Par Mohamed Chéguenni
Cette table existe. Donc elle n'est pas rien. Elle est quelque chose. Ce qui existe est quelque chose mais n'est pas rien. Si le rien existait, il serait quelque chose, comme la table, et ne serait donc pas rien. Donc le rien ne peut exister si on le définit comme l'absence de toute chose , puisqu'il ne pourrait exister qu'en tant que chose, comme toute chose. Donc le rien n'a jamais existé et n'existera jamais. Donc il a toujours existé et il existera toujours quelque chose . Le big bang, à supposé qu'il ait existé, n'est donc pas le premier moment dans la création de l'univers, si par "premier moment" on entend celui que rien ne précédait. Ce premier moment ne pouvait être précédé de rien puisque le rien ne peut exister . Donc le big bang fut précédé de quelque chose et ce, à l'infini.
On peut mesurer la durée d'une chose au moyen du temps. Par exemple on dit : " Cela fait une heure qu'il est là. " Le temps est-il une chose différente de celles qu'il sert à mesurer ? Si le temps était une chose au même titre que les autres, il serait mesurable comme toute chose. Il y aurait alors un temps servant à mesurer le temps, et ce, à l'infini. Cela est donc impossible. Le temps n'existe donc pas indépendamment des choses. Il n'est donc pas une chose au moyen de laquelle on mesure la durée d'autre chose, comme un chronomètre sert à mesurer la durée d'un parcours. Le temps est la durée des choses. Voir une chose, c'est la voir durer. Son existence n'est pas différente de son temps sans quoi elle pourrait exister sans avoir de durée, ce qui est impossible puisque toute chose qui existe a une durée, non pas comme une propriété ajoutée secondairement et qui en serait séparable ( le verbe avoir ici peut induire en erreur quand on dit : " toute chose a une durée" ) mais toute chose a une durée dans la mesure où celle-ci ne lui est associée que par un esprit qui perçoit cette chose.
Autant dire donc que la durée n'est pas une réalité absolue, mais tel l'horizon, une réalité relative au seul sujet percevant les choses comme durant pour lui.
Toute chose qui existe, a-t-on dit, a une durée. Et réciproquement, toute durée est durée d'une chose, sans quoi on pourrait mesurer la durée de ce qui n'existe pas, le rien. On veut dire par là que si la durée était indépendante des choses qui durent, comme par exemple une table est différente d'une chaise, ou un crayon d'une voiture, on pourrait définir la durée sans jamais se référer aux choses distinctes d'elle, ce qui est absurde puisque seules les choses durent et non la durée.
Donc, durée et choses, temps et choses sont inséparables. Ils sont identiques, ils sont une seule et même chose. Le temps n'est donc qu'une abstraction pour un être pensant qui prend conscience de l'existence des choses. Le temps est pour une chose ce que la forme d'une chose est pour cette chose. Par exemple un ballon de rugby est ovale, une boule de pétanque est ronde...On ne peut pas plus séparer une chose de sa durée qu'on ne peut la séparer de sa forme. Le temps est à une chose ce que la forme d'une chose est à celle-ci, avec cette réserve importante cependant : c'est l'esprit percevant qui projette la durée dans les choses, tandis que la forme d'une chose est indépendante de cet esprit. Mais dans les deux cas, la chose est imperceptible sans sa forme et sans sa durée. On peut certes objecter que la forme d'une chose est indépendante de celle-ci en disant que l'on peut représenter une forme ( ovale, carré, rond... ) au moyen d'un dessin. Mais cette objection est irrecevable car le dessin représentant une forme reste une chose à part entière au même titre que n'importe laquelle. En effet un ballon de rugby sert à jouer. Il est donc un objet, une chose que l'on utilise, et sa forme est liée à sa fonction. Il n'est donc pas une forme "pure", la forme ovale. Si l'on dessine maintenant une forme ovale sur le papier, celle-ci servira à désigner tout objet ovale. Cette forme, comme le ballon, sert à quelque chose. Or le ballon n'est pas une forme pure. Donc la forme dessinée n'est pas non plus une forme pure, ce qui prouve bien que forme et objet sont inséparables.
Quand bien même on inventerait des formes géométriques uniques, elles ne seraient pas les formes de rien sous prétexte que nul objet existant ne leur correspond. Elles sont les formes des pensées qu'elles représentent et qu'elles matérialisent et que l'on met sur le papier en vue d'en étudier les propriétés. Elles ont donc une finalité, elles sont des choses et non des formes pures.
Le temps n'existe pas en soi indépendamment des choses sous prétexte qu'on le représente au moyen d'un sablier. Le rond que je dessine est un dessin qui a la forme du rond que je pense sous forme d'abstraction résultant elle-même de la pluralité des choses rondes que j'ai perçues. Le temps n'existe donc pas plus que le néant.
