jeudi 10 mars 2011

Les rêves et leur symbolisme

 
Lorsqu’on dépouille les complexes des rêves de leur revêtement imaginatif, en apparence absurde, on s’aperçoit qu’ils mettent à nu les profondeurs de l’inconscient. L’homme apparaît dès lors dans le rêve tel qu’il serait sans culture et sans son adaptation aux exigences éthiques : égoïste, féroce, soumis aux impulsions les plus immorales de la vengeance, de la haine, du désir sexuel, de l’instinct brutal. Il redevient ce qu’il était jadis, aux premiers âges de son développement, pervers polymorphe et d’une immoralité foncière. L’instinct qui se révèle le plus fréquemment et le plus énergiquement en lui est, bien entendu, l’instinct génital ; toutes les satisfactions érotiques refoulées du névropathe, toutes les habitudes infantiles auxquelles il n’a pas renoncé dans l’inconscient, tous les complexes parentaux font leur apparition.
Charma (1851) et Maury (1861) avaient dit que les passions et les désirs de l’homme se manifestent plus librement dans le rêve que dans la pensée de la vie : “L’âme étant en un profond repos et en son calme, on découvre comme en un fond clair ses vraies affections et convoitises et bien souvent ce qu’on n’ose ni faire, ni dire en veillant, se présente en songe pendant le sommeil” (Charma).
Pour Freud, le rêve n’est jamais autre chose que la réalisation d’un désir plus ou moins dissimulé pendant la veille. Le désir est refoulé pendant le jour par la conscience qui joue le rôle de censeur sévère et il se développe pendant la nuit quand le censeur se repose et cesse sa surveillance.
Cependant le désir ne peut, sauf dans les cas exceptionnels, se réaliser même en rêve d’une façon complète et simple ; cela pourrait réveiller le censeur qui interromprait la récréation, c’est-à-dire le sommeil. Le désir doit même pendant le sommeil se déguiser pour ne pas réveiller le censeur : il doit subir des transformations qui le rendent méconnaissable. Ces transformations se font suivant des lois très simples ; par condensation, par déplacement, par dramatisation, par élaboration, elles arrivent à dissimuler si bien le désir primitif, qu’en écoutant le récit d’un rêve on ne peut plus du tout reconnaître la tendance refoulée qui se réalise grâce à lui. Mais faisons un petit effort, supprimons les effets des modifications surajoutées ; cela est plus facile parce que nous n’avons qu’à enlever la condensation, le déplacement, la dramatisation et l’élaboration secondaires et, à la place du récit du sujet, nous mettrons à nu la tendance qui se dissimulait. C’est là l’interprétation des rêves qui permet, mieux que tout autre procédé, de découvrir les souvenirs traumatiques anciens, source de tendances qui cherchent à se manifester dans les rêves. Une femme rêve qu’elle assiste sans éprouver aucun chagrin à la mort du fils unique de sa sœur ; elle ne peut pas admettre qu’il y ait là la manifestation d’un désir refoulé, car elle ne souhaitait aucunement la mort de cet enfant. Interprétons : en fouillant des souvenirs on trouve qu’elle est entrée jadis dans une maison où venait de mourir un enfant et qu’elle y a rencontré un individu qui est devenu son amoureux, et elle souhaite vivement rencontrer de nouveau ce personnage ; il est évident qu’elle a eu le désir de rencontrer de nouveau son amoureux à l’occasion de ce décès d’un enfant de sa sœur.
