Le rêve, message que nous adresse l'inconscient, est un moyen privilégié de connaissance de soi. Il ne se limite pas à la vie personnelle : il nous met en contact, par l'intermédiaire de ses images-symboles, avec des réalités archétypales et universelles.
Dans la mythologie grecque, Hypnos, Dieu du Sommeil, est le frère jumeau de Thanatos, la Mort, tous deux fils de la Nuit. Hypnos a pour fils Morphée, le Dieu des Songes.
Mort, sommeil, songes font partie d'une même famille, nourrie par une mère inspiratrice, la Nuit.
Un voyage intérieur
Mort et sommeil sont en fait deux états dans lesquels l'être échappe au conscient et où l'inconscient s'exprime. Le rêve est alors une porte qui s'ouvre vers un gigantesque univers.
L'expression tomber de sommeil est significative. Lors d'une séance d'hypnose, un analyste relate les expériences de ses patients, qui décrivent ainsi leurs sensations (1) : "Je tourbillonne, tout mon corps flotte et tourne comme une toupie. Je suis un derviche tourneur. Je suis en train de dégringoler dans une tombe". Ou encore : "Je suis au fond d'un puits. L'espace semble infini, il s'enfonce". Un autre parle "d'un gouffre profond".
Dans la plupart des langues, on dit sombrer, tomber, dans le sommeil. En hongrois, c'est alomba merült : se glisser sous le sommeil, comme dans de l'eau. Cela n'est pas sans nous rappeler les témoignages de mort clinique. Lors d'un arrêt cardiaque bref, la personne se voit sortir de son corps et flotter. Quand l'arrêt est plus long, il y a visualisation d'un long tunnel très sombre conduisant à une lumière éblouissante (2).
Dans les croyances animistes, en Floride, l'âme appelée Tarunga, quitte le corps pendant le rêve et revient au réveil. Un jour elle ne revient pas et c'est la mort. On éveille un dormeur doucement, avec précaution, de peur que son âme n'ait pas le temps de revenir. Dans certaines autres traditions, le retour précipité de l'âme est la cause des migraines que l'on éprouve parfois au réveil. Tous ces témoignages prouvent que le sommeil, qui entraîne la disparition de l'état de conscience qui est le nôtre en état de veille, nous amène vers un monde intérieur, décrit dans toutes les cultures.
Au début du siècle, Freud fut un des pionniers de la science des rêves, qu'il définit comme la "voie royale vers l'inconscient". Cependant, dans son approche, le rêve est limité à une interprétation personnelle et temporelle. Le sommeil serait un défoulement de la conscience, qui satisfait en rêve des désirs qu'elle n'oserait vivre dans la réalité. Le rêve canalise essentiellement le refoulement sexuel. La conscience est supérieure à l'inconscient, "sorte de boîte à ordures du conscient".
Jung, disciple de Freud, approfondit la démarche et chercha durant de longues années à créer un pont entre les rêves et les expériences spirituelles faites par les hommes à travers les âges. Il entreprit une vaste enquête au Nouveau-Mexique, au Kenya, en Amérique du Nord, aux Indes et en Europe, pour étudier sur place mœurs, religions et psychologies. Grâce à cette longue quête, il put s'assurer du bien-fondé de sa théorie de l'inconscient collectif, en dégagea l'existence d'un fond commun psychique universel, producteur d'archétypes.
La psyché ou âme se compose d'une infime partie consciente, qui se définit par la relation avec le moi, et d'une partie insondable inconsciente. Selon l'image jungienne, la conscience est comme un îlot qui flotte dans l'immense mer de l'inconscient, divisé en deux zones : inconscient personnel et inconscient collectif.
L'inconscient personnel rassemble tout ce que nous avons refoulé et n'avons pas encore perçu de nous-mêmes. Selon Jung, il a "la caractéristique qu'il pourrait tout aussi bien être conscient". Il est strictement lié à l'expérience personnelle de l'âge zéro à l'âge actuel.
L'inconscient collectif est commun à l'espèce humaine. Il s'est élaboré à partir de la mémoire de toute l'expérience ancestrale depuis des millions d'années. C'est une sorte "d'image éternelle du monde".
Jung explique : "Tout comme le corps humain révèle une anatomie commune par-delà toutes les différences raciales, la psyché possède de son côté, au-delà de toutes les distinctions culturelles et conscientes, un substrat commun que j'ai désigné du nom d'inconscient collectif". Ces expériences ancestrales se traduisent par des images-symboles, archétypes indépendants du temps et de l'espace, par de-là toute conception individuelle, et ont donné naissance aux dieux et aux héros mythologiques.
Ainsi mythologie et psychologie se retrouvent dans la sentence de Delphes : "Connais toi toi-même et tu connaîtras l'Univers et les Dieux".
C'est ainsi que, bien souvent, dans nos rêves, nous sommes confrontés à des images-symboles inconnues jusque-là de notre sphère consciente mais qui recouvrent une trame archétypale. Leur interprétation nous permet de faire émerger à la conscience une connaissance intérieure.
