Dans la 11ème « leçon d’introduction à la psychanalyse » (1915/16) Freud rappelle que le processus psychique qui transforme ou transpose [umsetzen] les pensées latentes en rêve manifeste s’appelle : « travail du rêve ».
En quoi consiste « ce travail du rêve » ?
D’abord, il s’agit de la transposition de la forme du souhait en réalité, et ensuite de celle des pensées oniriques, en images visuelles.
Les rêves infantiles pouvant être reconnus comme accomplissements évidents de souhaits [Wunsch] résultent de ces deux travaux.
Ce type de rêve peut dès lors être déchiffré grâce à une double lecture : derrière la réalité, se tient un souhait, et derrière les images visuelles se tiennent des pensées.
Ces rêves-ci, explique Freud n’ont pas besoin d’interprétation. Il suffit dans ce cas – Freud utilise un terme médical – d’une « Rückbildung ». Le sens premier du terme correspond à « atrophie ». Plus généralement, en restant dans le même champ sémantique, on pourrait traduire par « régression » : « retour (d'un tissu, d'un organe) à une forme antérieure de son développement chez un même individu ». Ce que ce type de rêve transpose – souhait et pensée –, il suffit de le faire régresser. Mais faire régresser dans ce sens, n’est pas interpréter.
Qu’en est-il alors des autres rêves, moins évidents, et plus nombreux qui ont besoin d’interprétation ? Ces rêves rajoutent au double travail du rêve – réalité et image – un aspect particulier : la déformation du rêve [Traumentsellung].
« Verschiebung » traduit le latin « deformatio ». Deformatio a un double sens, qui n’est pas pour déplaire Freud : représentation, dessin, forme d’un côté, altération, dégradation, flétrissure de l’autre. Il signifie, en allemand, altérer ou ôter la forme, déparer ou défigurer, sortir de la bonne place, disjoindre, débloquer, disloquer ou même désagréger, dé-structurer [« entstalten, verunstalten, aus der rechten Stelle, Fuge oder Gestalt bringen »].
Précisons : la « déformation du rêve » n’est pas autre type de travail du rêve, mais le résultat ou le produit de plusieurs travaux qui, selon Freud sont au nombre de trois. Ces trois travaux, ou trois activités oniriques sont : la condensation, le déplacement et la transposition de pensées en images visuelles.
De même que le terme de régression, le terme de condensation est issu de la terminologie scientifique, plus précisément de la chimie ou de la physique (étymologiquement dès 1590, dans le Livre du Ciel et du Monde de Nicole Oresme). La condensation est le « passage de l'état gazeux à l'état liquide et, plus rarement, à l’état solide. »
Il existe un processus inverse, avec saut d’étape, nommé « sublimation » – passage (d'un corps) de l'état solide à l'état gazeux sans passage par l'état liquide.
On a pu dire que Freud recourt au langage qu’il connaît, le langage scientifique, à la terminologie de son époque, pour exprimer quelque chose que seuls ses successeurs auraient pu rendre à sa véritable expression, à sa véritable science, à sa véritable terminologie. Entre Freud et sa vérité, il y aurait eu la linguistique de de Saussure, par exemple. Soit.
Mais il n’en reste pas moins que Freud pensait bien quelque chose avec ces termes métaphoriques. Et il le pensait avec les images du changement d’état des corps physiques. Ces corps peuvent avoir trois états : solide, liquide, gazeux. La structure moléculaire du corps en l’occurrence, disons le « corps psychique », est faite de souhaits, de pensées et d’images.
Que peut-on tirer de toute cette métaphorique ? Nulle part, et ce n’est pas une question de vocabulaire, Freud ne soutient que l’état naturel, l’état réel ou l’état véritable et originel de ces molécules est solide, liquide ou gazeux. Ce qui l’intéresse dans le travail du rêve, et ce sera le cas également pour son inverse, ce sont les passages, les transpositions, les mouvements et les métamorphoses. C’est ce qui lui permet de montrer, par exemple, que les images – celles du rêve, celles de l’hallucination, celles du fantasme sexuel – ne sont pas simplement illusoires, mais représentent des chiffres et peuvent être déchiffrés.
Si, pour rester avec la métaphore physique, la condensation fait changer l’état, le déplacement fait changer de lieu. Décentrement, décalage d’accent, translation, migration, passage.
