Chacun de nos rêves est le reflet de notre âme.
Mohamed Chéguenni
vendredi 30 septembre 2011
LA NEVROSE D’ABANDON
De Germaine Guex
Ouvrage, écrit en 1943, publié en 1949 , réédité en 1973 sous le titre LE SYNDROME
D’ ABANDON, qui se réfère notamment à Fénichel (THE PSYCHANALYTIC
THEORY OF NEUROSIS , 1945), Piaget ( LE JUGEMENT ET LE RAISONNEMENT CHEZ
L’ENFANT,1924 ; LA CAUSALITE PHYSIQUE CHEZ L’ENFANT, 1927) et Dr Odier
(L’ANGOISSE ET LA PENSEE MAGIQUE), et qui fait toujours autorité en la
matière (cité par M. Lemay à plusieurs reprises dans J’AI MAL A MA
MERE , 1979 et 1993), même si la réédition donne lieu à quelques mises
au point et actualisation (voir NB) de l’auteur dans une note
préliminaire.
Germaine Guex,
analyste, justifie sa recherche par deux observations cliniques : celle
de patients « dont la structure psychique ne rentre pas dans le cadre
des descriptions freudiennes des névroses » ( introduction ) et celle,
qui confirme la première, et qui constate qu’il n’y a pas eu de
modification du comportement et de l’adaptation au réel chez les malades
ayant suivi une thérapie freudienne classique.
Elle
constate pour ses malades « dont la vie psychique est dominée par le
problème de la sécurité affective et la crainte de l’abandon » (p2) une
nécessité première : « s’assurer l’amour et par là maintenir la
sécurité » (p3). Elle soutient que le problème de l’oedipe ne se pose
pas pour eux, que « l’abandonné aspire au sentiment de fusion avec un
autre être (mère) et non au sentiment de relation qu’il ne conçoit même
pas.[…] C’est sur le plan du moi, par une analyse serrée du vécu, actuel
et passé, que de tels malades trouvent leur libération.[…] et c’est la
preuve d’une évolution considérable[…] quand vers la fin de leur analyse, on les voit faire une franche poussée oedipienne. »(p17).
Son
étude s’ouvre par une définition de l’abandonnique, névrosé qui
« envisage tout et tous du point de vue de l’abandon vécu et redouté[…]
En fait, l’expérience nous montre que les répercussions psychiques sont
identiques, que l’individu ait été en fait frustré des soins attentifs
et de l’amour de ses parents ou qu’il ait cru l’être. »(p7). Celui-ci, non identifiable de prime abord par le thérapeute, requiert
de ce dernier une prise de contact délicate puisque l’analyste va
représenter « l’objet nouveau et essentiel sur lequel se cristallisent
l’attente et l’activité abandonnique, avec tout ce qu’elles comportent
d’espoir, mais aussi avec les tendances interprétatives à sens unique,
alimentant l’agressivité, et le masochisme affectif qui les accompagnent
nécessairement. » Autant d’hommes que de femmes et des âges divers pour
entreprendre une cure, face à la réactivation de l’angoisse initiale
par une circonstance extérieure. Cette névrose repose sur « l’angoisse qu’éveille tout abandon, l’agressivité qu’il fait naître et la non valorisation qui en découle. »(p13)
Germaine Guex distingue deux types d’abandonniques : le négatif-agressif dominé par la rancune de n’avoir pas été aimé et le positif aimant,
avant tout en quête d’amour, avec tout l’arbitraire inhérent à un
classement et l’existence de types intermédiaires entre ces deux
extrêmes. Le premier connaît absence de valorisation et de sécurité
affective, très fort sentiment d’impuissance en face de la vie et des
autres, et rejet total de toute responsabilité; le second est oblatif,
poussé par un besoin personnel réparateur et l’espoir de conquérir
reconnaissance et amour (avec risque d’asservissement de l’autre).
Elle
attire l’attention sur le fait que la non-valorisation (sentiment de
valeur non acquis) est moins facilement discernable chez l’abandonnique
que les manifestations d’angoisse et d’agressivité : dans certains
domaines, il peut parvenir à un niveau certain de réussite et, sur le
plan affectif, se trouver très insécure. Il connaît des doutes multiples
envers lui-même : « je ne vaux pas qu’on m’aime »(p32) et un sentiment
aigu de n’avoir sa place nulle part, d’être partout de trop, d’être
« l’autre », la personne dont on peut se passer, dont on n’a pas
besoin[…], de se sentir toujours prêt à être répudié, abandonné
et…faisant inconsciemment tout ce qu’il faut pour que la catastrophe
prévue se produise. »(p36). De plus, non valorisé, l’enfant sera en
proie à des peurs diverses dont, adulte, il sera encore l’objet,
qu’elles soient du registre physique, cosmique ou psychique, cette
dernière se concrétisant dans la peur de se montrer tel qu’on est, la peur du risque affectif, la peur de la responsabilité. En outre,
l’abandonnique
a une fausse image de lui- même : « Comme tout être infériorisé, il
oscille entre le doute de lui- même et les ambitions excessives. »(p42).
