mercredi 12 janvier 2011

A quoi servent les rêves ?


Conférence du 16 janvier 2007 : A quoi servent les rêves ?

 Au réveil, après un rêve, plusieurs sentiments peuvent nous accompagner.
L’indifférence amusée devant une histoire incompréhensible; la peur intense et
le soulagement de découvrir que ce n’était qu’un rêve; ou encore la tristesse
profonde sans raison apparente qui parfois nous accompagne toute la journée
sous forme de mauvaise humeur. Voilà des restes qui témoignent de la
profondeur du phénomène intime qui s’est déroulé durant la nuit. Mais il est un
sentiment plus fréquent pour la majorité des personnes, c’est celui de l’étrangeté
du rêve. La plupart des gens racontent leur rêve comme s’ils racontaient une
histoire qui s’est passée à la télé ou qui est arrivée à quelqu’un d’autre. Un peu
comme s’ils avaient assisté à une séance de cinéma. J’insiste sur ce côté passif
que l’on remarque dans l’émotion de ceux qui racontent un rêve. Souvent
d’ailleurs en thérapie, il faut rappeler aux gens que ce sont leur rêve, que c’est
leur esprit qui l’a construit, et qu’ils sont impliqués dans la production de ce qui
s’est passé pendant leur sommeil.
Cette passivité, on la retrouve aussi dans les conceptions folkloriques ou
ancestrales du rêve, défini souvent comme le siège de messages venant d’une
quelconque divinité.
Mais concevoir le rêve comme une pensée du rêveur, ça c’est tout récent. C’est
une idée du dix neuvième siècle. C’est une idée centrale et fondamentale dans la
psychanalyse. Penser c’est rêver parfois, mais rêver, c’est toujours penser. Ce
qui reste donc à comprendre c’est comment et pourquoi cette pensée à une
forme si différente de celle du jour et surtout à quoi peuvent bien servir les
rêves ?
Les êtres humains ont toujours été fascinés par l'aspect étrange, merveilleux,
terrifiant ou prémonitoire de leurs rêves. À la fondation de chaque civilisation
antique, on retrouve des mythes et de grands rêves transmis de générations en
générations. Mais le rêve est aussi à l'origine de superstitions, de pratiques
occultes, de sacrifices rituels et aujourd'hui encore, les peuples africains pensent
que le rêve annonce des événements à venir. Ils offrent des sacrifices pour que
les bons rêves se réalisent, et d'autres sacrifices pour que les mauvais rêves ne se
réalisent pas. Pour les tribus amérindiennes, les rêves qui surviennent à
l'occasion du passage de l'adolescence à l'âge adulte éclairent le destin
individuel. Le rêve est ainsi un guide de l'individuation~ c'est-à-dire que grâce à
lui, chacun trouve son identité et une place incontestée dans la collectivité. La
vie du groupe est également conditionnée par les rêves, ils aident la tribu pour la
chasse, la médecine ou la guerre, et la journée commence souvent avec le récit
des rêves de la nuit qui s'achève.
Les civilisations égyptiennes, grecques et romaines accordaient également aux
rêves une très grande importance. Dans toute l'antiquité, on retrouve la croyance
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généralisée que les rêves sont des messages des dieux, et ils sont étroitement
liés à la vie sociale et religieuse des cités.
L'interprétation en est très délicate, car le rêve peut être trompeur. A partir du V°
siècle avant notre ère, ces civilisations bâtissent des « temples d'incubation » où
les malades viennent dormir, rêver et faire interpréter leurs rêves par des prêtres.
On y cherche, non sans raison, l'explication et la guérison de certaines
maladies".
Et puis au 12e siècle, l’église catholique pour renforcer son pouvoir et combattre
ce qu’elle nomme les hérésies va en même temps qu’elle interdit la lecture de la
bible qui conduit selon elle à des explications trop variées, va aussi interdire
l’étude et l’interprétation des rêves. Oubliant que les rêves sont l’ossature de la
Bible, l’église catholique va les combattre.
L'inquisition est créée en 1184, et en 1252, le pape Innocent IV autorise l'usage
de la torture. En Chine, simultanéité étonnante, le Taoïsme est interdit en 1183.
Comme le rêve est imprévisible et il donne à certaines personnes un appui, une
certitude intérieure, l'église catholique va associer l'étude et l'interprétation des
rêves à d'autres pratiques considérées comme hérétiques, en particulier la
sorcellerie, la magie et la divination. Les individus soupçonnés de se livrer à ces
activités occultes sont dénoncés, accusés d'hérésie et privés de leurs biens,
torturés, jetés dans d'obscures prisons et parfois brûlés. Le contenu du rêve est
considéré comme diabolique et l'église oublie les rêves bibliques et les traditions
millénaires. Dans les ordres monastiques, les prières nocturnes et un lever très
matinal privent les moines de leurs rêves.
En associant le rêve à un phénomène diabolique, l'église sépare la conscience
occidentale de sa base naturelle, l'inconscient.
L'église prêche le renoncement à la vie terrestre et la mortification, le rejet de
l'amour et de la sexualité. Elle enseigne que le sommeil et le rêve, la vie et
l'amour éloignent l'homme du bien, de Dieu et le livrent au mal, au démon. Cette
conception soi-disant chrétienne de l'homme va dominer la vie quotidienne,
intellectuelle et religieuse occidentale jusqu'au XX" siècle :
LEGISLATION ET REVE
Sous le Premier Empire, les règles religieuses sévères qui limitent les libertés de
pensée et d'expression sont maintenues et les anciennes interdictions religieuses
sont reprises dans le Code Napoléon. Le rêve semble considéré comme
dangereux par ce pouvoir totalitaire, et son interprétation reste illégale, réservée
aux bohémiens et aux diseuses de bonne aventure.
Jusqu'en 1992, l'ancien Code pénal punit « de l'amende prévue pour les
contraventions de la 3e classe [...] les gens qui font métier de deviner et
pronostiquer, ou d'expliquer les songes » (article R. 34, 7'). Le rêve pose d'abord
la question délicate de son sens et il reste ainsi exclu de toute étude rationnelle.
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Même la psychanalyse, en partie basée sur l'interprétation des rêves, pouvait être
considérée comme illégale en France avant la parution du nouveau Code pénal,
et un médecin qui s'intéressait aux rêves de ses patients pouvait être inquiété.
S’intéresser aux rêves n’est plus condamnable depuis seulement 15 ans, après
près de 800 ans d’interdiction.
Nous avons vu la position de l’église et celle du législateur, voyons maintenant
la position de la science par rapport aux rêves.
MÉDECINE ET RÊVE AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE
Le matérialisme scientifique cherche à libérer l'homme de toute forme de
croyance, et l'étude du rêve est considérée comme une régression vers des
superstitions primitives. La théorie du sommeil en vigueur jusqu’en 1960
considère que le cerveau se repose la nuit. Le rêve est un fonctionnement
incohérent des neurones et il se produit au cours d'un sommeil léger qui précède
le retour de la conscience claire. Il s'agit d'un phénomène exclusivement
psychique qui n'a aucune utilité : le temps passé à dormir et à rêver est perdu.
On affirme aussi que le psychisme et la physiologie (science qui étudie les
fonctions organiques par lesquelles la vie se manifeste) sont deux domaines
indépendants l'un de l'autre.
En 1924, le Larousse Médical Illustré donne du rêve la définition suivante :
« Désordre psychique à contenu absurde et sans valeur pratique. ». Le
commentaire associe ensuite le rêve aux récents travaux de Freud sur les
maladies mentales. L'aspect inquiétant des rêves et la crainte viscérale qu'inspire
la folie vont une fois de plus écarter les esprits trop curieux et la psychanalyse se
construit sur ces préjugés pseudo-scientifiques.