La fonction générale du rêve, au niveau psychique, est de rétablir un équilibre. Le rêve compense les déficiences de la personnalité et en même temps donne des signaux d'alarme au rêveur.
Quatre grands types de rêves
Du rêve "bilan de la journée" on dit généralement qu'il est "bête". Le rêveur le trouve banal, car il reprend des événements de la journée sans importance particulière. C'est en fait une expression de l'inconscient personnel. Mais il n'y a pas de rêve banal. Tous ont leur importance. Et il faudra chercher quels détails, couleurs ou formes le sujet a plus particulièrement retenu de sa journée.
Le rêve "compensatoire" réduit ce qui a été surestimé dans la journée par le conscient, et souligne au contraire ce qui a été dévalué. Il a une fonction de rectification qui permet de rétablir un équilibre indispensable pour permettre à la personnalité de vivre mieux les événements. Ainsi aux événements lourds et pénibles de la journée répondent dans la nuit qui suit des rêves gais. C'est une soupape compensatoire de l'inconscient, un lâcher prise indispensable pour survivre. Ce type de rêve peut apporter des solutions au sujet, et faire partie des rêves "d'avertissement".
Dans le rêve de "transmutation" l'inconscient présente des événements forts et différents du vécu du sujet, qui créent des tensions dans l'âme. On se réveille par exemple avec l'envie de pleurer, ou avec une sensation d'angoisse. Ce type de rêve met en jeu des forces internes et crée un conflit avec le moi. C'est une activation de nos fonctions psychologiques. En même temps, ces rêves apportent un élargissement de la conscience : ce qui était éteint en nous se réveille.
Les rêves de mort font partie de cette catégorie (3). Que le sujet rêve sa propre mort ou celle d'un autre sujet, ces rêves sont généralement à interpréter comme symbole de transformation et de passage et signifient qu'un renouvellement intérieur est en train de se produire.
Lorsqu'on rêve la mort d'autrui, on peut l'interpréter, dans plus de neuf cas sur dix, comme une mort symbolique. C'est l'image de ce que la personne représente pour nous qui cherche à mourir ou qui se manifeste négativement. Par exemple, le fait de voir en rêve mourir son père peut être le signe que nous acceptons mal l'autorité, que nous avons un problème de hiérarchie ou que nous avons une faiblesse dans notre polarité yang, active ; ou encore que nous acquérons notre autonomie par rapport à lui.
Ces rêves, bien sûr, marquent très fortement le rêveur, qui ne doit pas négliger le message pressenti.
Les "grands rêves" sont des rêves dans lesquels émerge l'inconscient collectif. Le sujet peut ne pas voir de rapport entre sa propre personne et le rêve qu'il a fait. Celui-ci est chargé de symboles et d'archétypes, inconnus ou presque jusque-là du rêveur. Ces rêves peuvent reprendre des trames mythologiques, avec un dénouement. Ils sont très revitalisants pour le sujet, et l'ouvrent à une dimension intérieure insoupçonnée. Bien souvent ce sont ceux dont on se rappelle le moins. Car notre mémoire est sélective et a tendance à retenir avant tout les rêves les plus proches de notre sphère de conscience, donc les moins symboliques.
Un langage symbolique
Nous présentons ci-dessous deux exemples assez courants, les rêves de maison et les rêves d'eau, qui peuvent aider le lecteur à mieux se situer.
Etant donné que nous vivons quotidiennement à l'intérieur de maisons, chez nous ou au bureau, il est naturel que nos rêves se situent, la plupart du temps, dans des pièces que l'on reconnaît mais que l'architecte de notre inconscient a disposé de manière nouvelle. En fait, la maison, c'est nous.
Ce qui s'y passe n'est que le reflet de ce que nous vivons en nous. C'est pour cela que la comparaison symbolique de la maison nous renseigne sur notre état psychologique intérieur : pièces larges et claires, ou salles obscures et étroites, décorées ou vides... Les pièces courantes, salle à manger, bureau, reviennent moins que des pièces apparemment secondaires, mais davantage porteuses de sens pour notre inconscient (salle de bain, cave, WC).
La cave représente l'inconscient personnel. C'est dans la cave qu'on trouve généralement les réserves (alimentaires, ou vieux objets entassés plus ou moins propres). Elle renferme dans nos rêves les réserves de l'âme et les possibilités de l'inconscient. Il y fait noir, et il faut y apporter la lumière. Rêver d'un escalier qui descend à la cave fait allusion à cette descente dans les profondeurs où se trouvent richesses et terreurs.
La cuisine est le foyer de la maison. Grâce à une forme d'alchimie, la maîtresse de maison transforme les aliments en mets divers propres à la consommation. C'est pour cela qu'on l'associe dans les rêves à la digestion psychique.
La chambre à coucher représente la sphère intime de chacun. Souvent dans les rêves, le lit occupe le côté gauche, celui de l'inconscient.
