dimanche 13 mars 2011

Le songe de Freud et Aristote


 

Un psychiatre complète un doctorat en philosophie pour mieux cerner la complexité du rêve

la forme d'une représentation dramatique intérieure. L'action de celle-ci, à la fois irrationnelle, involontaire et incompréhensible, se déroule comme un film dans notre esprit. Parce qu'il porte sur la conflictualité, c'est-à-dire sur quelque chose d'essentiellement humain, le rêve n'est pas sans rappeler le genre tragique au théâtre. Telles sont quelques-unes des conclusions de la thèse de doctorat en philosophie qu'a déposée dernièrement François Sirois, psychiatre à l'Hôpital Laval. "Dans L'Orestie d'Eschyle, dans le mythe d'Oedipe ou, plus près de nous, dans Hamlet de Shakespeare, des membres d'une même famille s'entredéchirent, explique-t-il. Il semble paradoxal que ce qui est très humain semble le moins humain. Dans le rêve, c'est un peu la même chose."
Objet psychologique ou de science expérimentale?
Depuis quelques années, la psychanalyse se retrouve dans le collimateur de la science expérimentale. Méthode de psychologie clinique, fondée par Sigmund Freud au tournant du 20e siècle, la psychanalyse étudie en particulier les manifestations psychiques inconscientes, dont le rêve. Comme le souligne François Sirois, le rêve n'est pourtant pas ce qu'on pourrait appeler un objet de science expérimentale puisqu'il est impossible à observer et impossible à reproduire. Il s'agit d'un produit de l'imagination qui est passé, sans étendue et essentiellement construit par une représentation.

"Il y a aujourd'hui une tendance à aborder la psychanalyse avec les critères de la science expérimentale ou, si l'on veut, avec les yeux de la logique, indique-t-il. Cette controverse, qui se polarise sur la lecture des écrits de Freud, laisse échapper la nature de l'objet propre de la psychanalyse - l'inconscient - en considérant le rêve comme un objet extérieur. Or, Freud montre, en s'appuyant méthodologiquement sur les écrits d'Aristote, que l'on peut aborder cet objet par la pensée, parce qu'il s'agit d'un objet de pensée, un objet mental qui ne peut être examiné autrement qu'en étant raconté."

Pour le philosophe grec Aristote, le rêve n'a aucune finalité et n'est ni objet de hasard, ni objet de superstition, ni objet de message divin. "Toute sa vie, Freud s'est réclamé de cette définition du rêve qui en fait un objet psychologique, précise le psychiatre. Du point de vue d'Aristote, le rêve offre certaines ressemblances avec l'action humaine." Il ajoute que, même si le désir, élément central de la pensée freudienne, n'est pas lié au rêve chez Aristote, il n'en est pas moins compatible avec la pensée de ce dernier.
Un déchet de l'activité psychique
Freud a vécu à une époque où l'on percevait le rêve comme une forme inférieure de pensée, une sorte de déchet de l'activité psychique. "Son mérite, soutient François Sirois, est d'avoir étudié le rêve dans sa nature propre, et non en le comparant à un modèle de pensée dans la vie éveillée. Sa méthode interprétative des rêves est pertinente à l'objet onirique."

Dans sa pratique professionnelle, ce dernier aborde chaque cas par le point de vue subjectif de la représentation. "Mon approche, dit-il, consiste toujours à dégager cet aspect. Donc ce n'est pas tellement l'analyse du rêve comme telle que j'explore, que l'analyse des représentations qu'ont les personnes par rapport à leur expérience spécifique. Deux personnes, à la suite d'une chirurgie ou d'une maladie, peuvent avoir une réaction extérieure identique. Mais intérieurement, leur expérience de la situation peut être différente."

YVON LAROSE

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