Alors justement, venons-en à Freud.
Lorsqu’il généralise ses observations sur l'hystérie, il définit l'inconscient
comme l'ensemble des pulsions sexuelles refoulées dans l'enfance. Selon lui, le
tout petit enfant éprouve des désirs d'inceste (le complexe d'OEdipe), de meurtre
et de cannibalisme. Ces pulsions incompatibles sont refoulées très précocement.
Et pour expliquer l'existence du rêve et son apparence absurde, Freud fait encore
d'autres hypothèses. Tous ces désirs sexuels refoulés tentent d'accéder à la
conscience pendant les phases de sommeil léger et ils déclenchent les rêves. Une
« censure psychique » donne alors aux désirs un déguisement choisi parmi les
événements des jours qui précèdent et rend ces désirs méconnaissables. Selon
Freud, cette censure dissimule les pulsions inconciliables avec la personnalité du
rêveur et le rêve réalise un désir inconscient refoulé. Le rêve est « gardien du
sommeil », c'est-à-dire qu'il évite un réveil provoqué par .les désirs refoulés au
cours du sommeil léger.
• Le travail du rêve consiste essentiellement en quatre
opérations. L'une s'appelle le déplacement. Il consiste à
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changer d'objet ou de représentation, quand l'évocation
de ceux-ci pourrait trop faire problème, et à les
remplacer par autre chose, par analogie, ressemblance,
jeu de mots. Par exemple remplacer le père par une
figure d’autorité : un roi, un juge…
• Une autre s'appelle la condensation. Un objet ou une
représentation remplissent rarement une seule
fonction, et renvoient à différents problèmes.
• Il y a figuration, c'est-à-dire transformation des idées
que sont les désirs en images. La figuration peut se
faire à travers des images symboliques liées à l'histoire
personnelle de l'individu ou à partir d'un symbolisme
universel, nous l’avons vu.
• L'élaboration secondaire, qui est une sorte de vague
mise en forme a posteriori, à partir du matériau
apparemment décousu issu des trois autres
opérations.
Donc par ces 4 opérations, l’inconscient brouille les pistes
pour passer la barrière du refoulement.
Et pour retrouver ce qui se cache derrière ce travail, Freud demande à ses
patients d’associer librement et spontanément autour des éléments du rêve.
Freud cherche dans chaque rêve des pulsions infantiles refoulées, masquées
derrière la « censure du désir » et le « déplacement des images ».
Toute cette théorie repose sur l'hypothèse d'un psychisme infantile habité par des
désirs d'inceste, de meurtre et d'anthropophagie, et sur une activité onirique
créée par ces désirs refoulés.
CONCEPTION JUNGIENNE DU RÊVE ET PHYSIOLOGIE
Cette conception stéréotypée du rêve éloigne Jung de Freud. Jung considère le
rêve comme un phénomène naturel, une expression de la nature instinctive de
l'homme qui n’a pas besoin de travestir son message pour apparaître mais parle
un langage symbolique qui sa langue naturelle : « Les rêves ne protègent
nullement contre ce que Freud appelle le désir incompatible. Ce qu'il appelle
travestissement du rêve est en réalité la forme naturelle de nos impulsions
[l'instinct] dans l'inconscient... Il n'y a pas de différence entre la croissance
organique et la croissance psychique. Comme une plante produit des fleurs, la
psyché produit des symboles. »
Pour lui, l'homme moderne et rationnel a appris à dominer ses instincts, mais les
couches instinctives primitives, toujours présentes, font partie de l'inconscient et
s'expriment dans les rêves. Cependant la cloison hermétique établie entre la
conscience moderne et le psychisme primitif crée une dissociation :
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« Pour sauvegarder la stabilité mentale et même la santé physiologique, il faut
que la conscience et l'inconscient soient intégralement reliés, afin d'évoluer
parallèlement. S'ils sont coupés l'un de l'autre ou dissociés, il en résulte des
troubles psychologiques. A cet égard, les symboles de nos rêves sont les
messagers indispensables qui transmettent des informations de la partie
instinctive à la partie rationnelle de l’esprit humain. Leur interprétation enrichit
la pauvreté de la conscience, de telle sorte qu’elle apprend à comprendre de
nouveau le langage oublié des instincts. »
Que dit le rêve ? Jung abandonne la méthode des libres associations de Freud,
qui entraîne toujours très loin du récit du rêve. Il ne remplace jamais une image
par une autre et s'en tient toujours aux images et aux idées qui font
manifestement partie du rêve. Il cherche à décrypter le message que l'inconscient
adresse à la conscience au moyen de situations en apparence absurdes. Pour
Jung, le rêve remplit au moins 3 fonctions :
Une Fonction créatrice : Il observe l'apparition, dans les rêves, d'images et
d'idées qui ne peuvent pas être attribuées à la seule mémoire. Certains rêves
expriment des pensées nouvelles, jusque-là inconnues et inconscientes
Une fonction de rétablissement de l'équilibre psychique : selon Jung, la
fonction générale du rêve est de compenser les désordres psychiques et les
attitudes unilatérales de la conscience. La neurobiologie confirme que l'activité
onirique se renforce en période de stress et de déséquilibre psychique.
Une fonction d'anticipation : Beaucoup de crises ont une longue histoire
inconsciente. Les rêves contiennent des avertissements que l'homme ignore, et il
s'avance pas à pas sans voir le danger qui s'accumule. Ce qui échappe à la
conscience est perçu par l'inconscient qui le traduit en rêve et peut prendre la
forme des rêves prémonitoires.
Pour Jung, il n'existe ni interprétation prédéterminée, « ni guide préfabriqué »,
pas de dictionnaire pour comprendre les rêves. Il faut explorer le contenu du
rêve avec la plus extrême minutie et la seule hypothèse de base est que les rêves
ont un sens et permettent de toucher une mémoire intemporelle, un inconscient
collectif où le rêveur va rencontrer des images particulièrement fortes et
énergétiques qu’il nomme archétypes.
Ils se manifestent dans les rêves et sont à l'origine de comportements naturels et
relativement universels.
RÉVOLUTIONS DESANNÉES 60 ET 90
Malgré l’apport de Jung, pendant un demi-siècle, la conception freudienne du
rêve semble s'imposer, ignorant le bon sens commun, l'histoire de nombreux
peuples, les récits bibliques et les témoignages de grands savants en faveur d'une
activité inconsciente créatrice et féconde. Les hypothèses de Freud donnent au
rêve une explication rationnelle et les anciennes croyances s'effondrent devant
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une théorie en apparence scientifique qui convient bien au matérialisme
scientifique du XX° siècle. Pour le christianisme, Freud achève le travail de
l'inquisition catholique en confirmant que le rêve vient d'un domaine
psychique très obscur et négatif. Le rêve est regardé comme le souvenir d'une
activité mentale passagère privée de toute base physiologique. Dévalorisé
pendant des siècles, le rêve, qui avait fasciné les êtres humains depuis l'aube de
l'humanité, est réduit à une manifestation de pulsions mauvaises et refoulées.
Mais à partir des années 60, la physiologie moderne dispose enfin de moyens
adaptés à l'étude approfondie du système nerveux central.
L'enregistrement du sommeil met alors en évidence un phénomène totalement
inconnu, le sommeil paradoxal. Avec cette découverte, la question du rêve se
repose soudain sous un aspect nouveau : tout indique que le sommeil paradoxal
est associé au rêve et la théorie unitaire du sommeil s'effondre. La définition du
rêve, sa place dans un sommeil léger, son aspect purement psychique sont remis
en cause et la conception freudienne du rêve est renversée. Avec cette nouvelle
fonction neurophysiologique que la médecine a longtemps ignorée, le sommeil
et le rêve présentent un nouvel intérêt et un autre mode de réflexion s'imposent.