C'est donc le règne absolu et éternel de la plénitude dans le réel. Le temps n'est en effet que l'abstraction émanant de la multiplicité des durées particulières perçues dans les choses qui existent et durent. On appelle "réification" cette opération mentale consistant à transformer en substances ou choses (res, en latin, veut dire chose) indépendantes des êtres qui n'existent que sous forme de relation. Le temps n'existe pas. Durer c'est exister. Chercher à remonter le temps est donc illusoire.
Mais si le temps n'existe pas et s'il ne peut y avoir d'avant et d'après que dans le temps, alors il n'y a ni passé ni avenir. Ne vivons-nous alors que dans l'instant ? Mais l'idée d'instant elle-même présuppose le temps puisqu'elle est le présent qui ne se conçoit pas sans le passé et l'avenir, quand bien même on parlerait d'un instant passé. L'idée même de durée suppose le temps puisqu'elle est ce par quoi nous assignons à une chose un fragment de temps dans le temps universel. La durée n'existe donc pas plus que le passé, le présent, l'instant et le futur : Ce qui est existe sans durer.
Et nous arrivons à ce paradoxe qu'à la fois il existera toujours quelque chose mais que l'éternité n'existe pas.
Mais ce paradoxe n'est qu'apparent si l'on ne conçoit le réel que comme un point en devenir éternel, sans passé, ni présent, ni futur.
Quand nous disons que l'éternité n'existe pas nous entendons par là qu'elle ne peut exister si on la définit comme une durée intemporelle différente des choses. L'éternité en tant que temps absolu n'existe pas. Mais comme il existe nécessairement quelque chose (puisque le rien n'existe pas), alors ce sont ces choses qui existent indéfiniment. On peut alors parler d'éternité si par éternité on entend uniquement l'existence des choses. A ce titre, si l'éternité n'est prise que comme synonyme d'existence indéfinie des choses, alors l'éternité existe.
Encore une preuve si l'on veut, que temps et chose existante, sont non seulement inséparables mais identiques; temps et chose sont deux mots qui désignent la même chose : ce qui existe. Temps et chose ne sont pas deux termes qui désignent deux réalités distinctes, indépendantes l'une de l'autre comme si les choses étaient dans le temps comme un cadeau est dans une boîte. La preuve que temps et chose sont une seule et même chose repose sur l'impossibilité dans laquelle nous sommes de parler hors du temps. Les mots sont tissés dans l'étoffe du temps. Tout discours situe une action dans un temps quelconque : par exemple : " Elle parle, il chante, nous discutons..."
Notre pensée qui s'exprime dans le discours est donc intrinsèquement temporelle et ne doit donc pas chercher à échapper au temps puisque pour cela il faudrait cesser de penser. L'idée d'infini n'est pas une chose que nous pensons comme quand nous pensons à un oiseau ou à une maison. C'est-à-dire que l'infini n'est pas un objet de pensée pour un sujet pensant. En effet, tandis que nous pourrions continuer de penser si cet oiseau et cette maison n'existaient pas, nous ne pourrions au contraire plus penser sans le temps : le temps est donc l'abstraction objectivée de notre propre pensée. L'infini n'est pas un objet de pensée distinct de la pensée. En effet, on a vu que temps et chose sont identiques. Or la pensée existe. Donc elle est une chose. Donc elle n'est pas plus séparable de son temps, de sa durée, que les autres choses ne sont séparables de leur propre temps et de leur durée. Tant qu'une pensée existe, elle se pensera donc nécessairement en tant que chose durant. Quand nous pensons l'infini, nous faisons arbitrairement abstraction et des choses qui durent et de notre propre pensée, pour nous représenter une durée éternelle dans le temps et l'espace. Si l'espace n'était rien, il n'existerait pas et rien ne pourrait exister puisque toute chose doit se trouver dans un espace. L'espace est donc une chose réelle au même titre qu'une maison ou un arbre. Mais sa spécificité réside dans le fait qu'il est un contenant sans être un contenu. Si l'espace était un contenu, il y aurait en effet un autre espace le contenant et ce, à l'infini. Il faudrait alors imaginer un infini en acte, ce qui implique qu'à un moment donné il n'y ait rien jusqu'à l'apparition d'un nouvel espace. Or nous avons établi que le rien n'existe pas. La régression à l'infini n'existe donc pas en soi et il n'existe donc qu'un seul espace physique "englobant" le réel mais n'étant lui-même englobé par rien.
L'expansion de l'univers ne serait pas autre chose que l'expansion d'un univers particulier au sein d'un espace unique non extensible.
Nous ne pouvons pas placer deux choses en même temps au même endroit : c'est soit le lit, ou l'armoire à tel endroit. Si l'espace était une chose matérielle, comme le lit ou l'armoire, rien ne pourrait s'y trouver. Pourtant il existe. L'espace est donc une réalité physique singulière dont la propriété essentielle est de pouvoir accueillir des choses solides qui induisent des modifications de la configuration interne de l'espace.
