A propos de Michel Jouvet
Michel Jouvet est membre de l’Académie des sciences depuis 1977. Il est Professeur émérite à l’Université Claude Bernard de Lyon et été directeur de recherches au CNRS. Il est membre de comités de lecture de nombreuses revues scientifiques de haute tenue (Brain Research, Biochemical Pharmacology, International Journal of Neuroscience, etc.)
Auteur de plus de 400 articles dans le domaine de la Neurobiologie, il a publié des ouvrages devenus de véritables références.
Il a reçu la Médaille d’Or du CNRS en 1989 ainsi que de nombreuses autres prestigieuses distinctions.
Pour expliquer le sommeil et les rêves d'un point de vue scientifique, nous nous baserons sur une interview de Michel Jouvet, sur Canal Académie, radio académique sur Internet. Celle-ci se divise en deux parties.
« 1959 : Michel Jouvet et son équipe réalisent des expériences sur le chat, en vue d’étudier son comportement. C’est alors qu’ils découvrent ce que Michel Jouvet appellera le "3ème état du cerveau" : le chat, à l’instar de l’homme, il le démontrera, ne connaît pas que l’éveil et le sommeil.
On imagine alors que les rêves s’insèrent dans une phase de sommeil léger, de pré-réveil en quelque sorte. Michel Jouvet démontre qu’il n’en est rien : les rêves surviennent dans une troisième phase distincte. C’est le sommeil paradoxal. La recherche dédiée au sommeil s’en voit révolutionnée. En 3 ans, près de 80% des connaissances actuelles sur la question est découvert.
Dans cette première partie, Michel Jouvet explique comment, au XVIIIème siècle, des botanistes ont découvert le mécanisme de l’horloge interne, mais également, de quelle manière celle-ci régule la vie des êtres vivants.
Une distinction doit être établie entre nous, mammifères, qu’on dit "homéothermes" et les animaux à sang froid, dits "poïkilothermes" qui ne connaissent pas le mécanisme de l’horloge interne.
Le sommeil apparaît comme un mécanisme d’une grande complexité !Phénomène cyclique, il présente une alternance entre des phases de sommeil dit profond, et à ondes lentes (on parle aussi de sommeil orthodoxe), d’une durée approchant les 90 minutes chez l’homme, et des phases de sommeil à ondes électriques rapides. Pendant ces phases courtes de 20 minutes subsistent des mouvements occulaires importants.
Mais, étrangeté de l’organisme, le tonus musculaire devient inexistant. On comprend mieux les paroles de Cocteau : "le sommeil n’est pas un lieu sûr", car l’être vivant, presque paralysé, se retrouve alors dans une position de grande vulnérabilité. On imagine alors que les rêves s’insèrent dans une phase de sommeil léger, de pré-réveil en quelque sorte. Michel Jouvet démontre qu’il n’en est rien : les rêves surviennent dans une troisième phase distincte. C’est le sommeil paradoxal. La recherche dédiée au sommeil s’en voit révolutionnée. En 3 ans, près de 80% des connaissances actuelles sur la question est découvert.
Dans cette première partie, Michel Jouvet explique comment, au XVIIIème siècle, des botanistes ont découvert le mécanisme de l’horloge interne, mais également, de quelle manière celle-ci régule la vie des êtres vivants.
Une distinction doit être établie entre nous, mammifères, qu’on dit "homéothermes" et les animaux à sang froid, dits "poïkilothermes" qui ne connaissent pas le mécanisme de l’horloge interne.
Le sommeil apparaît comme un mécanisme d’une grande complexité !Phénomène cyclique, il présente une alternance entre des phases de sommeil dit profond, et à ondes lentes (on parle aussi de sommeil orthodoxe), d’une durée approchant les 90 minutes chez l’homme, et des phases de sommeil à ondes électriques rapides. Pendant ces phases courtes de 20 minutes subsistent des mouvements occulaires importants.