En 1958, à Lyon, M. Jouvet" réalise des enregistrements plus complets du
sommeil et il observe un phénomène imprévu, qu’il baptise « sommeil
paradoxal » et qui montre que le cerveau ne se repose pas pendant la nuit et le
rêve ne se produit pas pendant un sommeil léger. Cette nouvelle activité
cérébrale intense entraîne un grand désordre physiologique, elle se répète toutes
les 90 minutes et contredit la théorie d’un sommeil uniforme et servant
uniquement à récupérer des forces.
Que nous apprend cette découverte ?
CARACTÉRISTIQUES DU SOMMEIL PARADOXAL
Dans sa définition la plus simple, le sommeil paradoxal associe des mouvements
oculaires rapides, un relâchement musculaire complet, un éveil cortical, un
isolement sensoriel et des souvenirs de rêves".
Chez l'homme, le sommeil paradoxal dure environ 20 minutes et il se déclenche
assez régulièrement toutes les 90 minutes, soit un total d'environ l heure et demi
par nuit de sommeil. Le sommeil paradoxal existe chez tous les mammifères et
les oiseaux, avec une période et une durée spécifique pour chaque espèce. Ainsi
sa durée est d'autant plus grande que l'animal est gros, ou qu'il s'agit d'un
carnassier.
Le sommeil paradoxal engendre le rêve. Le rêve est une activité psychique
déclenchée par une excitation rythmique des noyaux du bulbe présente chez tous
les mammifères et les oiseaux. Le sommeil paradoxal et le rêve apparaissent au
cours de la vie foetale, et ils précèdent le développement du psychisme éveillé. Il
ne s'agit donc pas d'une conséquence de refoulements de la petite enfance ni
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d'une réponse à des besoins physiologiques insatisfaits : dans son oeuf, le
poussin rêve déjà.
RÊVE ET MATURATION CÉRÉBRALE
Le génome humain comprend environ 30 000 gènes" et il est responsable de
l'organisation anatomique du système nerveux central. Mais ces informations
génétiques limitées ne suffisent pas à programmer les dix milliards de neurones
et les cent mille milliards de synapses" de notre cerveau démesuré.
Dans ce contexte, le sommeil paradoxal apparaît au voisinage de la naissance,
quand le nombre de synapses s'accroît et quand de nouveaux circuits
fonctionnels s'organisent. Cette nouvelle activité du cortex cérébral représente
d'abord 50 à 80 % des nombreuses heures de sommeil du nouveau-né, et il ne
s'agit pas d'une réponse à l'activité de la conscience éveillée, encore presque
inexistante.
Aussi on peut en déduire que la fonction initiale du sommeil paradoxal
et du rêve est de stimuler le système nerveux central, d'activer des circuits
neuronaux et de compléter le déterminisme génétique : le sommeil paradoxal
participe à la « stabilisation sélective » de circuits privilégiés" et il prépare le
développement de la conscience diurne.
Tout démontre l'extrême importance de cette période. Pendant son sommeil
paradoxal, le nourrisson a ses premiers sourires et toutes sortes d'expressions du
visage, encore absentes quand il est éveillé. Le comportement onirique du chat
montre aussi que le rêve est la matrice de ses futurs comportements. Pendant la
maturation cérébrale, le rêve est un facteur de spécialisation du comportement et
des aptitudes individuelles.
COMPORTEMENT ONIRIQUE DU CHAT
Le comportement onirique du chat montre que les besoins physiologiques de
l'animal n'interviennent pas. Un chat affamé ne mange pas dans son rêve. Et si le
rêve réalisait son besoin de nourriture, il se réveillerait affamé après avoir
mangé dans son rêve et il sombrerait dans la folie des chats... Le rêve substitut
d'un désir ou d'un besoin physiologique est une idée contre nature.
En revanche, le comportement onirique est bien spécifique de l'espèce :
En rêve, le chat affamé est à l'affût, il capture une proie ou se bat avec un autre
animal. Les rêves reproduisent un répertoire de conduites élémentaires qui font
que le chat est un chat, ce qui ressemble à la notion Jungienne d'une
manifestation des archétypes dans les rêves. Ainsi le rêve est bien une fonction
vitale, capable de réactiver tous les comportements spécifiques d'une espèce et
d'augmenter ses chances de survie.
Les travaux de M. Jouvet montrent aussi que le comportement onirique est
spécifique de l'individu, reproductible et différent d'un animal à l'autre.
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Le rêve est un facteur de différenciation individuelle, ce qui correspond à la
notion Jungienne d'individuation par le rêve.
LE RÊVE OPTIMISE l'ACTIVITÉ CORTICALE
Pendant l'éveil, le système psychique des mammifères gère de très nombreuses
tâches simultanées et il est sans cesse en alerte, fragmenté par les multiples
informations issues de l'environnement et par les sensations associées aux
besoins physiologiques comme la faim, la soif, la douleur, la reproduction. La
conscience ne perçoit qu'une toute petite partie de ce flux intense, environ une
information sur dix millions, et de nombreuses informations restent en dessous
du seuil de conscience"'. Pendant l’éveil, le cortex cérébral doit aussi partager
l'énergie disponible sous forme de glucose avec les autres fonctions
physiologiques actives comme l'appareil musculaire ou le système digestif.
Le sommeil lent et profond, stades 3 et 4, prédomine habituellement en début de
nuit : l'activité parasympathique favorise la réparation tissulaire, la synthèse de
protéines et d'hormones. La fréquence cardiaque, la pression artérielle et la
ventilation diminuent, la température centrale baisse. Des réserves énergétiques
de glucose, destinées aux neurones, se constituent dans les cellules gliales sous
forme de glycogène. Le sommeil lent est réparateur de la fatigue physiologique,
le cortex est au repos et la mémorisation absente".
Le sommeil paradoxal se déclenche toutes les 90 mn environ, et les réserves de
glycogène reconstituées pendant le sommeil lent autorisent cette activité
corticale intense pendant des phases continues de 20 mn. Le cerveau consomme
plus d'oxygène que pendant l'éveil alors que le système moteur, paralysé, ne
consomme pas d'énergie. Toutes les structures corticales sont en éveil, mais
totalement insensibles aux stimulations extérieures et aux besoins
physiologiques. Au cours du sommeil paradoxal, le fonctionnement cérébral
devient optimal, et toutes les fonctions corticales peuvent participer au
développement du rêve.
Ainsi, au cours du sommeil paradoxal et du rêve, l'activité corticale devient
maximale, et elle échappe totalement aux conditionnements et aux stimulations
sensorielles du psychisme éveillé: l'activité onirique est physiologiquement
supérieure à la conscience éveillée) mais elle est beaucoup plus difficile à
comprendre.
COMPARAISON AVEC UN CHERCHEUR
Le cerveau qui rêve ressemble à un chercheur qui s'isole dans son laboratoire
pour résoudre un problème difficile. Il fait une provision de sandwichs, interdit
qu'on le dérange et débranche le téléphone. Enfin tranquille, il teste, écoute,
observe et réfléchit, et il mange ses sandwichs. De la même façon, le sommeil
paradoxal isole et optimise l'activité cérébrale. Le rêve dispose de la totalité des
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ressources cérébrales, il donne à chaque être vivant la possibilité d'échapper à
ses conditionnements et de découvrir de nouveaux comportements.
Contrairement aux reptiles, tous les mammifères, rêveurs, ont une faculté
d'apprentissage et une plasticité du comportement : le rêve est un facteur de
survie et d'innovation.