Les rêves de WC sont très nombreux. Ce petit espace occupe en fait une place bien plus importante qu'il n'y paraît. C'est dans ce lieu que l'enfant a pris conscience des phénomènes de son corps, et c'est là que l'adulte, le plus pauvre ou le plus évolué, rejette les substances de son corps devenues superflues. Mais les rêves de cabinet n'ont rien d'indécent. Ils font allusion à une délivrance, indiquent qu'on en a terminé avec certaines affaires psychiques. On met de l'ordre, on se débarrasse de ce qui a été utilisé et ne sert plus.
La salle de bain est l'espace où l'eau vivifiante et pure coule et nettoie. Les parfums, les couleurs, généralement pastel, font allusion à la purification de notre inconscient. Nous étudierons plus loin le symbolisme de l'eau dans le rêve.
Le grenier est au sommet de la maison. Il domine d'en haut le monde des réalités. Il y a des greniers encombrés de décombres couverts de toiles d'araignées. Souvent on y trouve des fantaisies, des costumes vieillots. C'est le monde de notre pensée et l'image de notre tête. Les rêves où l'on voit un incendie prendre sous le toit peuvent constituer les premiers indices de troubles mentaux. Parfois, plutôt que des mansardes encombrées, le rêve présente des pièces vides.
Ne serait-ce pas une partie de nous-même encore inexplorée ?
Les escaliers ont naturellement leur importance, ils relient symboliquement les différentes parties de notre personnalité. Ils représentent le lien en nous. Si une marche manque, ou si la rampe est fragile, il veut signifier que ce lien est précaire : il y a en nous une partie à consolider. Les rêves d'escalier en colimaçon sont preuve de maturité intérieure. Ils représentent la spirale d'évolution autour d'un axe bien défini.
La façade est la présentation extérieure de nous-même : neuve, en réfection, vieille, palais ou cabane. Elle renseigne sur l'importance que l'on donne à son image vis-à-vis des autres.
Nombreux seraient les exemples de maisons illustrant toujours la réalité intérieure de l'individu. Dans l'analyse freudienne, la maison est la matrice féminine, maternelle (4).
L'eau est, avec la forêt et la terre, le plus grand symbole de l'inconscient. Elle représente avant tout la vie qui nourrit les plantes, les animaux, les hommes. "Psychologiquement, dit Jung, l'eau signifie esprit devenu inconscient". L'eau contient en elle-même le germe de toute chose. Elle détruit, désintègre les formes mais purifie et fait renaître (Moïse et Osiris, "sauvés des eaux").
Eau pure, claire et transparente : trop pure, l'eau n'est pas forcément naturelle. Elle peut exprimer un excès d'intellectualisme ou de morale dogmatique. Elle exclut l'impur qui est pourtant contenu dans tout élément.
L'eau souillée signale que le rêveur entre en contact avec son ombre, c'est-à-dire avec la partie la plus obscure de son âme, qui salit son inconscient. Il est en fait en contact avec une grande partie de sa propre fertilité, encore immature. Cette eau sale peut aussi vouloir dire au rêveur qu'il faut accepter la vie dans tous ses aspects, les meilleurs comme les pires et sortir de l'utopie.
L'eau peut-être habitée de poissons ou d'algues : dans ce cas, c'est une eau nourricière qui symbolise un inconscient riche. Parfois, les algues ou les poissons sont morts. C'est un avertissement : il est temps de prendre davantage soin d'une vie intérieure qui s'étiole.
Traverser l'eau est l'indication d'un changement fondamental d'attitude et d'état de conscience qui conduit à une nouvelle vision du monde. Se laisser glisser dans l'eau est une forme de laxisme qui indique que le rêveur se laisse engloutir par le flot psychique. Il se laisse submerger par ses instincts. La visualisation de la surface de l'eau évoque la limite entre conscient et inconscient, entre lumière et ombre. Se regarder dans ce miroir est une prise de conscience de soi. L'eau vert émeraude représente, par excellence, la pureté des forces intérieures (5).
Ces quelques exemples se voudraient une incitation à une découverte plus profonde. Se découvrir par ses rêves, c'est se voir différemment et dévoiler des parties de soi-même insoupçonnées. La nuit offre une rencontre avec l'autre visage de soi, et toutes les images que nous présente le rêve peuvent être des repères sur le chemin de la connaissance.
(1) Les portes du rêve, Céza Roheim, Payot, 1973.
(2) Voir Entretien avec Raymond Moody, in revue Nouvelle Acropole, n° 110.
(3) Voir La symbolique de la mort dans les rêves, in revue Nouvelle Acropole, n° 110
(4) Les rêves et leur interprétation, Ernest Aeppli, Payot,1986.
(5) La symbologie des rêves, Jacques de la Rocheterie, Imago, 1986.
Sur le sommeil et les rêves, voir aussi les ouvrages de R. Fluchaire et notre rubrique A Lire.
Par Catherine PEYTHIEU
Article paru dans la revue 130
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