Du troisième travail du rêve – la transformation de pensées en images visuelles – Freud affirme qu’il constitue le travail psychologiquement le plus intéressant des trois. Il en écrit encore que pour l’effort de travail requis, c’est le plus difficile et, du point de vue de la logique, le plus étonnant et le plus versatile. Changement d’état, changement de place, voici donc un changement de nature.
Et Freud de passer à nouveau par le biais d’une illustration. La transposition en images ressemble à la tâche qui consisterait à traduire un article politique en une série d’illustrations. Une fois de plus, le travail du rêve – l’illustration en l’occurrence – s’exprime par une illustration.
Cherchez l’origine ! Cherchez le support premier, la base ou le fondement.
Le texte même de Freud reprend et met en œuvre le mouvement, la transposition, le changement d’état qu’il entend penser. Qu’un penseur aussi averti, qu’un écrivain aussi subtil que Freud n’ait pensé ou écrit de la manière que par défaut, que parce qu’il ne disposait pas des bons mots ou des bonnes connaissances ou des vraies vérités, parait peu convaincant.
La suite de l’histoire est bien connue. Freud se rend compte que le travail du rêve ne se limite pas au rêve, mais qu’il détermine encore la vie éveillée, normale d’abord, pathologique ensuite. Ce qui agite les rêves agite les oublis, actes manqués et lapsus, et agite encore les symptômes névrotiques.
Qu’on n’aille pas dire, pourtant, que dans ce troisième cas, les images visuelles n’entrent plus en compte, qu’elles se retirent derrière les portes verrouillées du délire psychotique. Il suffit de relire les histoires de cas de Freud, à commencer par les Études sur l’Hystérie, pour se rendre compte combien l’image visuelle, l’hallucination consciente ou inconsciente, l’image onirique reste fondamentale, et ce de l’expérience de la satisfaction du besoin jusqu’aux fantasmes sexuels les plus sublimés.
Il semble clair que Freud n’a jamais été un penseur de substances, d’essences, d’êtres ou de dimensions et ce, parce que son objet, le psychisme, ne s’est jamais présenté à lui comme le monde des objets se présente aux yeux du philosophe : 4 éléments, 10 catégories, 3 dimensions...
Le psychisme n’est pas, il se présente, il se met en scène, et il se présente comme changement, altération, transposition, métamorphose, pulsion... soit : mouvement protéiforme. Protéiforme !
En 1892, Jules de Gaultier écrit dans son livre Le Bovarysme. La psychologie dans l’œuvre de Flaubert. : « [L'enfant] se transforme le plus souvent en grande personne et il devient à son gré un général, un médecin ou un empereur; mais il peut être aussi bien, car il est protéiforme, chien, cheval, oiseau... » Cherchez l’enfant !
D’abord, il s’agit de la transposition de la forme du souhait en réalité, et ensuite de celle des pensées oniriques, en images visuelles.
Les rêves infantiles pouvant être reconnus comme accomplissements évidents de souhaits [Wunsch] résultent de ces deux travaux.
Ce type de rêve peut dès lors être déchiffré grâce à une double lecture : derrière la réalité, se tient un souhait, et derrière les images visuelles se tiennent des pensées.
Ces rêves-ci, explique Freud n’ont pas besoin d’interprétation. Il suffit dans ce cas – Freud utilise un terme médical – d’une « Rückbildung ». Le sens premier du terme correspond à « atrophie ». Plus généralement, en restant dans le même champ sémantique, on pourrait traduire par « régression » : « retour (d'un tissu, d'un organe) à une forme antérieure de son développement chez un même individu ». Ce que ce type de rêve transpose – souhait et pensée –, il suffit de le faire régresser. Mais faire régresser dans ce sens, n’est pas interpréter.
Qu’en est-il alors des autres rêves, moins évidents, et plus nombreux qui ont besoin d’interprétation ? Ces rêves rajoutent au double travail du rêve – réalité et image – un aspect particulier : la déformation du rêve [Traumentsellung].
« Verschiebung » traduit le latin « deformatio ». Deformatio a un double sens, qui n’est pas pour déplaire Freud : représentation, dessin, forme d’un côté, altération, dégradation, flétrissure de l’autre. Il signifie, en allemand, altérer ou ôter la forme, déparer ou défigurer, sortir de la bonne place, disjoindre, débloquer, disloquer ou même désagréger, dé-structurer [« entstalten, verunstalten, aus der rechten Stelle, Fuge oder Gestalt bringen »].