Voilà pourquoi Michel Jouvet qualifie sa découverte de sommeil paradoxal : il ne s’agit véritablement ni d’une phase de sommeil classique, ni de l’éveil, mais d’un "troisième état du cerveau". L’homme rêve, son organisme présente les mêmes caractéristiques que lors de l’éveil, mais il ne "vit" pas son rêve, et reste parfaitement immobile. »
Voici l'interview :
Solenne Robin : (…) On dit parfois que c’est le mal du siècle, on dort trop, pas assez, mal, trop tard ou trop tôt. Et si on théorie au fond, qu’en connaît-on vraiment ? En effet, pourquoi dormons-nous ? Pour se reposer direz-vous. Oui, mais pourquoi rêvons-nous ? Et que se passe-t-il vraiment lors du sommeil ? Pour nous en parler, j’accueille aujourd’hui Michel Jouvet qui nous fait l’honneur de sa présence. (…) C’est l’un des plus grands neurobiologistes au monde, et le pionnier incontesté de l’hypno-onirologie : c’est-à-dire la science du sommeil et des rêves. Michel Jouvet, et merci d’être parmi nous.
Michel Jouvet : Bonjour (…)
Solenne Robin : (…) Dans un premier temps, j’aimerais que nous évoquions succinctement le concept-même du sommeil. (…) Pourquoi dormons-nous ? Pourquoi dormons-nous la nuit, et pourquoi pas le jour ? (…)Michel Jouvet : Eh bien, c’est une longue histoire qui remonte à plusieurs milliards d’années (…). Notre sommeil est l’intégration de très nombreux mécanismes qui sont apparus dès le début des êtres vivants. Alors, qu’est-ce qui est d’abord apparu chez les êtres vivants, et pourquoi ? Il est apparu une horloge. C’est un concept qui a été découvert pas tellement récemment, et il a été découvert par un grand savant qui avait chez lui des « mimosas pudica » : des plantes qu’on trouve dans les pays chauds, le jour elles étendent leurs feuilles, et le soir, elles se rétractent comme ça. (…) Il voyait ce mimosa se fermer le soir, et il s’est dit « Est-ce que c’est dû au fait qu’il fait nuit ? » ou bien, il a fait l’expérience évidente : il a mis le mimosa dans son cabinet, (…), il était donc dans l’obscurité. Il a ouvert l’armoire à midi, le mimosa était comme s’il était en plein soleil, et il a ouvert à minuit, et il était comme s’il faisait nuit. (…) Il a eu l’idée extraordinaire de penser qu’à l’intérieur de cette plante, il y avait une horloge. (…) Tous les êtres vivants ont une horloge interne. Le chat est un des rares animaux qui n’ait vraiment pas d’horloge circadienne (24h). (…) Pourquoi est-ce qu’on a une horloge ? C’est une invention fantastique, sans ça il n’y aurait pas eu de vie possible. Au moins dans des conditions difficiles. (…)
Solenne Robin : Donc c’est valable également pour l’humain ?