Cependant, le rêve n'est pas plus indispensable que la recherche scientifique. De
nombreuses expériences échouent et de nombreux rêves restent sans suite. Une
société humaine ou animale peut rester stable pendant des millénaires. Un
individu peut garder les mêmes limites conscientes et les mêmes automatismes
pendant toute son existence. Le rêve semble alors inutile.
Le rêve est une énigme. Si les résultats d'une recherche sont rarement faciles à
comprendre, l'activité onirique est aussi difficile à interpréter. Le rêve parle un
langage inconnu et il fait une synthèse de l'ensemble des fonctions corticales. La
conscience s'impatiente et affirme que le rêve est incohérent. Avant d'étendre le
champ de la conscience, le rêve est incompréhensible. Le rêve a besoin de
réflexion, de temps et de recul, car il tend à élargir la conscience à ce qu'elle ne
connaît pas.
LE RÊVE EST UNE SIMULATION
Avec le rêve, chaque être vivant dispose d'une sorte de simulateur. Le rêve est
un monde virtuel qui utilise les capacités d'attention, de mémorisation et
d'analyse du psychisme tout entier. Avec des moyens différents du psychisme
éveillé, le rêve crée de nouvelles situations, déroule tout un scénario sans
exposer au moindre risque. Ce qui s'y passe est presque sans danger. Dans une
course rapide, le rêveur reste immobile et protégé. Cependant le rêve a un
impact non négligeable sur le coeur, la respiration, l'équilibre végétatif et
hormonal. Le sommeil paradoxal peut provoquer un accident cardiaque, une
crise d'épilepsie ou aggraver des maladies préexistantes.
ANTICIPATION ET PRÉMONITION
La conscience humaine, instable et limitée, cherche toujours à prévoir l'avenir. II
s'agit d'une activité naturelle chez tout être humain. Le rêve anticipe lui aussi, et
il explore le futur avec des moyens supérieurs à ceux de la conscience. Il intègre
des perceptions subliminales et utilise toutes les fonctions corticales. Chez les
peuples primitifs, le rêve est essentiellement prémonitoire. Il annonce
effectivement la pluie quand la conscience encore limitée est incapable
d'observer et de comprendre une situation météorologique. De nombreux rêves
prémonitoires n'ont rien de « magique », Ils traduisent simplement la supériorité
de l'ensemble des fonctions corticales actives pendant le sommeil paradoxal sur
une conscience encore peu développée. Le rêve est capable de faire des
prévisions assez exactes.
RÊVE ET HÉMISPHÈRE DROIT
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Dans une étude sur 2 525 souvenirs de rêves, M. Jouvet remarque une
dissociation dans le fonctionnement des hémisphères cérébraux. Dans un rêve
une phrase est perçue distinctement et le visage qui la prononce reste inconnu
Dans un autre rêve, une personne bien identifiée s'exprime d'une façon
incompréhensible. Tout se passe comme si, pendant le rêve, un seul des deux
hémisphères cérébraux s'exprimait à la fois. Ces observations attirent l'attention
sur l'hémisphère droit.
Notre culture occidentale, essentiellement verbale et logique, privilégie le
cerveau gauche et étouffe un cerveau droit imagé, auditif, alogique (privé de
logique) et intemporel. Cet hémisphère droit n'a presque aucune fonction
logique!
Certains malades ont subi une section des commissures inter hémisphériques. Ils
ont un cerveau dédoublé, un « split brain », et leur hémisphère droit peut être
testé séparément du gauche. Il est « muet » et ne s'exprime pas avec des mots. Il
reconnaît un visage et un air de musique, mais il ne distingue pas le oui du non.
Le cerveau droit utilise des images, des impressions sensorielles, des séquences
visuelles et auditives.
Nos rêves compensent l'unilatéralité psychique moderne et apportent le langage
inconnu, les perceptions et les images de cet hémisphère droit négligé.
L'exemple du chimiste Von Kekule est caractéristique. Son cerveau gauche,
verbal et rationnel, se heurte au problème de la structure du benzène. La solution
apportée par le rêve est l'image d'un serpent qui se mord la queue et sa réflexion
le conduit à imaginer le noyau cyclique du benzène avec six atomes de carbone.
Cette image n'est pas une réponse rationnelle, mais elle est cohérente et utile.
Les rêves de l'homme moderne compensent la domination, le despotisme de son
cerveau gauche, Chez les peuples primitifs, la situation est inversée. Les
fonctions logiques et verbales de l'hémisphère gauche sont peu différenciées.
Les rêves corrigent ce déséquilibre et le cerveau gauche, rationnel et verbal, s'y
exprime davantage que chez l'homme moderne. Dans les récits des
Amérindiens, les hommes entendent la voix du Grand Esprit, les pierres et les
animaux parlent.
Freud tentait d'expliquer l'incohérence apparente du rêve par une censure des
désirs refoulés. Ce déguisement des désirs est un jeu de dupes, incompatible
avec une fonction physiologique vitale, et l'hypothèse de Freud est inutile.
L'incohérence apparente du rêve s'explique très simplement par l'activité de
l'hémisphère droit au cours du rêve. Le rêve est naturellement imagé, non verbal,
alogique, intemporel, libéré de la domination de l'hémisphère gauche.
Autre observation : STRESS ET REVE
Les expériences menées sur des rats et des étudiants, placés dans des cages
différentes, montrent que le sommeil paradoxal se renforce en situation de
stress. Les rats en période d'examen et les étudiants placés dans un labyrinthe
ont tous beaucoup plus de rêves qu'en temps normal. Il faut reconnaître ici
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l'extraordinaire patience de nos chercheurs, capables d'observer pendant des
semaines entières leurs rats aux prises avec du papier et un stylo.
La relation entre stress et rêves est normale si le rêve est une fonction chargée
d'aider et de guider le psychisme éveillé aux prises avec des difficultés.
En période de stress, le rêve apporte une analyse élaborée la nuit par l'ensemble
des fonctions psychiques. De fait, les souvenirs de rêves sont plus fréquents en
cas de maladie, d'accident et dans de nombreuses situations délicates
physiquement ou psychologiquement. Ils se manifestent de façon plus insistante
pendant les périodes importantes de l'existence, à l'adolescence, à l'occasion des
grandes décisions ou encore en fin de vie.
L'hypothermie est aussi un stress qui exige des mesures urgentes. Un organisme
vivant résiste plusieurs semaines au manque de nourriture, mais il survit
rarement plus de quelques heures à une hypothermie. Face au danger mortel
représenté par la chute de la température centrale, la physiologie a encore
privilégié le rêve, qui apparaît comme un atout essentiel : la durée du sommeil
paradoxal croît quand la température centrale baisse.
De nombreuses observations indiquent que le cerveau peut passer brusquement
dans un état de rêve continu en cas de défaillance physiologique majeure ou de
danger vital. C'est le cas d'accidentés très gravement blessés ou de patients de
réanimation. Physiologiquement, le système réticulé activateur ascendant
(S.R.A.A.) est capable d'activer l'ensemble du cortex et de bloquer toutes les
informations sensorielles périphériques.
Cette transition brusque isole le système psychique de la douleur et du stress
physique, et les souvenirs de ces patients n'ont rien de commun avec la réalité
vécue: tout se passe comme si le système psychique disposait d'une ultime
protection, et s'isolait en état de rêve continu dans l'attente d'une amélioration
physiologique.
Nous venons de voir que le rêve est une fonction vitale pour l’homme et joue un
rôle majeur dans son développement. Il n’en reste pas moins vrai que son
apparence le rend étrange voire absurde. Alors comment débusquer ce qui se
cache dans le rêve ? Ou en d’autres termes comment l’interpréter ?