Précisons : la « déformation du rêve » n’est pas autre type de travail du rêve, mais le résultat ou le produit de plusieurs travaux qui, selon Freud sont au nombre de trois. Ces trois travaux, ou trois activités oniriques sont : la condensation, le déplacement et la transposition de pensées en images visuelles.
De même que le terme de régression, le terme de condensation est issu de la terminologie scientifique, plus précisément de la chimie ou de la physique (étymologiquement dès 1590, dans le Livre du Ciel et du Monde de Nicole Oresme). La condensation est le « passage de l'état gazeux à l'état liquide et, plus rarement, à l’état solide. »
Il existe un processus inverse, avec saut d’étape, nommé « sublimation » – passage (d'un corps) de l'état solide à l'état gazeux sans passage par l'état liquide.
On a pu dire que Freud recourt au langage qu’il connaît, le langage scientifique, à la terminologie de son époque, pour exprimer quelque chose que seuls ses successeurs auraient pu rendre à sa véritable expression, à sa véritable science, à sa véritable terminologie. Entre Freud et sa vérité, il y aurait eu la linguistique de de Saussure, par exemple. Soit.
Mais il n’en reste pas moins que Freud pensait bien quelque chose avec ces termes métaphoriques. Et il le pensait avec les images du changement d’état des corps physiques. Ces corps peuvent avoir trois états : solide, liquide, gazeux. La structure moléculaire du corps en l’occurrence, disons le « corps psychique », est faite de souhaits, de pensées et d’images.
Que peut-on tirer de toute cette métaphorique ? Nulle part, et ce n’est pas une question de vocabulaire, Freud ne soutient que l’état naturel, l’état réel ou l’état véritable et originel de ces molécules est solide, liquide ou gazeux. Ce qui l’intéresse dans le travail du rêve, et ce sera le cas également pour son inverse, ce sont les passages, les transpositions, les mouvements et les métamorphoses. C’est ce qui lui permet de montrer, par exemple, que les images – celles du rêve, celles de l’hallucination, celles du fantasme sexuel – ne sont pas simplement illusoires, mais représentent des chiffres et peuvent être déchiffrés.
Si, pour rester avec la métaphore physique, la condensation fait changer l’état, le déplacement fait changer de lieu. Décentrement, décalage d’accent, translation, migration, passage.
Du troisième travail du rêve – la transformation de pensées en images visuelles – Freud affirme qu’il constitue le travail psychologiquement le plus intéressant des trois. Il en écrit encore que pour l’effort de travail requis, c’est le plus difficile et, du point de vue de la logique, le plus étonnant et le plus versatile. Changement d’état, changement de place, voici donc un changement de nature.
Et Freud de passer à nouveau par le biais d’une illustration. La transposition en images ressemble à la tâche qui consisterait à traduire un article politique en une série d’illustrations. Une fois de plus, le travail du rêve – l’illustration en l’occurrence – s’exprime par une illustration.
Cherchez l’origine ! Cherchez le support premier, la base ou le fondement.
Le texte même de Freud reprend et met en œuvre le mouvement, la transposition, le changement d’état qu’il entend penser. Qu’un penseur aussi averti, qu’un écrivain aussi subtil que Freud n’ait pensé ou écrit de la manière que par défaut, que parce qu’il ne disposait pas des bons mots ou des bonnes connaissances ou des vraies vérités, parait peu convaincant.
La suite de l’histoire est bien connue. Freud se rend compte que le travail du rêve ne se limite pas au rêve, mais qu’il détermine encore la vie éveillée, normale d’abord, pathologique ensuite. Ce qui agite les rêves agite les oublis, actes manqués et lapsus, et agite encore les symptômes névrotiques.
Qu’on n’aille pas dire, pourtant, que dans ce troisième cas, les images visuelles n’entrent plus en compte, qu’elles se retirent derrière les portes verrouillées du délire psychotique. Il suffit de relire les histoires de cas de Freud, à commencer par les Études sur l’Hystérie, pour se rendre compte combien l’image visuelle, l’hallucination consciente ou inconsciente, l’image onirique reste fondamentale, et ce de l’expérience de la satisfaction du besoin jusqu’aux fantasmes sexuels les plus sublimés.