Michel Jouvet : C’est valable pour nous, et nous notre horloge, on sait où elle est. C’est quelque chose qui est tout petit – à peu près une grosse tête d’épingle- qui est juste en arrière des yeux. Alors, parce que normalement cette horloge, elle doit être en rapport avec la lumière, pour se re-synchroniser comme on dit. Donc il y a deux petits noyaux qu’on appelle les noyaux hypothalamiques qui sont juste là (…), et qui vont pouvoir commander des tas d’hormones qui sont situés dans l’hypothalamus. Figurez-vous, voilà, à quoi ça sert chez l’homme ? L’Homme d’il y a , disons, cent mille ans. (…) Il y a cent mille ans, il fallait que le matin, au réveil, les hommes et les femmes soient dans les meilleures conditions pour aller chasser des « horribles » animaux qui étaient autour d’eux… Donc il fallait que tous les muscles soient en parfait état. C’est la cortisone qui fait ça. Pour mettre en jeu, à 6h du matin, la cortisone, il faut que tous les systèmes qui vont préparer ça, se mettent à préparer 6h avant. Alors à minuit, au moment où le sommeil est le plus profond, au moment où la température du corps est la plus basse, il y a des tas de systèmes qui se mettent en jeu avec des hormones qui vont (…) agir sur les muscles, si bien qu’à 6h du matin, vous êtes en pleine forme. (…)
Tous les phénomènes en rapport avec l’horloge biologique se sont énormément compliqués et est apparu un sommeil d’abord très particulier que l’on n’a pas très bien connu, sauf à partir du moment où on a pu enregistrer l’activité électrique du cerveau. C’est ce qu’on appelle l’électrophysiologie. Notre cerveau fabrique de l’électricité – c’est du microvolt, du millionième de volt- et c’est seulement quand il y a eu des amplificateurs qui sont apparus après la guerre que l’on a pu enregistrer relativement bien l’activité électrique du cerveau, et surtout, que l’on a pu enregistrer toute la nuit, pour voir comment ça se passait. Personne ne l’avait fait. On l’avait fait un petit peu chez les animaux, mais pas chez l’Homme. Les premiers investigateurs se sont aperçu que le sommeil était extrêmement divers au point de vue de l’activité électrique cérébrale. Il y avait des espèces de phases. Quand on est éveillé, on a un rythme très régulier (…). Lorsqu’on s’endort –l’endormissement-, quand le sommeil est très léger, quand on ferme les yeux, c’est l’époque où on a ce qu’on appelle des hallucinations hypnagogiques : quelques personnes lorsqu’elles s’endorment qui voient soit des éléphants roses soit des motifs géométriques de couleur. (…) On sait qu’on s’endort. Ca, c’est le sommeil très léger, avec une activité rapide.
Solenne Robin : Rapide, mais quand même plus lente que l’éveil ?
Michel Jouvet : Non non non ! C’est pareil que l’éveil intense. Je veux dire, du rythme Gamma. gamma, ça veut dire rapide. Donc en ce moment, on a une activité gamma. Le reste du temps, on va avoir une activité alpha si on pense à rien. (…) Le sommeil très léger dure à peu près une dizaine de minutes, puis on voit apparaître une autre forme de sommeil. Vont apparaître des ondes très particulières qui ont été découvertes par les premiers explorateurs du sommeil. Comme c’étaient des américains et des anglais, ils ont dit que c’était une activité de « spindle » (fuseau) : ça monte, ça redescend. Ces petites ondes qui augmentent, qui augmentent, et puis qui redescendent sont caractéristiques de l’entrée dans un sommeil plus profond, on dit le stade 2. Et puis après, le sommeil va devenir de plus en plus profond, les gens peuvent commencer à ronfler –bien qu’ils ne sachent pas qu’ils ronflent puisque leur conscience a disparu- et on va voir apparaître (…) des ondes lentes. On a appelé ça l’activité delta. (…) C’est le moment du sommeil le plus profond. Et la grande surprise : (…) on voit réapparaître tout à coup -après 10 minutes de gamma, 30 minutes de phase 2, puis 30 à 40 minutes de stade profond-, souvent il y a un arrêt respiratoire et on voit réapparaître du gamma : comme si le sujet était éveillé. Et ça dure à peu près 20 minutes, et après tout va recommencer : donc c’est un système cyclique. (…) Et ceci se reproduit à peu près 4 ou 5 fois dans la nuit.
Solenne Robin : On considérait à ce moment-là qu’il y avait comme un moment d’éveil, un moment de sommeil, un moment de demi-éveil demi-sommeil ?
Michel Jouvet : C’est ça. Ils [les scientifiques] travaillaient avec un psychologue qui avait étudié des enfants, qui avait remarqué qu’il y avait des mouvements oculaires différents pendant la nuit. Donc quand vous avez un sommeil lent [phase 2], vous avez des mouvements très difficiles à voir. On ne les voit pas, on peut les enregistrer. Si vous avez des enfants, et que vous puissiez très doucement leur lever les paupières, vous verrez que les yeux vont se balancer vers le bas, donc vous verrez que le blanc des yeux.
