Il est vrai que, si l'on prend la peine d'y réfléchir, le sommeil est fascinant. Nous pouvons nous rendre compte qu'un rêve a un sens, mais
seulement dans l'après-coup ; un sens capable de nous révéler sur notre vie des choses que nous ignorons, et un sens qui parfois peut changer
le cours d'une vie. Or, ce sens ne nous apparaît pas pendant que nous sommes plongés dans le sommeil, en train de rêver. Quelle
est donc cette instance, qui, en nous, est capable de produire le rêve, et de nous délivrer un message, presque à notre insu ? Quelle est l'origine de ce savoir, qui, au moment où il est élaboré puis mis en scène, ne se sait pas encore ? C'est une question non résolue à l'heure actuelle, ni par la biologie du sommeil, ni par les théories psychanalytiques sur le rêve, de quelque école soient-elles.
Il faut pour cela en venir à la notion d'inconscient. L'inconscient, c'est tout d'abord un effet de surprise. C'est ainsi que Freud l'a découvert, en s'intéressant d'un peu plus près à nos petits " ratés " langagiers, les lapsus. Nous sommes à un enterrement, et au moment d'adresser nos condoléances, nous nous entendons dire : "Sincères félicitations" ! Ou l'homme politique, au lieu de dire "Je suis très heureux d'être parmi vous ce soir" commence son discours en disant : "Je suis très peureux d'être parmi vous ce soir ". Cela fait rire, cela surprend. Mais, si l'on veut se donner la peine d'y réfléchir un peu, c'est quand même extraordinaire de se dire que "quelque chose en nous" a été capable de dévier notre parole, totalement à notre insu, pour nous faire dire tout autre chose que ce que nous voulions exprimer. De plus, le plus souvent, le lapsus traduit notre vrai désir, et exprime le fond de notre pensée.
A l'époque, Jung, qui était alors jeune médecin, avait conçu une expérience. Il avait réuni une liste de mots, en soi banals, et demandait au sujet qui se prêtait à l'expérience d'associer le premier mot qui lui venait à l'esprit en entendant le mot-inducteur donné. Par exemple : lit, repos. Il
notait soigneusement le temps de latence entre le moment où le mot-clé était donné et le moment où le sujet répondait. Il enregistrait également certains paramètres émotionnels. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que pour certains mots-clés, le temps de latence doublait voire triplait par rapport aux autres mots. De plus, les paramètres émotionnels se modifiaient. Qui plus est, le sujet ne se rendait absolument pas compte qu'il avait pris deux à trois fois plus de temps pour répondre. En mettant ces mots-clés particuliers ensemble, Jung s'est rendu compte qu'ils correspondaient à des faits significatifs du passé du sujet. Par cette expérience, appelée "des associations", Jung venait de démontrer de façon scientifique l'existence de l'inconscient et ses effets concrets,
au même titre que les lapsus.
C'est cela, l'inconscient. Quelque chose qui agit à notre insu, de façon autonome. Quelque chose qui nous agit, et qui parfois nous retient dans des répétitions stériles dont nous ne savons comment sortir, pour peu que nous puissions déjà en prendre conscience (par exemple des
échecs répétitifs, ou l'impossibilité de s'engager dans une relation sentimentale, etc). C'est la pulsion de mort, dont parlait
Freud. Mais l'inconscient contient aussi des forces de changement, et recèle un dynamisme créateur, à l'œuvre dans les rêves et les symboles vivants.
Le passé est irrémédiablement révolu, on ne peut y revenir pour l'infléchir ou le changer. Il est quand même remarquable que la psychanalyse, dans la relation qui se noue entre patient et analyste, mais surtout grâce à l'intervention d'une force inconsciente, puisse offrir un recours possible, une possibilité de rejouer le passé, mais autrement, et ce faisant, de s'en libérer. Cette force vive qui se manifeste dans les rêves et qui vise à un élargissement de notre personnalité, Jung l'a nommée le Soi. Etrange paradoxe que cet inconscient, siège de la pulsion de mort et de répétition, et en même temps lieu d'une vérité libératrice, et d'une sorte de pulsion de vie. Il y aurait bien des ponts à tisser entre la théorie freudienne de l'inconscient et la théorie jungienne. Si toutefois des querelles idiotes de clocher ne venaient pas empêcher toute confrontation sur le fond des théories.
Bien sûr, une fois raconté, il devient langage. Mais l'expérience onirique est bien plus riche que ce que nous pouvons en traduire en mots. Dans un rêve, nous évoluons dans toutes les dimensions, tous nos sens sont en éveil. Pour Freud, l'aspect langagier est premier. Nous sommes des êtres de langage, et c'est ce qui fait notre spécificité humaine. Nous sommes parlés avant même notre conception. Et notre entrée dans le monde du langage (universel) se fait au prix d'une perte : celle de la singularité de notre désir. L'inconscient serait cette zone de nous-mêmes qui résulterait de cette perte.
Le rêve travestit le désir, pour le rendre acceptable à la conscience. Il y a condensation et déplacement, ce qui veut dire qu'un terme du rêve peut renvoyer à un autre ou encore condenser plusieurs sens différents. Il faut donc décrypter le rêve, à la manière d'un rébus, mais rébus dont la clé est personnelle, c'est à dire dépend des associations du rêveur. Il n'existe donc pas de sens préétabli, ni de vrai dictionnaire des songes ! Pour Jung, qui ne renie pas totalement l'apport freudien sur le rêve (Jung a toujours dit qu'une analyse est d'abord freudienne), le rêve dit aussi ce qu'il dit, sans travestissement. Il vient souvent compenser une attitude consciente trop unilatérale. Mais surtout, il est souvent l'instrument d'un processus de développement de la personnalité, et en ce sens messager de la nécessité d'une transformation intérieure. Pour terminer, le plus important reste que nos rêves nous parlent et nous invitent aux changements et qu'ils sont fiables, car révélateurs de nous-mêmes.
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