D’abord est-ce qu’il faut interpréter un rêve ? Dans la mesure où il a un rôle,
celui entre autre d’amener à la conscience des données, c’est préférable. Et puis
de toutes façons, nous constatons que tant que nous n’avons pas compris un
message, celui-ci insiste, ce sont ces rêves récurrents dont chacun à fait un jour
l’expérience. Ces rêves s’arrêtent dès qu’ils ont été correctement interprétés.
Néanmoins, il y a des rêves si forts qu’ils suffisent à changer l’attitude du rêveur
sans nécessité de traduction. Ils sont + rares et marquent l’esprit.
Alors comment interpréter un rêve ?
Faut-il l’interpréter en tenant compte réellement des scènes et des personnages
présents ? C’est ce que l’on nomme interprétation sur le plan de l’objet.
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L'interprétation « sur le plan de l'objet » considère les objets et les personnages
des rêves comme extérieurs au rêveur. C'est la méthode la plus ancienne, elle
respecte l'apparence du rêve et cherche à expliquer le rêve en fonction
d'événements extérieurs passés, présents ou à venir. Elle convient parfois à
l'étude de rêves qui décrivent les relations du rêveur avec le monde extérieur.
L'analyse freudienne du rêve se fait habituellement sur le plan de l'objet.
Faut-il considérer que chaque personnage représente une face du rêveur ? C’est
ce que l’on nomme interprétation sur le plan du sujet. L'interprétation « sur le
plan du sujet » est diamétralement opposée à la précédente. Elle considère
chaque objet et chaque personnage du rêve comme une composante psychique
du rêveur lui-même. Le monde extérieur n'est plus en cause, ces personnages et
ces objets décrivent différentes fonctions psychiques. Cette démarche permet
d'interpréter de nombreux rêves autrefois incohérents et elle conduit à une
introspection caractéristique de l'analyse jungienne.
Faut-il respecter scrupuleusement le rêve sans s’en éloigner, ou doit-on
demander au rêveur des associations libres autour des éléments du rêve ?
Et bien, cela dépend ! Il y a des rêves oedipiens dans la plus pure tradition
Freudienne que l’on pourra interpréter sur le plan de l’objet en faisant associer
librement le rêveur.
Il y a des rêves de transformation dans la plus pure tradition jungienne que l’on
pourra interpréter sur le plan du sujet en évitant de s’éloigner du contenu du
rêve.
Il y a des rêves transgénérationnels qui mettent en scène une mémoire familiale
et qui ne pourront être interprété qu’à la condition de connaître cette histoire
familiale et de connaître les mécanismes de la transmission des traumatismes
entre générations.
Il y a les rêves de ceux qui vont mourir qui sont des rêves de passage d’un état à
un autre et qu’il n’y a pas lieu d’interpréter tant ils sont évidents pour ceux qui
les rêvent.
Le rêve est là pour nous aider à remplir notre mission. Cette mission, rares sont
ceux qui la connaissent ! Cela dépend de nos croyances. Mais il semble évident
que les rêves ont un sens et qu’ils nous servent à mieux vivre, à dépasser un
blocage important, qu’il soit oedipien, transgénérationnel ou spirituel.
En tout cas le rêve est lié à l'histoire du rêveur, de sa famille, de son ethnie.
Il faut toujours travailler sur de nombreux rêves : chaque rêve est une facette
d'un ensemble beaucoup plus grand que l'on découvre peu à peu, et il faut
souvent travailler sur des séries de rêves, pas sur un seul.
12
Pour plus de clarté, je vais prendre des exemples. Je vais laisser de côté les rêves
freudiens, chacun en a entendu parler, c’est même passé dans le la culture
populaire : on rêve d’un couteau, c’est un symbole phallique…
Je vais prendre un rêve emprunté à Jung, un rêve cité par F.Dolto que lui a
raconté un de ses patients avant de mourir et je terminerai par deux rêves
trangénerationnels empruntés à la pratique de Didier Dumas.
Commençons par Jung :
« L arbre et le robot »
C'est le rêve d'une jeune femme célibataire d'environ trente ans, très souvent
malade, une multitude de pathologies différentes qui se succèdent indéfiniment :
« Elle entre dans sa chambre, plongée dans l'obscurité. Elle sait qu'il y a là une
plante, un petit arbre au milieu de cette pièce. Elle ne parvient pas à allumer la
lumière, et cet arbuste se transforme en une espèce de robot aux mouvements
désordonnés et aux lumières clignotantes. »
Sur le plan de l'objet, le rêve est incohérent. L'arbre planté dans cette chambre et
sa transformation en robot n'ont aucun sens, et c'est bien ce que la patiente pense
de son rêve.
Sur le plan du sujet, le rêve prend une tout autre dimension. Le symbolisme de
l'arbre pourrait, à lui seul, former tout un livre. Le dictionnaire des symboles
nous en donne l'essentiel et il souligne l'identité symbolique entre l'homme et
l'arbre. L'arbre représente un processus de croissance entièrement naturel et
spontané, il prend racine dans les profondeurs obscures de la terre, et se
développe vers le ciel. Depuis que l'homme est devenu conscient et différent des
animaux, il y a aussi en lui ce désir de transcender la vie ordinaire et animale
pour s'élancer vers l'esprit et le ciel. L'arbre représente une croissance «
organique » de l'esprit humain qui s'enracine dans l'obscurité de la matière et
dans la vie concrète la plus ordinaire pour s'élever vers le monde de l'esprit et la
spiritualité.
Cette alchimie secrète se déroule dans la chambre de la rêveuse, c'est-à-dire dans
l'espace le plus intime de sa personnalité. L'arbre représente son individuation, la
façon dont son existence s'enracine dans la vie concrète et s'élève vers l'esprit.
De même que l'arbre tire son énergie vitale de la lumière du soleil, la
personnalité a besoin de la lumière de la conscience pour se développer.
Chez cette patiente, l'absence de lumière indique une absence de conscience, et
la transformation de l'arbre en robot signifie l'échec de l'individuation. Tout le
processus naturel de croissance et d'épanouissement de la personnalité de cette
jeune femme est stoppé, remplacé par cette machine absurde, chaotique et
instable. Dans la réalité, cette jeune femme avait une existence aussi chaotique
et instable que le robot de son rêve, et elle refusa d'accorder la moindre attention
à ce message parfaitement cohérent et significatif.
Les rêves de mort
13
Ce dont on se rend compte c’est que les rêves que racontent ceux qui sont
proches de la mort n'expriment pas un désir d'éviter la souffrance et la
destruction du corps, mais ils parlent d'une évolution de la psyché au-delà de cet
anéantissement physique. Au voisinage de la mort, tout se passe comme si la
barrière infranchissable qui sépare le monde des vivants et le monde des morts
devenait plus perméable, et les défunts réapparaissent dans les rêves comme s'ils
continuaient à vivre. Les rêves parlent de passage vers un autre monde,
d'abandon du corps physique et d'une continuité de la vie psychique, ils
évoquent une transformation complète ou une guérison, un voyage et une autre
forme d'existence. Ils apportent une sérénité.
Ex de mon grand-père.
Un exemple : F. Dolto raconte dans « séminaires de psychanalyse d’enfants »
qu’elle recevait en cure une amie psychanalyste en phase terminale d’un cancer.
Lors de la dernière séance, elle arriva complètement transformée, radieuse,
illuminée par un rêve étrange qui la faisait planer malgré son état de santé
catastrophique.