Au moment où il y a cette phase de gamma [phase 3], il y a des mouvements des yeux rapides, dans tous les sens. (…) En réveillant les sujets à ce moment-là, ils se souviennent à 80 % d’un rêve avec beaucoup de détails (…). D’où l’idée que l’activité onirique, c’est un demi-éveil au cours de la nuit. (…) Il y a du sommeil profond ; on rêve pas. Il y a un sommeil très léger : on rêve.
(…) On venait de découvrir un système d’éveil dans le cerveau. (…) Le système d’éveil est activé : c’est l’éveil. Et il y a des moments où il se repose : c’est le sommeil. Donc il y avait un seul système qui expliquait tout. Parce que une des grandes bases de la recherche scientifique, c’est d’essayer d’expliquer quelque chose par ce qu’il y a de plus simple. (…) Vous avez ce système (…) au-dessous du cortex qui dégringole jusque dans le moelle : il y a tout une tige. On avait montré que si on lésait certains endroits de cette tige, les animaux ne pouvaient plus être éveillés : ils étaient comateux. Mais que sur un animal endormi, quand on stimulait cet endroit, ça le réveillait. Si on détruit : il n’y a plus d’éveil ; si on stimule : il y a de l’éveil. (…)
Le sommeil est passif. C’est-à-dire qu’au bout d’un moment, la formation réticulée [le système] au bout d’un moment, est fatigué. Et il fait nuit, on commence à penser à l’horloge : c’est le sommeil. (…) Personne n’avait réussi à montrer que des lésions pouvaient provoquer une insomnie. Si vous avez un système de sommeil actif : si vous le stimulez, vous faites dormir l’animal, si vous le détruisez, vous avez une insomnie. Un seul système et tout était expliqué.
Solenne Robin : Alors, c’est là que vous intervenez ?
Michel Jouvet : Oui. A ce moment-là, je m’intéressais de savoir si Pavlov avait raison. Pavlov, c’est lui qui pensait que le sommeil était un phénomène actif.
(…)
Solenne Robin : Pour résumer, l’activité électrique est importante, l’activité musculaire est nulle, et l’activité oculaire est importante.
(…)
Alors quelque part, c’est un sommeil [le sommeil paradoxal] qui n’est pas dit sommeil profond mais qui est très profond ?
Michel Jouvet : Alors comme il avait été attribué à du sommeil léger par les américains, nous on s’est dit « Mais non, ils se sont fichus de nous ! ». Ils ont cru que c’était comme l’endormissement. (…) C’est un état différent.
Solenne Robin : Alors paradoxal, c’est un terme que vous avez inventé.
Michel Jouvet : Oui, paradoxal parce que tout indiquait qu’on était éveillé, alors qu’il s’agit d’un sommeil très profond, puisqu’il n’y a pas d’activité musculaire. (…) On est passés à trois états dans le cerveau : l’éveil qui est dû à l’activité de la formation réticulaire, le sommeil avec ondes lentes – le sommeil dit orthodoxe-, et le sommeil paradoxal, qui lui vient d’un endroit très ancien du système nerveux, et qui correspond à l’activité onirique.
(…)
Solenne Robin : (…) Donc tous les homéothermes ont un sommeil paradoxal et des rêves. (…) En minutes par jour, combien de temps une vache rêve-t-elle ?
Michel Jouvet : L’homme, c’est 100. La vache, c’est 15 minutes. Le cheval, c’est pareil. (…) C’est le chat qui, avec 200 minutes par jour, semble être « le gagnant ». (…) Les oiseaux ont un sommeil paradoxal très court. Pour une poule, ça dure 20 secondes. (…) On en a plus quand on est jeunes, et il y a un repoussé vers la puberté.
" La question du rêve est un puissant fond. "
" Il reste tellement d'inconnus qui ouvrent sur tellement de choses."
Extrait Wikipédia de l'article "Narcolepsie". Phases détaillées du sommeil.
Normalement quand un individu est éveillé les ondes électriques du cerveau émises par les neurones du cortex et observées sur un tracé EEG montrent un rythme régulier de 8 cycles par seconde (8 Hz) lors d'un état tranquille à plus de 100 cycles par seconde (100 Hz) lors d'une activité intense.