Pour le positif-aimant, le manque d’amour de son enfance
est réparable, il peut s’évaluer positivement, mais son jugement sur
lui-même fluctue jusqu’à aller dans une profonde
dépréciation. Le négatif-agressif, lui, garde le sentiment qu’il a été
victime de l’injustice des autres et du sort et, à l’exception parfois
de sa vie intellectuelle ou d’autres secteurs privilégiés,
s’auto-déprécie profondément.
Devant l’idée de la
mort, les abandonniques se sentent menacés ou, au contraire dans
l’espoir de la délivrance, ce qui, d’après l’auteur, est le cas le plus
fréquent : la mort est envisagée comme un accomplissement ; « la
béatitude de la mort rejoint pour eux la béatitude de la petite enfance,
faisant table rase des malheurs, des déceptions, des échecs que la vie
leur a apportés (p52); ( cf aussi les rêves ou fantasmes de mort à
deux, « compensant l’impossible vie à deux »analysés par le Dr Odier)
Après avoir décrit les symptômes, l’auteur aborde les structures psychiques de l’abandonnique et en identifie trois :
-Le type abandonnique élémentaire ou simple,
chez qui « l’analyste ne distingue pas de fixation oedipienne
caractérisée ni d’instance surmoïque précise et stable au sens freudien
du terme »(p55). Ils fonctionnent sur un système de régulationbio-affective, qui n’obéit à aucun principe a priori ;
leur vie psychique n’est pas élaborée, elle est tout entière
« sentie », indépendamment de leur degré d’intelligence, pas de sens de
l’abstraction; on peut les comparer à de petits enfants. Extrême
faiblesse ou quasi inexistence de leur moi. Erotisme sexuel peu
développé, primauté de l’affectif, stade génital non atteint.
-Le type abandonnique complexe
qui est le plus fréquent, chez qui se développe, par des
identifications successives, le moi idéal, stade qu’il ne dépasse pas et
source d’interdits dont il sera difficile de libérer le malade, ces
systèmes d’interdictions « ayant pour caractère d’être conscients alors
que le surmoi ne l’est pas »(p66) . G. Guex explique que les
identifications premières se transforment en code rigide
et limitatif lorsqu’elles comportent des éléments douloureux;
lorsqu’elles créent chez l’enfant « sentiment d’infériorité, de
faiblesse, d’incapacité à égaler, en même temps que de danger à se
soustraire à cette tentative (p67), lorsqu’elle est accompagnée
d’angoisse.
-Le type mixte, les plus déroutants et les plus difficiles à diagnostiquer.
Est
examinée ensuite « la construction de la névrose elle-même sur cette
base d’abandon, c'est-à-dire l’intervention aux différents stades de
l’enfance des facteurs libidinaux et psychologiques et la façon dont ils
se combinent au facteur abandonnique pour donner naissance à un
syndrome spécifique (p), […] cette action étant modifiée par le facteur
initial de la névrose : l’abandon et le stade d’angoisse primaire auquel
il a fixé le sujet . »
Dans le chapitre suivant,
l’analyste envisage trois causes initiales du syndrome d’abandon : la
constitution des enfants, l’attitude affective des parents, les abandons
traumatiques, ces derniers n’étant pas nécessaires à la formation de la
névrose, mais s’inscrivant dans un milieu familial défectueux et chez
un enfant fragile par nature. Elle insiste sur des prédispositions
organiques et psychiques chez l’enfant abandonnique, fondant ses
observations sur des tout petits difficiles à élever, témoignant d’une
« gloutonnerie » affective et liant à leur angoisse une somatisation
(troubles digestifs…). A propos des parents, elle met en évidence deux
points : d’abord la distinction à faire entre différentes
sortes d’abandon, l’enfant réagissant sans angoisse si les frustrations
sont objectivement motivées; ensuite la question de la relation entre le
fait d’être aimé et le sentiment de valeur personnelle (Cf
Fénichel : « Le petit enfant perd l’estime de soi quand il perd l’amour,
il la retrouve quand il retrouve l’amour »p101), d’où l’importance
capitale du facteur familial dans l’étiologie du syndrome d’abandon. Il
ne faut pas perdre de vue pour autant que des parents normalement
attentifs peuvent se heurter à la mentalité abandonnique de leurs
enfants et il revient donc à l’analyste de leur expliquer cette part
importante mais non irrémédiable de ce facteur.
Le
dernier chapitre est consacré à la thérapeutique : dans le cas des
abandonniques, l’indication du traitement dépend de trois facteurs :
l’intensité et le caractère du masochisme, ceux de l’agressivité, « le
mode d’aimance » (minimum de capacité oblative). Le masochisme (pulsions
anti-biologiques) peut être réactionnel ou fondamental et l’analyste
appréciera, dans ce dernier cas, l’espoir d’amélioration possible.
L’agressivité, qu’elle soit réactionnelle ou non, constitue une
contre-indication moindre à la cure qu’un masochisme profond. Enfin,
concernant l’aptitude à aimer, « sans un minimum de capacité oblative,
(le malade) ne sortira pas de son narcissisme blessé. » Durée de
traitement plus long pour le type négatif-agressif que pour le
positif-aimant.