Les disciples de Freud ont singulièrement perfectionné cette méthode d’interprétation des rêves. Toutes les lois qui régissent l’élaboration du rêve se résument dans la symbolisation ou l’expression des idées abstraites ou des objets fortement affectés par des sentiments, par des objets concrets ou indifférents choisis à la faveur d’analogies plus ou moins vagues. Il y a comme un déplacement de l’expression verbale ; une expression abstraite de l’idée latente est chargée contre une expression figurée. Parmi les divers éléments qui se rattachent à l’idée essentielle du rêve, celui-là sera préféré qui permet un exposé visuel. Il n’est pas possible de comprendre la technique de l’analyse des rêves sans comprendre la symbolique des songes. Une partie des recherches de Freud et de ses élèves a été consacrée à rechercher la valeur symbolique des images du rêve les plus répandues chez tout le monde. Ces symboles peuvent varier d’un individu à l’autre, se modifier selon les éducations, les races, les civilisations, les religions, les expressions populaires : c’est ainsi qu’un symbole peut être d’une signification différente pour deux individus de nationalité différente, deux hommes inégalement cultivés. Mais ils sont, en général, à peu près les mêmes pour tout le monde. L’inconscient les choisit tels qu’ils existent préformés en lui, préparés par des associations d’idées des plus communes. S’ils appartiennent aux mythes, aux légendes, aux religions, s’ils peuplent la vie imaginaire de l’homme éveillé, comme celle du dormeur, c’est qu’au fond ils ont toujours habité l’inconscient de l’humanité.
En réunissant en parallèle d’une part les représentations symboliques communes, et d’autre part les idées tendances correspondantes et les souvenirs liés aux détails du contenu latent, Freud est arrivé, par une série d’investigations cliniques, à donner comme une sorte de clef des songes ou lexique des symboles.
Il y a, dans les études de Freud consacrées aux rêves, une conception des éléments de ce phénomène et une technique de l’interprétation.
Pour la psychanalyse, le rêve n’est pas du tout dû au hasard ; ce n’est pas un désordre psychique, mais il est déterminé dans ses moindres détails par des lois psychologiques précises. L’état de rêve est un état psychique dans lequel l’influence de l’inconscient s’exerce le plus vivement, d’après Freud, grâce à l’affaiblissement de la censure. Le mécanisme de cette influence, tel que l’explique la structure, est parfaitement déterminé, comme celui des symptômes des maladies ; aussi les rêves non seulement possèdent un contenu qu’on peut déterminer par la psychanalyse, mais aussi un sens. C’est en analysant les névroses que Freud a été amené à analyser les rêves et à les traiter comme des symptômes. Il s’est alors aperçu que tout comme les symptômes ils pouvaient être considérés comme l’émergence dans la conscience des tendances affectives. Ces tendances ou désirs tendent pendant le sommeil à revenir sous un travestissement, souvent très compliqué, dans la sphère psychique, dont ils ont été bannis. Le rêve est donc une réalisation des désirs. Pour saisir les lois qui gouvernent le mécanisme du rêve, Freud s’est adressé à l’enfance, car les rêves de l’enfant sont plus faciles à étudier, étant plus rudimentaires.
Beaucoup de rêves infantiles montrent clairement qu’ils ne sont que des réalisations imaginatives des désirs surtout récents, l’enfant ayant des aspirations de courte portée et déplaçant plus facilement son désir d’un objet à l’autre.
Beaucoup de rêves chez les grandes personnes sont d’ailleurs semblables à ceux des enfants. On y voit clairement l’accomplissement d’un vœu. Trenk, tourmenté par la faim, se voyait assis dans une brasserie devant une table garnie d’un repas copieux. G. Back, qui a pris part à la première expédition de Franklin, rêvait souvent à des repas abondants, alors qu’à la suite de privations il mourut littéralement de faim.