Quand une personne normale s'endort ces ondes électriques du cerveau émises par les neurones du cortex changent de rythme et d'ampleur. Lors d'une nuit de sommeil le cerveau passe plusieurs fois par 4 phases différentes (les trois que nous allons décrire, plus de multiples moments très brefs de "micro-réveil"). Au moment de l'endormissement survient une phase de sommeil lent léger (de 3 à 7 Hz, ondes peu amples) accompagnée d'une relaxation musculaire progressive du corps, puis une phase de sommeil lent profond (0,5 à 2 Hz, ondes très amples) accompagnée d'une relaxation musculaire importante du corps, ce qui montre la profondeur de l'état de sommeil mental et de l'état de sommeil physique. La personne normale s'endort en environ 15 minutes, durée que l'on nomme la "latence à l'endormissement". Environ 90 minutes plus tard, et très rarement avant 45 minutes, chez la personne normale les ondes cérébrales entrent soudain dans une activité plus rapide, quasi identique au sommeil lent léger (de 3 à 7 Hz), mais avec une absence totale de tonus musculaire, une respiration irrégulière, des variations brusques de la pression artérielle, des mouvements très rapides des yeux, et il y a souvent une érection des zones érectiles : pénis chez l'homme, clitoris et mamelons chez la femme. Or malgré cette activité physique brusquement intense la personne dort toujours aussi profondément et le réveil est difficile ! C'est le Professeur Michel Jouvet qui a découvert cet état du sommeil appelé à juste titre sommeil paradoxal. C'est lors de cette période que se produisent le plus fréquemment des rêves.
Solenne Robin : (…) Nous l’avons abordé dans le premier volet de cette émission. C’est Michel Jouvet qui a découvert le sommeil paradoxal, c’est même lui qui lui a donné ce nom. (…) Pendant des années, on pensait qu’il y avait le sommeil et l’éveil, avec une alternance activité – récupération. Les chercheurs pensaient que le rêve correspondait tout simplement à un état de sommeil léger. En fait, il n’en est rien : il existe un troisième état du cerveau, le sommeil paradoxal. Alors pourquoi on l’a appelé paradoxal ? C’est très simple : parce que le cerveau est dans un état similaire à l’éveil (l’activité cérébrale reste forte, les ondes sont rapides), mais l’homme est bel et bien endormi et on observe une suppression totale de l’activité musculaire. (…) Alors que se passe-t-il chez le chat, lorsque pendant son sommeil paradoxal, on crée une lésion pour que ses membres ne soient plus paralysés ? Alors, Michel Jouvet, expliquez-nous tout ça.
Michel Jouvet : (…) On savait que dans le pont –c’est-à-dire c’est endroit qui est au-dessus du bulbe- venaient tous les signes du sommeil paradoxal, c’est-à-dire un système qui venait activer le cortex comme pendant l’éveil mais par des mécanismes différents de l’éveil. On s’est dit qu’il devait y avoir un système qui bloquait les muscles. (…)
Solenne Robin : Alors vous voulez dire que dans ce qui permet que l’activité musculaire s’arrête, on crée une lésion.
Michel Jouvet : C’est à partir de là qu’on a défini le comportement onirique.
Solenne Robin : Donc le chat vit son rêve ?
Michel Jouvet : Exactement, il vit son rêve. Il y a trois grands types de comportement : la chasse avec ses fameux gestes. Il cherche des proies qui n’existent pas. Et en plus, si vous mettez un chat à jeun depuis trois jours et que vous mettez à ce moment-là un morceau de viande dans leur cage, ils n’y touchent absolument pas. Ils sont littéralement pris par la machinerie onirique –nous également à ce moment-là- et alors ils vont chasser une souris imaginaire, puis quelquefois (…) il y a une activité de peur. C’est très facile à voir : les poils qui se hérissent, la queue qui commence à se dresser, et après les oreilles qui se mettent en arrière, c’est l’attaque. C’est extraordinaire, parce qu’on voit tous ces stades-là, ça dure à peu près 3-4 minutes. (…) Alors on a jamais vu chez des chats, ce comportement sexuel. Les chattes qui sont en chaleur se mettent à plat avec la queue de côté. Et ça on l’a pas vu. C’est pour ça qu’on s’est dit que Freud, il se moquait du monde, parce qu’il y avait aucune chose sexuelle à ce moment-là. Mais lorsqu’on a eu découvert l’érection bien plus tard… Il y a certainement quelque chose de sexuel dans le rêve. C’est ça qu’on appelle comportement onirique.
