer, au cours du rêve, les décharges motrices venant exciter les motoneurones alpha. Il devient ainsi possible d'observer le comportement onirique  . Ce comportement extraordinaire peut être résumé ainsi : aucun trouble moteur, ni aucune altération du comportement ne peuvent être mis en évidence au cours de l'éveil. Le sommeil à ondes lentes est normal. Au moment où apparaissent les premières pointes PGO annonçant le SP, le chat endormi ouvre les yeux et lève la tête, regardant en haut, à droite et à gauche : cette séquence d'exploration visuelle (alors que l'animal ne réagit pas aux stimuli visuels) est constante mais paradoxale : le chat tourne la tète à droite. mais regarde à gauche et inversement. Elle est ensuite suivie par des comportements variés mais imprévisibles. L'animal se lève alors brusquement et se met à marcher. Il semble courir après une proie imaginaire. s'arrêtant pour jouer avec sa proie avec le geste caractéristique du chat qui a attrapé un poisson. Brusquement peuvent survenir des comportements de peur, (avec les oreilles en arrière), de rage (avec ouverture de la gueule), ou d'attaque (avec mouvements brusques des pattes avant). Plus rarement apparaissent des mouvements de léchage. Ceux-ci ne sont pas dirigés vers un but. Parfois le chat lèche sa fourrure, plus souvent le plancher de la cage. Si l'on fixe un morceau de sparadrap sur la fourrure du chat, il la léchera pendant l'éveil. Cependant, le léchage ne sera pas dirigé à cet endroit pendant le comportement onirique. Même affamé, un chat ne se dirigera pas vers un morceau de viande qu'on lui présente pendant ces périodes. Aveugle temporairement, et sourd puisqu'il ne réagit pas aux stimulations auditives, le chat est ainsi entièrement gouverné par un système endogène qui a pris possession de son cerveau et qui le rêve. Nous n'avons observé qu'une fois un miaulement pendant ces périodes (plus de mille).
Jamais de comportement sexuel (par exemple d'attitude de rut chez des femelles en chaleur). De nombreux contrôles ont vérifié l'hypothèse que le comportement onirique représente des périodes de SP sans inhibition du tonus musculaire. L'activité électrique cérébrale et le myosis sont en tous points identiques à ceux du SP. Seule l'augmentation du tonus musculaire témoigne de l'absence d'inhibition du tonus musculaire. La durée moyenne des périodes de comportement onirique est de 5 minutes. Elles s'achèvent par le retour au sommeil ou par l'éveil. Les drogues qui suppriment le SP  (comme les inhibiteurs des monoaminoxydases) le suppriment également.
Si l'explication intrinsèque du comportement onirique est relativement facile, de nombreux problèmes restent à résoudre.
L'absence de réaction aux stimuli visuels et auditifs est compréhensible : elle témoigne du blocage complet ou incomplet des afférences visuelles et auditives mis en évidence au cours du  SP. Il est donc évident que ces comportements sont sans objet.
Ainsi, l'attaque onirique s'oppose à l'attaque d'une proie pendant l'éveil, ou au comportement déclenché par la stimulation de l'hypothalamus au cours duquel l'animal attaque n'importe quel objet (la main de l'expérimentateur par exemple) mais n'attaque jamais dans le vide. Le seul comportement qui pourrait offrir quelque comparaison est le jeu, lorsque les chatons peuvent courir après une feuille et parfois attaquent un ennemi imaginaire. En ce sens, comme l'avait remarqué Piaget, le rêve ressemble à un jeu intérieur du cerveau.
Les relations entre les différents comportements oniriques et l'activité PGO sont probables mais très difficiles à analyser. D'une part, la succession quasi stochastique de l'activité PGO se prête mal à toute tentative de sémantisation, d'autre part, la complexité d'un comportement de fuite ou d'attaque, mettant en jeu un nombre quasiment illimité de muscles, ne permettent pas d'analyser en détail l'activité des différents muscles en rapport avec l'activité PGO. Seule la composante d' orientation visuelle sans objet au début du comportement onirique est relativement facile à corréler avec l'alphabet PGO.
Si l'on admet la relation, au moins indirecte, entre l'activité du générateur endogène de l'activité PGO et les divers comportements oniriques, il reste encore à déterminer à quel niveau ils s'organisent, se diversifient et s'aiguillent. Sur cette question, nous n'en savons pas plus que les neurophysiologistes étudiant les divers comportements stéréotypés de l'éveil en réponse à des stimuli extérieurs ou à des stimulations centrales : importance probable de l'amygdale, de l'hypothalamus, et enfin d'une aire locomotrice située à proximité du générateur de l'activité PGO.
La dernière question est la suivante : en admettant que l'animal est aveugle et sourd, ne pourrait-il pas réagir à des hallucinations (perception sans objet) provoquées par la réponse des systèmes sensoriels à l'activité PGO ? La réponse à cette question est négative. Il est en effet possible, sur un oscilloscope, de comparer les latences entre l'arrivée de l'information PGO au niveau du nerf moteur oculaire et l'arrivée de l'information PGO dans les aires corticales visuelles. Dans tous les cas, la réponse motrice (c'est-à-dire le mouvement de l'oeil) précède de quelques millisecondes l'arrivée de l'information au niveau du cortex. Il paraît donc impossible, à moins de changer la flèche du temps, que l'effet (le mouvement oculaire de poursuite) précède la cause (c'est-à-dire l'hallucination provoquée par l'information PGO au niveau du cortex visuel). 0n est donc obligé d'admettre qu'à la fois le générateur met en jeu la poursuite oculaire et des signaux visuels endogènes : le moteur précédant le sensoriel. Alors que c'est, bien sûr, l'inverse au cours de l'éveil. Cette constatation oblige à admettre qu'il existe quelque part un système inconnu intégrant ces données avec des latences différentes. C'est là tout le problème des rapports entre les mouvements oculaires au cours du rêve et la scène onirique chez l'homme, qui est loin d'avoir été résolu.