Imaginons un récipient plein d'eau. On y plonge divers corps ( une assiette, un verre, un bol...). Tout le monde voit le genre de déformation que connaît l'eau quand les corps y sont plongés : le corps plongé occupe désormais la place d'une portion d'eau déterminée qui s'en va occuper une autre partie de l'espace du récipient encore partiellement vide. Si l'on continue de plonger des corps, l'eau va déborder. Mais imaginons que l'on puisse plonger une infinité de corps dans ce récipient sans jamais le voir déborder.
L'Espace contenant mais non contenu serait précisément un tel corps physique ayant la propriété de recevoir une infinité de corps en se modifiant comme l'eau mais sans jamais déborder puisque rien ne peut exister hors de lui. On a en effet nié à juste titre la régression à l'infini puisqu'elle suppose l'existence du rien à un moment donné. L'Espace n'est donc ni infini ni fini. En effet la finitude suppose que l'on pense une chose finie comme étant distincte d'une autre chose qui diffère d'elle. Par exemple mon terrain s'arrête là, il finit à cette barrière. Celui de mon voisin commence là. La finitude suppose donc qu'existe encore autre chose après la chose que l'on pense finie. Or on a établi que rien n'existe en-dehors de l'espace. Il n'est donc pas fini. Et comme par ailleurs l'infini en acte suppose le rien, qui lui-même est impossible, l'espace n'est donc pas non plus infini.
L'Univers n'est donc ni fini, ni infini : il est. L'Univers en expansion ne serait rien de plus qu'un rond dans l'eau provoquée par une pierre jetée dans cette eau. L'Univers est comme un étang dont il faut s'interdire de penser les limites et dans lequel se produisent indéfiniment des ronds dans l'eau.
L'Espace n'est donc jamais né et ne mourra jamais. Le concept de création ex nihilo est donc absurde car il repose sur le postulat invérifié de l'existence du rien, du néant (si être crée c'est sortir de rien, alors la création ne peut avoir lieu si le rien ne peut exister). Donc les choses nouvelles que nous voyons ne sont ni des naissances, ni des créations ex nihilo mais des changements d'état d'une seule et même réalité : ce qui est, et que chacun peut appeler comme il veut : univers, réel, espace...Pourvu que l'on parle de la même chose. Ce ne sont pas des choses différentes qui naissent et meurent, qui viennent du néant et y retournent, mais c'est une seule et même chose qui se modifie sans cesse sans jamais pouvoir être anéantie, littéralement réduite à néant puisque celui-ci est impossible. Il y a donc une continuité structurelle, si infime fût-elle, entre les différents changements que nous voyons, comme la matière qui passe de l'état solide à l'état liquide puis à l'état gazeux, et inversement.
Le fait que l'espace ne soit pas divisible à l'infini est prouvé non seulement par les conclusions précédentes selon lesquelles il faudrait pour cela un infini en acte qui suppose le rien; or celui-ci n'existant pas par essence, l'espace est ce qu'il est sans qu'on ait à le penser comme fini ou infini. Mais cette indivisibilité de l'espace est établie par les paradoxes de Zénon d'Elée selon lesquels dans ce cas la flèche n'atteindrait jamais la cible et Achille, si vite qu'il courût, ne rattrapperait jamais la tortue. Or la cible peut être atteinte et la tortue dépassée. L'espace et le temps ne sont donc pas infiniment divisibles.
Si le rien est impossible, objectera-t-on, comment peut-on alors le penser et en parler comme nous le faisons depuis le début ? D'abord il y a beaucoup d'autres choses impossibles que l'on peut penser (par exemple le seul fait de penser l'impossible et d'en parler ne prouve pas qu'il existe sans quoi il existerait en tant que possibilité et/ou réalité et ne serait donc plus impossible et il deviendrait alors impensable en tant qu'impossible). Mais nous avons la possibilité d'affirmer, et par conséquent de nier. Nous ne pouvons pas penser, en général, ni penser une chose particulière indépendamment de ce qu'elle est et de ce qu'elle n'est pas : si elle est A alors forcément elle n'est pas non A. Affirmer l'un c'est nier l'autre . Il y a même des négations que l'on peut affirmer sous forme d'affirmations. La négation n'est qu'une manière d'énoncer l'affirmation. Ainsi la négation n'existe pas en soi. Par la suite, cette négation, par exemple "A n'est pas B", " Dans ce lieu il n'y a rien" est une idée qui a été réifiée, substantivée, choséifiée. On lui a donné la forme d'un objet, donc d'un sujet auquel on peut désormais attribuer des qualités sous prétexte qu'on en parle comme on le fait d'un objet réel. Mais le non-être, le rien, le néant par essence n'existent pas.
Donc, nous ne naissons pas, nous ne mourons pas, nous sommes constitutifs d'une réalité unique en perpétuel devenir. Nous sommes "condamnés" à l'éternité.
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