Alors vous allez dire, est-ce qu’on a vu ça chez l’homme ? Bien-sûr !
(…)
Solenne Robin : (…) Juste avant le réveil du matin, on est en sommeil paradoxal. Ce qui pourrait expliquer les érections matinales.
(…) [Chez l’homme], la lésion se crée par l’absorption d’une quantité trop importante d’alcool.
Michel Jouvet : C’est ça. Alors on prend ces gens, on les met à part avec des électrodes. Puis à un moment, le Monsieur se met à taper sur son oreiller, le prend, le tape et tout. A ce moment-là, on enregistre, il y a beaucoup de muscles. On réveille le Monsieur : « Qu’est-ce que vous faites ? » - « Je me battais avec un ours. »
Solenne Robin : Donc on est dans un comportement onirique comme celui du chat qu’on a vu tout à l’heure ?
Michel Jouvet : Exactement. Et alors maintenant, il y a certaines drogues qui arrêtent ça très bien. Mais il semble que chez le quart ou la moitié de ces personnes, au bout de 5 ou 6 ans, on les voit évoluer vers la maladie de Parkinson.
Solenne Robin : (…) Alors on a tendance à dire que les gens qui sont somnambules, c’est parce qu’ils rêvent.
Michel Jouvet : Bien-sûr. Et justement, ça a été l’idée dès le départ. D’abord, ça a été très difficile, les expériences sont pas faciles à faire. Quand vous prenez quelqu’un qui a des crises de somnambulisme, en général, c’est un adolescent. Mais il suffit qu’on le change d’endroit pour qu’il en fasse plus. Donc il a fallu se mettre dans la tête qu’il fallait aller enregistrer les gens chez eux.
(…)
Michel Jouvet : (…) Donc l’entrée dans le sommeil est normale, et très souvent, c’est au moment où ils auraient dû avoir –donc une heure et demi après l’endormissement- une activité rapide du rêve, on n’a pas du tout ça. On continue à avoir des ondes lentes et on voit le sujet qui va se lever. Il y en a même un qui s’est levé, qui est allé vers le réfrigérateur, qui s’est servi un du lait, et qui a voulu sortir. A ce moment, on lui a dit « Hey, qu’est-ce que tu fais ? » … Il savait pas ! Pas de souvenir du tout. Donc le somnambulique, il peut avoir une espèce de conscience fine, mais étant donné qu’il a des ondes lentes, il semble que le système qui enregistre la mémoire, ne marcherait pas. Ce qui explique que le somnambulique perde totalement le souvenir de ce qu’il fait.
Solenne Robin : Donc le somnambulisme intervient dans des moments de sommeil lent ?
Michel Jouvet : Exactement, ce qui explique qu’il peut toujours avoir du tonus.
Solenne Robin : Donc un somnambule n’est pas en sommeil paradoxal ?
Michel Jouvet : Non.
Solenne Robin : Et de la même manière, quelqu’un qui bouge beaucoup dans son sommeil, il est en sommeil lent ?
Michel Jouvet : Exactement. Parce que vous pouvez pas bouger, par définition, pendant le sommeil paradoxal. Alors le somnambulisme, maintenant, on sait pas bien comment ça se passe parce qu’on n’a jamais vu un chat somnambulique. Donc le grand problème, c’est que si ça apparaît chez les enfants, ça devrait disparaître vers 15-16 ans. Si ça continue, vaudrait mieux aller voir un hypnologue. Parce que si vous habitez au 15ème étage…
(…)
Solenne Robin : Est-ce qu’on peut rêver pendant le sommeil lent ?