Les systèmes permissifs

Cette qualification de permissif est apparue récemment dans la littérature anglo-saxonne. Elle est devenue, hélas, d'usage courant. Elle signifie que ces systèmes, lorsqu'ils sont inactivés permettent au rêve d'apparaître. Les termes de systèmes inhibiteurs, système de blocage, système d'arrêt, seraient aussi valides.
Ces systèmes sont constitués par les neurones monoaminergiques du tronc cérébral (qui contiennent la sérotonine et la noradrénaline) et sans doute les neurones à histamine découverts récemment dans l'hypothalamus postérieur. Les neurones sérotoninergiques sont situés dans le système du raphé et la plupart des neurones noradrénergiques dépendent du locus coeruleus. Ces systèmes sont actifs pendant l'éveil.
Il est probable que la libération de sérotonine au niveau de l'hypothalamus antérieur (région préoptique) au cours de l'éveil  mette en jeu la libération d'un facteur (peptide ?) qui sera à son tour responsable de l'endormissement et de la diminution de la température centrale. Ainsi, c'est l'éveil qui conduira au sommeil selon l'adage de Zarathroustra "No small art is it to sleep, it is necessary for that purpose to keep awake all day". 0n ne connaît pas encore la cause exacte de la diminution et de la disparition d'activité des systèmes aminergiques au début et au cours du SP. Ce mécanisme est sans doute plurifactoriel. Il semble cependant qu'un groupe de cellules situé dans le bulbe (dans la région du noyau paragigantocellulaire) puisse jouer un rôle capItal. Ce groupe est responsable du contrôle de l'activité sympathique et semble être le principal système qui excite le locus coeruleus. Ainsi, la diminution d'activité des neurones sympathoexcitateurs entraîne une vasodilatation périphérique au cours du sommeil (perte de chaleur et donc abaissement de la température centrale) et il est possible qu'elle entraîne également une absence d'excitation des systèmes dit permissifs. Ainsi, s'objectivent de nouvelles régulations reliant la thermorégulation au sommeil et au rêve. Ces régulations ne sont pas faciles à analyser. Le cycle veille-sommeil commande-t-il le cycle de la température centrale ? ou ne serait-ce pas l'inverse ? L'invention de l'homéothermie par un ancêtre commun aux oiseaux et aux mammifères, ou une invention indépendante au cours de leur longue histoire évolutive aurait-elle eu pour conséquence l'invention du SP ? 