« J’ai fait un rêve extraordinaire, impossible à raconter ; mais c’était
accompagné d’un tel bonheur que je ne sais pas si l’on peut en connaître de
pareil sur terre. Ce bonheur venait de syllabes que j’entendais, de syllabes qui ne
veulent rien dire. Il n’y avait aucune image dans ce rêve. »
Dolto pense que ce sont des syllabes indiennes. Sa patiente avait vécu, en Inde
les 9 premiers mois de sa vie. Ses parents lui avaient raconté qu’elle passait ses
journées aux bras d’une nounou indienne de 15 ans qu’ils n’avaient pu ramener
en Europe. Dolto lui propose pour aller au bout de son intuition, d’aller à la cité
Universitaire, à la maison de l’Inde pour essayer de trouver un traducteur. La
bas, elle finit par trouver un hindou connaissant ce dialecte qui reconnaît ces
syllabes et lui dit « c’est ce que toutes les mamans disent aux bébés : Ma petite
chérie dont les yeux sont plus beaux que les étoiles. C’est une petite phrase
d’amour.
Voilà, donc au cours d’une régression profonde comme le sommeil peut en
générer, elle avait retrouvé cette langue oubliée avec une précision et une
émotion intacte qui comme un puissant baume lui a permis de mourir sans
souffrir quelques jours plus tard.
Maintenant je vais vous expliquer pourquoi le rêve est si important en
psychanalyse à travers 2 exemples.
Rêves transgenerationnel
14
Marie-Hélène a une trentaine d'années. Jean-Charles est son époux. Ils ont un
fils, David, qui vient d'avoir 3 ans. Elle a entrepris un travail avec Didier
Dumas, il y a un peu plus de deux ans, car depuis qu'ils ont eu cet enfant, elle n'a
jamais pu refaire l'amour avec Jean-Charles.
Dès qu'il la touche, elle est saisie d'une angoisse qui la met dans un état de
panique à ce point intense qu'elle rend toute relation impossible. Cela lui paraît
d'autant plus « injuste et fou » qu'elle continue à aimer Jean-Charles. Rien
n'explique à ses yeux qu'elle soit ainsi soudainement devenue sexuellement
phobique. Elle n'a rien à reprocher à son mari.
David est un enfant qu'ils ont tous deux désiré. L'accouchement s'est on ne peut
mieux passé. Quant à Dumas, il n’a trouvé qu'une explication à cette étrange
phobie : le fait qu'à l'arrivée de David, Jean-Charles soit soudainement devenu,
pour elle, un « père intouchable ». Il a donc engagé Marie-Hélène à lui parler de
son père. Mais il se passe une chose étrange c’est que depuis qu’elle parle de son
père, une nuit sur trois, elle est assaillie par d'insupportables cauchemars qui ne
mettent en scène que des morts d'enfants.
« J’ai encore fait un cauchemar épouvantable, dit Marie-hélène. Des bandits
nous avaient enlevés avec Jean-Charles. On nous avait séparés et je me
retrouvais seule, prisonnière, sur un bateau. Ils m'avaient bâillonnée et attachée
au mât. Je ne pouvais ni crier ni bouger et je les voyais qui assassinaient des
enfants. Ils les prenaient par les pieds pour leur fracasser la tête contre le
bastingage, avant de les jeter à la mer. C'était horrible ! »
Ils avaient déjà longuement exploré son histoire familiale et généalogique. Elle
est remontée jusqu'à ses arrière-grands-mères sans y trouver le moindre
traumatisme lié à une mort d'enfant. La seule mort traumatique de son histoire
familiale est une mort de mère. Celle de sa grand-mère paternelle, emportée par
le typhus quand son père avait 3 ans.
Une mère assez vite remplacée par celle qu'elle a toujours considérée comme sa
« vraie grand-mère », la seconde épouse du grand-père, à laquelle son père est
aussi fortement attaché qu'elle. Rien ne permet donc de comprendre d'où
provient cette soudaine et brutale activité onirique macabre qui encombre ses
nuits : « Que pouvez-vous associer aux images de ces rêves ? — Rien. Ce bateau
ne m'évoque absolument rien. Ces hommes non plus... Non, rien...
Pourtant, il y a quelque chose qui insiste dans vos rêves depuis plusieurs
semaines et que je ne comprends pas. Quelque chose qui a à voir avec une mort
d'enfant et qui concerne probablement votre père... Un événement qu'il tait, un
secret de famille ou autre chose que vous ignorez. »
A la séance suivante, Marie-Hélène arrive triomphante :
« J'ai trouvé ! J'ai passé le week-end chez mes parents et j'ai trouvé ! J'ai à
nouveau interrogé Papa sur son enfance et j'ai appris quelque chose que
j'ignorais totalement. Mon grand-père n'a pas été marié que deux fois,
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mais trois. Entre la mère de Papa qui est morte du typhus et Grand-Maman, il y
a eu Tante Odile. Quelqu'un dont j'avais entendu parler, mais que je ne
connaissais pas. Et comme tout le monde l'appelle Tante Odile, je ne savais
pas qu'elle avait été la seconde femme de Grand-Papa.
Leur mariage a duré trois ans, mais cette femme n'est jamais arrivée à mettre au
monde un seul enfant vivant. D'après Papa, elle aurait eu cinq bébés mort-nés.
— Et quel âge avait votre père ?
— Trois ou quatre ans. Grand-Papa l'a très vite épousée après la mort de sa
première femme. C'était la gouvernante des enfants. Il voulait redonner
une mère à Papa et à mes tantes. Leur liaison était même probablement
antérieure à la mort de la mère de Papa. »
Voilà ce qui perturbait sa vie fantasmatique et sexuelle depuis la naissance de
son fils. Marie-Hélène ne souffrait pas d'un « complexe d'oedipe » mal digéré,
qui l’empêchait de faire l’amour avec son mari. Le fantôme responsable de ses
troubles remettait en scène un traumatisme provenant de l'enfance de son père. Il
s'était déclaré à la naissance d'un enfant et il s'agissait d'un fantôme de bébés
morts se manifestant par une dramatique perturbation de la vie fantasmatique et
sexuelle.
Le rêve de Marie-Hélène prenait sens. Elle découvrait qu'elle était hantée par les
terreurs infantiles d'un papa pour qui, l'on s'en doute, cette ribambelle de bébés
morts ayant succédé à la disparition de sa mère n'avait pas été une mince affaire.
Elle comprenait pourquoi elle était brusquement devenue phobique de l'homme
qu'elle avait fait papa.
A travers le 2ème rêve que je vais citer, vous allez mieux comprendre à quoi
servent les rêves dans une analyse.
Il s'agit d'une cliente qui souffrait, depuis longtemps, d'abominables douleurs
dorsales. Elle avait déjà tenté tous les traitements possibles dont une cure
analytique qui n'avait fait qu'amplifier ses douleurs. Sur les conseils de son
acupuncteur, elle se décida à reconsulter un analyste. Elle résolut alors son
problème en un temps record, puisqu'elle n'eut besoin de consulter Didier
Dumas que pour quelques séances.
Dans la nuit qui précéda le premier entretien, elle fit un rêve : «... Elle était seule
dans un lieu où tout était blanc, elle voyait des personnes qui avaient été des
voisins dans l'enfance. Ils voulaient l'attirer dans des couloirs mais elle ne
bougeait pas. Le décor changeait alors brusquement. Elle se retrouvait avec ses
voisins actuels dans un paysage complètement enneigé... ».
Elle associa le blanc à la mort. Ce lieu où elle était, au début du rêve, lui
évoquait en même temps des catacombes et un hôpital. Les catacombes lui
faisaient penser à la mort. Or, l'hôpital la fit parler de la naissance, celle de son
fils aîné. Ses symptômes étaient apparus pour la première fois après cet
accouchement. Ils avaient ensuite récidivé au moment de la mort de son grand-
16
père maternel. Ils avaient alors été à ce point aigus qu'elle avait dû rester alitée.