De même, sous les influences sexuelles, les rêves procurent des satisfactions qui présentent des particularités dignes d’être notées. Le besoin sexuel, dépendant moins étroitement de son objet que la faim, peut recevoir, grâce à l’émission involontaire du liquide spermatique, une satisfaction réelle. Il arrive souvent que les rêves présentent un contenu vague ou déformé. Tous les rêves d’adultes ayant pour objet des besoins renferment d’ailleurs la satisfaction et quelque chose de plus qui provient des sources d’excitation psychique qui ont besoin d’être interprétées pour être comprises. S’il y a des rêves d’adultes formés sur le modèle des rêves enfantins qui impliquent la satisfaction des désirs, on peut rencontrer, chez l’adulte, d’autres rêves qui naissent sous l’influence de certaines situations dominantes, provenant de source d’excitation incontestablement psychiques. Tels sont, par exemple, les rêves d’impatience : après les préparatifs en vue d’un voyage ou pour assister à un spectacle, on rêve que le but proposé est atteint, qu’on se trouve au théâtre, qu’on est en conversation avec la personne qu’on se disposait à voir. Freud parle d’un tableau de Schwind, qui se trouve à Munich : c’est “le rêve du prisonnier”, dans lequel le peintre a ramené l’origine d’un rêve à une situation dominante. Le contenu du rêve est naturellement l’évasion, qui, dans le tableau, devait s’effectuer par la fenêtre, car c’est par la fenêtre que pénètre l’excitation lumineuse. Les gnomes montés les uns sur les autres représentent les poses successives que le prisonnier aurait à prendre pour se hausser jusqu’à la fenêtre. Le gnome qui forme le sommet de la pyramide et qui scie les barreaux de la grille, présente une ressemblance frappante avec le prisonnier.
Dans les autres rêves, sauf les rêves des enfants et ceux du type infantile, la déformation constitue un obstacle à l’interprétation. On ne peut pas dire de prime abord s’ils représentent des réalisations de désirs ; leur contenu manifeste ne nous révèle rien sur l’excitation psychique à laquelle ils doivent leur origine. Ces rêves doivent être interprétés, leur déformation doit être redressée et leur contenu manifeste remplacé par leur contenu latent. Alors seulement nous pourrons juger si les données valables pour les rêves infantiles le sont également pour tous les rêves sans exception.
L’essence du rapport symbolique consiste dans une comparaison. Nous soupçonnons que la comparaison requiert certaines conditions, sans pouvoir dire de quel genre sont ces conditions. Tout ce qui peut servir de comparaison avec un objet ou un processus n’apparaît pas dans le rêve comme un symbole de cet objet ou processus. D’autre part le rêve, loin de symboliser sans choix, ne choisit à cet effet que certains éléments des idées latentes du rêve. Le symbolisme se trouve ainsi limité de chaque côté.
Les objets qui trouvent dans le rêve une représentation symbolique sont peu nombreux. Le corps humain, les parents, enfants, frères, sœurs, la naissance, la mort, la nudité, - et quelque chose de plus. C’est la maison qui constitue la seule représentation typique, c’est-à-dire régulière, de l’ensemble de la personne humaine. On se voit souvent en rêve glisser le long des façades des maisons, en éprouvant pendant cette descente une sensation tantôt de plaisir, tantôt d’angoisse. Les maisons aux murs lisses sont des hommes, celles qui présentent des saillies et des balcons, auxquels on peut s’accrocher, sont des femmes. Les parents ont pour symboles l’empereur et l’impératrice : c’est ainsi que les rêves où figurent les parents évoluent dans une atmosphère de piété. Les frères ou sœurs ont pour symbole de petits animaux, la vermine. La naissance est presque toujours représentée par une action dont l’eau est le principal facteur : on rêve soit qu’on se jette à l’eau ou qu’on en sort, soit qu’on retire une personne de l’eau ou qu’on en est retiré par elle. Autrement dit qu’il existe entre cette personne et le rêveur une relation maternelle. La mort imminente est remplacée dans le rêve par le départ, par un voyage en chemin de fer ; la mort réalisée, par certains présages obscurs ; la nudité par les habits et uniformes. Nous sommes pour ainsi dire à cheval sur les deux genres de représentations : les symboles et les allusions.
Le rêve possède, d’après Freud, une foule de représentations symboliques pour les organes sexuels, mais c’est là un sujet sur lequel nous n’insisterons pas.

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