Fonctions du Rêve

Il existe donc encore beaucoup de questions sans réponse (et beaucoup de travail pour les médecins qui essaient de comprendre les nombreux troubles du cycle éveil-sommeil-rêve) et pour les neurobiologistes. Cependant nous ne pouvons pas encore trouver une fonction (ou des fonctions) au rêve à partir de ces mécanismes que nous venons de résumer trop brièvement. Il existe sans doute autant de théories (ou d'hypothèses neurobiologiques) concernant les fonctions du rêve qu'il y a de chercheurs dans ce domaine : rêve sentinelle, allégeant périodiquement le sommeil pour permettre la survie en milieu hostile, rêve transformant la mémoire à court terme en mémoire à long terme, rêve facilitant (ou inhibant) les transferts entre hémisphère droit et gauche, rêve épiphénoméne sans intérêt (comme les fantasmes de la vie éveillée), rêve obligatoire pour effacer les informations sans intérêt (rêve oubli)... C'est sans doute pour avouer mon ignorance que je vous propose brièvement une hypothèse personnel le non réfutable - et donc encore non scientifique.
Il nous faut alors revenir à l'activité PGO issue du pace-maker pontique qui est, je le crois, la clé du mystère du rêve, car c'est elle qui est très probablement responsable du comportement onirique. Cette activité PGO est-elle en relation avec des événements reçus auparavant, ou est-elle indépendante de l'histoire de l'individu ? Un début de réponse nous est apporté par la génétique, sur la seule espèce rêveuse chez qui il soit possible de faire des expériences de génétique, c'est-à-dire la souris. Il semble en effet que le message délivré par le générateur du rêve soit soumis à un déterminisme génétique, chaque souche de souris ayant un code (pattern) différent . Plus récemment, des expériences faites sur des jumeaux monozygotes humains ont montré la similarité de l'organisation des mouvements oculaires par rapport à des jumeaux hétérozygotes. C'est donc la mémoire génétique de chaque individu qui semble s'exprimer au cours du rêve.
Nous pénétrons sans doute au coeur du problème - champ clos de querelles idéologiques - celui de l'inné et de l'acquis, et la question peut alors être posée : si le rêve apparaît être une programmation du cerveau soumis à un contrôle génétique, ne serait-il pas responsable, chez l'animal, des variations interindividuelles des comportements instinctifs et chez l'homme, de cette part innée ou héréditaire de notre personnalité ? Celle qui ne se laisse pas, ou peu, influencer par le milieu, la culture ou l'apprentissage, l' hérédité psychologique. Des exemples spectaculaires de cette hérédité psychologique ont été publiés récemment par Bouchard à l'Université du Colorado, à la suite d'études des profils psychologiques de paires de vrais jumeaux ayant été séparés dés la naissance et élevés dans des milieux différents.
"Homo fit non nascitur" disaient les environnementalistes depuis Locke. Homo nascilur non fit leur répondaient les nativistes ou innéistes. Il faudrait plutôt leur répondre : l'homme est rêvé. C'est le rêve qui fait chacun d'entre nous différent, puisque c'est à ce moment-là qu'une programmation itérative vient effacer les traces de tel ou tel apprentissage, ou au contraire les renforcer, si elles sont en accord avec la programmation génétique du rêve (car les neurones des homéothermes ne se divisent plus, contrairement à ceux des poikilothermes). Il n'existe donc pas au niveau du cerveau de système permettant, grâce à l'ADN, la conservation des traits héréditaires que l'on observe au niveau des autres organes, comme le nez des Bourbons par exemple.
Programme génétique, donc sélectionné au cours d'une évolution épiméthéenne pour qu'il existe au sein d'une population de souris par exemple, un polymorphisme suffisamment important d'individus agressifs ou peureux, lents ou rapides pour apprendre, inhibés ou non par l'émotion. Ainsi, un certain nombre d'individus survivront, les peureux ou les agressifs, selon les circonstances de la sélection naturelle. Avons-nous le droit d'extrapoler et parler de potentialité héréditaire pour être timide ou agressif , musicien ou mathématicien, si les conditions du milieu le permettent, ou tout au moins ne l'empêchent pas ?
Gardien et programmateur périodique de la part héréditaire de notre personnalité, il est possible que chez l'homme, le rêve joue également un rôle prométhéen moins conservateur. En effet, grâce aux extraordinaires possibilités de liaisons qui s'effectuent dans le cerveau au moment où les circuits de base de notre personnalité sont programmés, pourrait alors s'installer un jeu combinatoire varié à l'infini - utilisant les événements acquis - et donnant naissance aux inventions des rêves, ou préparant de nouvel les structures de pensée qui permettront d'appréhender de nouveaux problèmes.
0n conçoit alors l'importance des 100 minutes de rêve qui surviennent périodiquement chaque nuit, lorsque notre température centrale est la plus basse. Ces 100 minutes de rêve, dont nous ne pouvons ni déclencher le début, ni contrôler le contenu, jouent certainement un rôle capItal. dans les premières années de notre vie. Elles continuent à programmer itérativement sans doute les réactions les plus subtiles de notre conscience éveillée.
L'intuition géniale d'un poète l'avait déjà perçu : "Je est un autre"

  • Activité ponto-géniculo-occipItale : (PGO) Activité spécifique du sommeil chez l'animal responsable des mouvements oculaires rapides. Elle n'a pu être enregistrée que très indirectement chez l'homme au moyen d'électrodes placées au niveau de la région occipItale
  • Catalepsie : Affection caractérisée par la perte soudaine du tonus sous l'influence d'une émotion. Elle accompagne la narcolepsie.
  • Entoptiques :  (images) : Sensations lumineuses nées dans la rétine.
  • Homéothermes : Se dit des animaux improprement appelés à sang chaud dont la température est constante et indépendante de celle du milieu ambiant.
  • Hypnagogiques : (images) : Images qui surviennent à l'endormissement.
  • Hypnogramme :Représentation en deux dimensions du déroulement d'une nuit de sommeil en mettant en ordonnée les différents stades du sommeil et en abscisse le temps.
  • Hypnopompiques :  (images) : Images se produisant au réveil.
  • Hypnotoxines : Toxines qui seraient responsables du sommeil.
  • Métapsychologie : Description d'un processus psychique dans ses différentes relations dynamiques, topiques et économiques. Terme créé par Freud.
  • Narcolepsie : Exagération pathologique du besoin de dormir.
  • Poïkilothermes : Se dit des animaux improprement appelés à sang froid et dont la température subit les mêmes variations que celles du milieu ambiant.
  • Sommeil à ondes lentes : Stade du sommeil qui s'accompagne d'ondes corticales de grande amplitude et de la conservation du tonus musculaire.
  • Sommeil paradoxal (SP) : État du sommeil qui se caractérise par une activité électrique similaire à l'éveil, des mouvements oculaires rapides et la disparition totale du tonus musculaire.

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