J’ai lu , par
François Sirois, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004, 241 p.
On connaît le psychanalyste François Sirois pour son ouvrage
presque encyclopédique sur les Névroses publié aux Presses de
l’Université Laval. Certains auront aussi connu son Parcours de la
musique baroque, sorte de vacance intellectuelle de la psychiatrie.
En ces temps modernes où le cinéma entre en compétition avec les
fantasmagories que comportent nos rêves et où l’électrophysiologie
semble avoir ramené le rêve au REM (phase du sommeil comportant un
sommeil léger et un relâchement musculaire et des mouvements rapides
des yeux), la question du statut du rêve n’est pas sans intérêt. Sirois y
voit une manière fondamentale de présenter le paradigme de la psychanalyse
puisque le rêve (que Freud présentait un peu comme la psychose
que chacun vit durant son sommeil) est une voie privilégiée pour
l’inconscient. L’ouvrage de Sirois se divise en deux parties. La première
porte sur « l’argument de Freud sur le rêve » et la seconde porte sur « les
questions soulevées par la position de Freud sur le rêve ».
Dans la première partie, l’ouvrage aborde le texte princeps sur le
rêve, soit L’interprétation des rêves parus en 1899. Selon Sirois, le rêve
y est présenté comme « le premier terme d’une série de formations
psychiques, d’où sa valeur théorique de paradigme. » Puis, vient une
section qui, à propos du rêve, traite de la méthode de son interprétation,
puis de son travail, puis de sa nature comme réalisation d’un désir.
Dans la deuxième partie, l’auteur aborde d’abord la conception
grecque du rêve, puis élabore autour de la nature de l’objet onirique, de
la vérité du rêve et du « démonique » qui s’y trouve.
Pour comprendre l’entreprise de l’auteur, signalons qu’il fournit en
références bibliographiques plus d’une trentaine d’ouvrages d’Aristote,
et trois de plus de textes de Freud. Les commentateurs d’Aristote y sont
aussi fréquemment cités, à commencer par Saint-Thomas. Donc, il y a
un effort d’éclaircir les concepts d’Aristote que Freud aurait cité 8 fois,
et dans la deuxième partie du livre, on traite peut-être plus d’Aristote
que de Freud. Il faut admettre qu’Aristote est sans doute le premier
philosophe occidental à considérer le rêve hors de tout contexte pour
ainsi dire mystique. L’auteur fait montre d’une érudition et d’une
maîtrise des textes d’Aristote qui font de son livre quelque chose qui
ressemble fort à une excellente thèse doctorale de philosophie. Mais, on
Santé mentale au Québec, 2006, XXXI, 1, 205-207 207
se surprend de voir tant d’attention à Aristote alors que ce dernier ne fait
pas partie du titre et que tout autre philosophe est cité expéditivement.
On sait aussi que Freud a été en contact non seulement avec les textes
d’Aristote, mais aussi avec la philosophie de son temps. De plus, la
psychanalyse a interpellé au premier plan plusieurs grands philosophes
contemporains (notamment en France Sartre, Merleau-Ponty, et
Ricoeur) et en retour, ces philosophes ont parfois jeté un regard lumineux
sur la psychanalyse.
L’entreprise de Freud, reprise systématiquement par Sirois, ressemble
dans un premier temps à une sorte de phénoménologie du rêve
(expression non employée par Sirois) pour ensuite devenir une sorte
d’énergétique du rêve qui ne se comprend que par cette « autre scène »
(expression de Freud non mentionnée par Sirois) qu’est l’inconscient.
Ce dernier, d’après Sirois au terme d’une argumentation serrée, serait
seulement « une qualité ou un état de la représentation psychique » et,
selon le langage aristotélicien, « comme un accident de la représentation
et non pas comme une substance » (p. 177).
Dans la deuxième partie, Sirois en vient entre autres à se confronter
à des contradicteurs de Freud (Politzer, MacIntyre,Wittgenstein,
Raikovic, Sartre), et à tenter de situer l’apport freudien avec l’aide
notamment d’Aristote. Avec bonheur, il cite en détail certains auteurs
évoqués par Freud, comme Artémidore avec son interprétation
linguistique du fameux rêve d’Alexandre, ou encore et surtout, de long
en large, Aristote. Tant qu’à citer aussi abondamment ce dernier
philosophe, il aurait pu donner quelques indications sur les divers
aspects du plaisir chez Aristote puisque, d’après Freud, le rêve vise la
satisfaction du désir et que cette satisfaction est principalement la source
de plaisir, et que, pour Aristote, le plaisir est, en tout cas dans le cadre
de la finalité d’un organe, l’expression éprouvée de son bon fonctionnement.
À la lecture de la deuxième partie, on a parfois le sentiment d’une
apologétique documentée de la psychanalyse qui pourrait bien être le
rêve de François Sirois qui aurait inspiré l’entreprise de cet ouvrage.
Il ne s’agit pas d’un livre destiné à aider à l’interprétation des
rêves, mais bien un ouvrage de type phénoménologique et philosophique
qui devrait bien s’insérer dans la bibliothèque de trois catégories
de lecteurs : (1) les théoriciens de la psychanalyse ;. (2) les philosophes
pour qui, dans la problématique de la psyché, la nature du rêve et de la
conscience rêveuse, est un objet de réflexion ; (3) les hellénistes, à cause
des très importantes références aux auteurs grecs, à Aristote principa-
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lement mais également à Platon et à d’autres, plus littéraires (Homère,
Sophocle, Eschyle, Euripide, Hésiode) : en effet, le texte aborde autant
les songes de Pénélope que le sens de la tragédie chez les grands
dramaturges et chez Aristote. Donc un livre fouillé, érudit à propos de
Freud et d’Aristote, qui requiert constamment l’attention du lecteur.
Hubert Wallot,
psychiatre,
professeur titulaire,
Téluq-Uqam
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