Michel Jouvet : Alors ça, c’est devenu un problème où il y a deux écoles. (…) Alors au début, tout le monde disait : 80 % des souvenirs de rêve pendant le sommeil paradoxal, et moins de 20 % pendant le sommeil lent. Et puis on a vu arriver, du fait du freudisme et des psychanalystes, de plus en plus d’articles disant que « Non, tout ça, c’est de la rigolade, quand on réveille des gens, ils se souviennent de leur rêve très bien, même pendant le sommeil lent. » Alors on a dit « Très bien. ». Si vous vous couchez à 10h, vous rêvez entre 11h30 et minuit grosso modo. Si on vous réveille à 1h, pendant le sommeil à ondes lentes, vous pouvez très bien vous souvenir du rêve que vous avez eu avant. (…) Quand vous réveillez certains sujets au début de la nuit, après la phase d’endormissement avec activité rapide, il y a toujours des petites hallucinations hypnagogiques , il y a des sujets qui vont vous dire « Ah bah oui, je crois bien que je rêvais que j’étais dans un laboratoire où on étudiait mon sommeil. » Alors, est-ce que c’est un rêve ? Alors que quand vous le mettez dans le sommeil paradoxal, il va vous raconter (…) un type qui regarde un jeu de tennis où les mouvements de ses yeux allaient avec la balle.
(…) Les souvenirs de rêves obtenus pendant le sommeil paradoxal sont quasiment toujours en couleurs, alors que dans l’autre cas, non.
(…)
C’est-à-dire que les rêves pendant le sommeil lent sont beaucoup plus en rapport avec la situation.
(…) Maintenant, le sommeil est étudié essentiellement en Amérique.
(…)
Solenne Robin : Je voudrais aborder un autre problème. Vous avez beaucoup étudié pendant vos études, l’aspect énergétique du sommeil. Rêver semble dépenser beaucoup d’énergie. Mais alors si on alterne les moments où on dort d’un sommeil profond et qu’on récupère de l’énergie, pourquoi diable aller le consommer dans l’instant d’après, en rêvant ?
Michel Jouvet : (…) Moi je pense que dans l’évolution, si le sommeil paradoxal est arrivé, c’est qu’il avait une fonction. Ma théorie, on ne peut pas prouver qu’elle est vraie mais je crois pas qu’on puisse prouver qu’elle est fausse. Elle est la suivante : les animaux qui ne rêvent pas (les poissons, les amphibiens, les reptiles [à sang froid]) ont également une chance par rapport à nous, c’est que leur cerveau repousse.
(…) [Michel Jouvet explique dans cette partie les expériences faites par un psychologue sur des jumeaux. Les résultats de l’un des couples sont contés par le scientifique, qui nous explique que même en ayant vécu séparément, les jumeaux connaissent le même parcours, s’habillent de la même façon.]
Comment admettre, étant donné que le cerveau pendant la journée est changé par le milieu, comment se fait-ils qu’ils restaient ensemble, sinon qu’il y a un système de re-programmation qui marche au moment où c’est le plus facile à faire, c’est-à-dire au cours du sommeil. L’hypothèse possible serait que le rêve servirait –même si on est loin d’en avoir la preuve- à notre individuation. Deux vrais jumeaux sont le même individu. Normalement, dans des milieux différents, ils devraient très rapidement diverger. Or, ils sont identiques. Donc il faut admettre que pendant la journée, tout ce qui a été échangé par l’environnement, est repris la nuit, pour remettre les gens dans leur individualité. C’est l’hérédité psychologique. (…) Alors il y a très peu de gens qui ont étudié les rêves des jumeaux, mais cela m’est arrivé une fois. J’ai un collègue qui a un frère jumeau, (…) et un jour l’un d’eux à commencé à raconter un rêve qu’il faisait. (…) Et l’autre a terminé le rêve. Alors l’autre dit « Comment ça se fait que tu saches ça ? On n’en a jamais parlé ! ». Donc ils avaient fait le même rêve.
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