Il semble clair que Freud n’a jamais été un penseur de substances, d’essences, d’êtres ou de dimensions et ce, parce que son objet, le psychisme, ne s’est jamais présenté à lui comme le monde des objets se présente aux yeux du philosophe : 4 éléments, 10 catégories, 3 dimensions...
Le psychisme n’est pas, il se présente, il se met en scène, et il se présente comme changement, altération, transposition, métamorphose, pulsion... soit : mouvement protéiforme. Protéiforme !
En 1892, Jules de Gaultier écrit dans son livre Le Bovarysme. La psychologie dans l’œuvre de Flaubert. : « [L'enfant] se transforme le plus souvent en grande personne et il devient à son gré un général, un médecin ou un empereur; mais il peut être aussi bien, car il est protéiforme, chien, cheval, oiseau... » Cherchez l’enfant !
« Lorsque l'enfant était enfant, il marchait les bras ballants,
voulait que le ruisseau soit rivière et la rivière fleuve, que cette flaque soit la mer ...
Lorsque l'enfant était enfant, il ne savait pas qu'il était enfant,
tout pour lui avait une âme et toutes les âmes étaient une ...
Lorsque l'enfant était enfant, il n'avait d'opinion sur rien, il n'avait pas d'habitudes,
[...]
Lorsque l'enfant était enfant, ce fut le temps des questions suivantes :
pourquoi suis-je moi, et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l'espace ?
La vie sous le soleil n'est-elle pas un rêve ?
[...]
Comment se fait-il que moi, qui suis moi, avant de devenir,
je n'étais pas, et qu'un jour moi, qui suis moi,
e ne serai plus ce moi que je suis ? »
(Peter Handke, Lied vom Kindsein)
Voilà pour travail du rêve, pour le travail de l’inconscient. Qu’en est-il alors du mouvement inverse ?
Lisons Freud : « Le travail qui avance dans la direction contraire, qui tente d’atteindre le rêve latent en partant du rêve manifeste, est notre travail d’interprétation. »
Aller-retour : travail du rêve – travail d’interprétation. Travail du symptôme – travail d’analyse. Condensation/dilatation, déplacement/repositionnement, transposition/retraduction. Rajoutons notre métaphore : métabolisme psychique.
Du fait de l’interprétation, la psychanalyse est une analyse avant d’être une thérapie. Freud l’exprime clairement dans l’une de ses définitions de la psychanalyse :
« La psychanalyse est une discipline d'un genre inhabituel, dans lequel une nouvelle forme de recherche sur les névroses coïncide avec une nouvelle thérapie des névroses, édifiée sur les résultats des premières. Elle ne repose pas, comme j'aimerais le souligner pour commencer, sur la spéculation, mais sur l'expérience et, conformément à cette provenance, elle est inachevée en tant que théorie. » (GW, Nachtragsband, pp. 724-729, sous le titre: « Über Grundprinzipien und Absichten der Psychoanalyse »)Une recherche – l’analyse – coïncide avec une thérapie construite sur les résultats de la première. C’est en cela que la psychanalyse s’avère être une discipline d’un genre « inhabituel ».
L’interprétation ne vise pas à arrêter le métabolisme psychique, car c’est justement le symptôme qui s’en occupe. L’interprétation peut, tout à fait au contraire, intervenir comme l’un des générateurs de ce métabolisme, pour peu qu’elle s’y laisse prendre.
Où donc ce rêve s’arrête-t-il ? À la réalité ? Certainement pas. Car, la réalité s’accommode parfaitement du rêve, à l’occasion. Le destin des notions de traumatisme et de réalité dans l’œuvre de Freud ne cessent de nous le rappeler.
L’un des philosophes que Freud avait pratiqué posait déjà la question dans la perspective qui sera celle de l’analyse :
« [...] nous avons des rêves; est-ce que toute la vie n’est pas un rêve en quelque sorte ? ou plus précisément : existe-t-il un critère de distinction sûr entre rêve et réalité ? entre fantasmes et objets réels ? » (Arthur Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung.)
Dans quelle mesure le « long rêve » – la vie – se distingue-il du « petit rêve » ? L’interprétation y répondra-t-elle ? Pourra-t-elle nous dire du moins de quelle étoffe sont faits ces rêves ?
Quoi qu’il en soit, la parole du poète persiste :
We are such stuff
As dreams are made of, and our little life
Is rounded with a sleep. –
(Shakespeare, The Tempest, IV, 1)
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