Tous les deuils qui avaient suivi cette mort s'étaient accompagnés d'une
aggravation de ses symptômes. Elle n'avait pu aller à l'enterrement de son grandpère,
mais de toute façon, elle ne l'aurait pas supporté. L'idée d'être confrontée à
la mort lui faisait peur et, depuis lors, sa mère la protégeait, en ne lui annonçant
les morts qu'après que l'enterrement soit passé. Cette situation l'énervait, car elle
se sentait infantilisée. Ses symptômes avaient, peu à peu, conduit son entourage
à la traiter comme une enfant. Depuis des années, elle courait d'un spécialiste à
un autre sans trouver remède à son mal.
La première partie de son rêve laissait entendre qu'elle avait besoin de parler
d'un événement qui avait dû avoir lieu dans son enfance, et auquel les voisins
qui apparaissaient en rêve avaient probablement assistés. La deuxième partie du
rêve, en mettant en scène ses voisins actuels, parlait d'elle à l'âge adulte, la neige
pouvant représenter son désir de supporter l'idée de la mort aussi simplement
que l'hiver succède à l'été. A la séance suivante, elle raconta un événement
traumatique qui était survenu lorsqu'elle avait un an et demi. Sa mère, devant
accoucher d'un petit frère, la confia à sa grand-mère. Celle-ci vivait avec
l'arrière-grand-mère dans une maison à la campagne. Mais au moment où sa
mère accouchait, l'arrière-grand-mère tomba dans un canal et se noya. Une
somme d'argent avait disparu. La police avait eu des suspicions de meurtre mais
l'affaire n'eut pas de suite. L'événement avait été mentionné dans sa première
relation analytique, mais il n'avait été relevé ni par elle ni par son analyste. Elle
n'avait, en tout cas, jamais fait le lien entre cet événement et ses symptômes.
Dumas mis en relation le fait qu'elle avait associé son rêve à la naissance de son
fils et ce qui était arrivé lorsqu'elle avait dix-huit mois, à la naissance de son
frère. Puis, lui demanda de décrire plus précisément ses symptômes : Ses
douleurs dorsales la forçaient à se replier sur elle-même dans une position
semblable à celle du foetus.
Il lui expliqua qu'il fallait retrouver et reconstruire comment, enfant, elle avait
vécu cet événement. A dix-huit mois, un enfant est encore télépathe. Il a un
accès direct à l'inconscient des adultes tutélaires. Elle avait donc vu comment la
mort de l'arrière-grand-mère avait traumatisé les adultes, comment la suspicion
de meurtre avait télescopé les fantasmes de mort des femmes de sa lignée. Mais
elle avait vu cela sans pouvoir en parler puisqu'on l'avait traitée comme une
enfant, que la mort et la naissance ne concernaient pas. Retrouvant sa mère après
la naissance du petit frère, elle n'avait pas retrouvé une mère heureuse d'avoir
mis au monde un enfant, mais une mère traumatisée et coupable d'avoir mis au
monde un garçon qui venait là comme pour remplacer la disparition de l'arrièregrand-
mère. Les adultes ayant été incapables de lui parler de la naissance et de
la mort, dans son imaginaire d'enfant, tout ce qui concernait la vie et la mort
s'était alors mélangé.
Les trois séances qui suivirent lui permirent de reconstituer cela. Jusqu'à l'âge de
quatre ans, elle avait continué à questionner sa mère en disant répétitivement «
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tombé à l'eau ». Sa mère ne pouvant lui répondre, elle avait fini par renoncer à
ses questions. Elle parla alors de sa belle-mère. Cette femme avait une fille qui
était en train de mourir d'un cancer des ovaires. Pour les médecins, elle était
perdue. Or, on continuait à la maintenir entre la vie et la mort, par peur d'avoir à
supporter le drame que cette mort allait être pour sa belle-mère. Cette situation
lui paraissait absurde et provoquait des heurts entre elle et son mari. Pour la
première fois, cette femme qui était, dans ses séances, d'une douceur et d'une
timidité excessive, exprimait une violente agressivité vis-à-vis d'une femme de
la génération précédente. Dumas pointa la dimension légitime de son agressivité,
mais en lui laissant entendre qu'il y avait peut-être là, un déplacement de celle
qu'elle n'avait jamais pu adresser à sa mère. Depuis l'âge de dix-huit mois, sa
mère faisait tout pour la protéger de la mort. Elle était donc en quelque sorte,
comme sa belle-soeur, une enfant qu'on protégeait de la mort pour ne pas avoir à
supporter le chagrin des mères.
A la séance suivante, ses symptômes avaient récidivé. Ses douleurs dorsales
étaient revenues lors d'une visite de sa belle-mère, mais de façon différente. Les
douleurs ne la repliaient plus sur elle-même en position foetale, mais avaient
provoqué un mouvement inverse qui lui raidissait le dos et la nuque vers
l'arrière. On pouvait donc interpréter ces deux mouvements : le premier tendait à
la remettre en position foetale comme pour retrouver l'immortalité d'un enfant
non-né. Le second était identique à-celui que l'enfant doit faire pour naître.
L'agressivité qu'elle avait pu exprimer contre sa belle-mère s'était matérialisée
dans un mouvement qui essayait de dire qu'elle était née. Du même coup, elle
tentait de se penser mortelle face à une femme de la génération de sa mère.
Après cette séance, elle n'eut besoin de le revoir qu'une dernière fois. Elle revint
une quinzaine de jours plus tard. Elle avait fait un autre rêve dans lequel « des
cousins de son mari lui annonçaient la mort de sa belle-mère et elle se voyait
pleurer à chaudes larmes ». Depuis qu'elle avait fait ce rêve, elle se sentait
parfaitement bien. Elle n'avait d'ailleurs repris rendez-vous que pour raconter ce
rêve et le remercier.
On peut dire que le rêve métabolise, c’est à dire transforme le trauma.
Pourquoi ? Le traumatisme infantile est un événement qui s'inscrit comme un
blanc, une zone d'ombre, une absence de mots dans les rapports du sujet et de
l'Autre. Lorsque, du fond de l'inconscient, le trauma insiste, c'est avec l'espoir de
résoudre cette absence de mots. Pour cette cliente, un événement traumatique
continuait à insister, se matérialisant dans son corps comme une inversion entre
les mouvements de la vie et ceux de la mort, les mouvements d'entrée et ceux de
la sortie. N'ayant jamais eu le droit de porter un deuil, elle ne pouvait, du même
coup, se situer dans la succession des générations, au sein d'une lignée de
femmes et cela s'exprimait dans la verticalité de son corps. La Verticalité
différencie l'homme de l'animal. Elle implique une intégration du temps qui se
structure à l'âge oedipien. C'est à cela que le trauma avait fait obstacle. La pensée
nocturne, le rêve, s'exprime en représentation d'images, elles-mêmes en relation
avec l'image du corps. Par le rêve d'un deuil, le travail analytique a permis à
cette cliente de se défaire de ses symptômes. On voit donc comment lorsqu'un
trauma cache un défaut de parole dans les relations de filiation, le fantôme d'une
arrière-grand-mère peut prendre possession du corps de son arrière-petite-fille.
Parce qu’il y avait absence de mots, le trauma s'exprimait dans le corps. La
représentation d'image a, ainsi, pour fonction d'établir un pont entre les
représentations de corps et l'absence de représentation de mots. C'est
pourquoi le travail du rêve est, en soi, une métabolisation du trauma, une
tentative de transformation du trauma.
Conclusion
Rendre conscient l’inconscient ne se réduit pas à atténuer certaines souffrances
parce qu’on en exprime l’origine, c’est aussi comprendre comment s’est gravé
en nous cette terrible loi « vivre c’est mal ! ». Depuis notre enfance nous avons
appris à nous méfier de notre élan vital, notre spontanéité et notre exubérance
ont toujours été réprimées
L’inconscient cherche à amener les forces vitales et le plaisir de vivre à la
surface. Ce qui lui importe c’est que la personne s’accomplisse et retrouve ce
lien privilégié qui le relie à l’univers dont il est issu et à qui il appartient.
Il arrive toujours un moment lors d’une cure ou le patient manifeste une certaine
culpabilité a s’accorder autant de temps à parler de lui et de sa souffrance. C’est
indispensable de prendre soin de soi non pas parce que nous vivons comme on
nous le répète en permanence dans un monde individualiste mais parce que pour
pouvoir donner aux autres de l’amour, il faut l’avoir trouvé en soi et assurément
ce travail sur la connaissance de l’inconscient y mène.
Il n'y a pas chez un être vivant d'acte gratuit, c'est-à-dire d'acte qui serait sans
signification par rapport au reste de l'individu. Il n’y a pas de production
psychique gratuite, l’esprit est toujours producteur de sens, y compris dans
les comportements estimés « mineurs », rêves, actes manqués, petits
comportements névrotiques comme les troubles obsessionnels compulsifs.
Précisément parce qu'il est considéré consciemment comme mineur, un
comportement pourra servir à l'expression des pulsions de l'inconscient.
Dolto : « Combien de fois n’entendons nous pas des adultes dire d’un enfant il
ne dit ou ne fait que des bêtises c’est à dire des choses dépourvues de sens pour
moi adulte, alors que l’enfant au contraire par tous ses comportements et tous
ses dires, parle d’or et agit authentiquement, animé qu’il est par son désir
inconscient, tant qu’il n’est pas entièrement engagé dans l’identification à un
être social responsable. »
19
Freud a pensé que l’inconscient n’était constitué que de désirs infantiles
refoulés. Jung fut impressionné par la tragédie dont les premiers disciples de
Freud — et précisément les plus intelligents — furent victimes. On sait, en
effet, que plusieurs des amis ou élèves du père de la psychanalyse se
suicidèrent, tels que Honegger, Otto Gross, Victor Tausk, Ernst von Fleishl
tandis que d'autres comme Otto Rank ou Ferencsi sombraient dans la folie. Il
semble vraisemblable qu’il existe un rapport entre ces issues dramatiques et une
doctrine qui, par ses tendances purement analytiques et réductrices, était de
nature à désespérer les esprits qui la prenaient le plus au sérieux. En voulant, au
nom d'un conditionnement sexuel généralisé, dénoncer l'illusion de toutes les
créations de l'esprit et, particulièrement, de toute démarche religieuse, le
freudisme peut sembler entreprendre un travail de désintégration culturelle que
ne justifiaient pas les découvertes réelles de la psychanalyse. Pour Jung, le
contenu sexuel des rêves et de l'inconscient existaient mais n'étaient que la
composante d'un contenu beaucoup plus vaste; On ne pouvait pour autant les
identifier à la totalité des contenus inconscients.
Jung a enrichi notre connaissance en découvrant qu’une partie de son contenu
n’était pas seulement personnel mais appartenait à l’histoire collective. C’est ce
qu’il a appelé les archétypes.
L’écriture est sans doute le critère qui permet de dater l’éclosion de la
conscience. Les monuments les plus anciens à porter des inscriptions datent de
4200-4100 avant J.-C. Les premiers textes en écriture cunéiforme et les
hiéroglyphes remontent à peu près à la même époque. Nous pouvons donc parler
d’une conscience humaine à partir de cette époque, c’est à dire il y a environ six
mille ans. Ce n’est pas si énorme. Au regard de l’histoire de l’humanité, il s’agit
d’une période relativement brève.
Avant l’homme vivait d’une manière plus instinctive. Cette période immense a
laissé des traces en nous. Cette très longue partie du développement humain des
origines à la découverte de l’écriture a selon Jung marqué, laissé une empreinte
particulièrement vivace sous la forme d’images archaïque ou primordiale qui
possèdent une énergie psychique considérable.
On peut dire qu’à mesure que la connaissance scientifique progresse, le monde
se déshumanise dans le sens ou l’homme se sent de plus en plus isolé dans
l’univers, car il n’est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation
affective inconsciente ' avec ses phénomènes. Et les phénomènes naturels ont
lentement perdu leurs implications symboliques. Le tonnerre n'est plus la voix
irritée d'un dieu, la rivière n'abrite plus d'esprits, l'arbre n'est plus le principe de
vie d'un homme, et les cavernes ne sont plus habitées par des démons. Les
pierres, les plantes, les animaux ne parlent plus à l'homme et l'homme ne
s'adresse plus à eux en croyant qu'ils peuvent l'entendre. Son contact avec la
nature a été rompu, et avec lui a disparu l'énergie affective profonde
qu'engendraient ses relations symboliques.
20
Les symboles de nos rêves tentent de compenser cette perte énorme. Ils nous
révèlent notre nature originelle, ses instincts et sa manière particulière de penser.
Nous avons cessé de croire aux formules magiques. Notre monde est
apparemment débarrassé de « superstitions » telles que « les sorcières, les
magiciens, les lutins », sans parler des loups-garous, des vampires, des âmes de
la brousse, et de toutes les autres créatures bizarres qui peuplaient la forêt
primitive et qui ne peuplent plus aujourd’hui que les écrans de cinéma.
Plus exactement, c'est la surface de notre monde qui est nettoyée de tous les
éléments superstitieux et irrationnels. Pourtant, notre monde intérieur n’est pas
délivré de tout caractère primitif. Il est essentiel de le comprendre : l’homme
moderne est en fait un curieux mélange de caractères acquis au long d'une
évolution mentale millénaire. Et c'est de cet être mêlé, de cet homme et de ses
symboles, dont nous parlons.
Georges Romey a mené une expérience passionnante puisqu’il a poursuivi les
travaux de Robert Desoille qui en 1923 avait inventé la technique du rêve
éveillé. La personne en état de relaxation est dans un état de conscience modifié,
CAD que la critique par rapport aux productions mentales aux images qui
apparaissent est déconnectée. Ce n’est pas de l’hypnose, la personne est tout à
fait lucide mais détendue. Ce n’est pas non plus un sommeil puisque la personne
peut parler et raconter ce qu’elle voit. Mais les images, les symboles qui
apparaissent sont identiques à ceux des rêves nocturnes. Il a travaillé avec 300
personnes, analysés et recensés plus de 6000 rêves d’une durée moyenne de 35 à
40 minutes. Pour se représenter l’ampleur du matériau recueilli, il suffit de
penser qu’il correspond à la production verbale d’une personne qui parlerait sans
interruption, tous les jours pendant 10 heures, treize mois durant. Et bien, il s’est
rendu compte que sur les cinquante symboles le plus fréquemment exprimés
tous correspondent à des images naturelles, disponibles depuis l’origine du
monde vivant. Cette liste comprend sept couleurs, le soleil, la lune, la mer,
l’arbre, des animaux, mais aucun des objets, aucune des constructions nés de
l’industrie humaine, même ceux qui s’imposent quotidiennement dans notre
existence contemporaine. Cela fait réfléchir…
Et on rejoint par la-même, cette universalité des symboles, cette présence
inchangée dans le temps qui a amené Jung à comprendre l’existence d’un
inconscient collectif et à donner aux rêves la place qui doit être la sienne dans
notre existence.
Toussaint Corticchiato

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