Sur le plan technique, l’analyste
« devra diriger ses interventions dans le domaine du vécu actuel, du
détail quotidien auquel il convient de ramener sans cesse
l’abandonnique, afin de l’analyser inlassablement par rapport aux deux
centres d’erreurs névrotiques : l’insatiable besoin d’amour et les peurs
qui s’y opposent »(p111) . Il peut être nécessaire de commencer la cure
par une revalorisation du moi. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit
d’abandonniques, la relation analytique sera plus active, moins
impersonnelle que dans l’analyse classique, même si l’analyste veille
avec rigueur à ne rien mêler de lui-même ni de sa vie privée à
l’analyse. Il faudra être particulièrement attentif aux interruptions de
celle-ci, souple face aux éventuels cadeaux, ne pas
redouter « l’accrochage » du malade à l’analyste, G. Guex témoignant
que, en 5 ou 6 ans de pratique, elle n’en avait jamais vu se produire
avec la technique exposée. Enfin, ne pas méconnaître la crise de la
guérison, au cours de laquelle, l’analysé vit « une sorte de deuil du
lui-même qu’il a connu et aimé jusqu’alors et de ses illusions
perdues »(p124), sous peine de faire échouer l’analyse. De même, être
très attentif à la fin de la cure : prévenir l’analysé qu’il restera
vulnérable et prédisposé à l’angoisse; espacer progressivement les
séances, avoir montré la nécessité pour chaque être humaind’intérioriser ses relations affectives.
Il sera impératif aussi d’éclairer l’analysé sur le rôle dans sa névrose : de la pensée
magique (cf. Frazer, Lévy-Brulh, Piaget, etc.), du réalisme
intellectuel au sens où Piaget, après Luquet, emploie ce terme. Savoir à
quel stade libidinal est parvenu le malade est également d’une
importance extrême : est-il ou non parvenu au stade de différenciation
de l’oedipe ? (voir l’article de Jeanne Lampl de Groot qui cite en
exemple un cas communiqué par Paul Federn), ne pas surestimer
l’importance de la phase oedipienne au détriment de la phase
préoedipienne. Enfin ne pas négliger que des symptômes se prêtent à une
double interprétation, par exemple :
-Complexe de castration ou angoisse d’abandon ?
-Œdipe ou angoisse d’abandon ?
-Triangle oedipien ou mesure de sécurité ?
G. Guex conclut que l’analyse seule permet de « délivrer l’abandonnique de son angoisse profonde et d’assurer son adaptation
affective au réel »(p137) sous réserve que soient prises en compte les
modifications qu’elle a apportées au long de son ouvrage,
notamment « le caractère inadéquat de l’application de la théorie des
névroses oedipiennes au traitement de l’angoisse d’abandon. »(p141)
NB :
Trente
ans après, Germaine Guex fait précéder la seconde édition après avoir
renommé son ouvrage « Le Syndrome d’Abandon », d’une note préliminaire.
Elle y explique que du fait de la guerre, elle ignorait « La Dépression
Anaclitique » (Spitz) et « La Phase Préoedipienne du Développement de la
Libido » (Ruth Mack Brunswick).
Elle reste, par
ailleurs et malgré le désaccord de la plupart des auteurs, convaincue «
de l’existence d’un facteur constitutionnel, d’une prédisposition
initiale qui rend certains enfants particulièrement vulnérables aux
inévitables frustrations de la réalité, et de l’éducation… »
Elle
revient aussi sur le caractère absolu de certaines de ses affirmations
relatives à l’agressivité et au masochisme des abandonniques.
Enfin,
elle déclare se trouver le plus en désaccord avec elle-même au sujet
des structures psychiques de l’abandonnique : elle ne valide plus l’idée
que le « ça » ne joue qu’un rôle secondaire dans cette structure et que
le surmoi n’existe pas, nuançant : « le rôle du surmoi demeure moins
prégnant que chez d’autres névrosés. »
En
ce qui me concerne, cet ouvrage me tenait à cœur, vu la problématique
abordée. Il a comblé mon attente, éclairant par des exemples cliniques
nombreux, les théories de l’auteur sur la névrose d’abandon. Il me
paraît important, dans une société où la famille est souvent éclatée, et
où l’abandon peut être durement ressenti par tel ou tel de ses membres que chaque thérapeute s’aide de cette lecture, dans laquelle Germaine Guex a mis tant de passion, pour mieux accompagner ses patients.
samedi 24 septembre 2011
Troisième rêve de Descartes
Un livre sur la table
Un moment après il eut un troisième songe, qui n’eut rien de terrible
comme les deux premiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa
table, sans savoir qui l’y avait mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’était
un Dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourrait
lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre
livre sous sa main, qui ne lui était pas moins nouveau, ne sachant d’où
il lui était venu. Il trouva que c’était un recueil des poésies de
différents auteurs, intitulé Corpus Poetarum, etc. Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le vers «Quod vitae sectabor iter ? »
[«Quel chemin suivrai-je dans la vie» ?] Au même moment il aperçut un
homme qu’il ne connaissait pas, mais qui lui présenta une pièce de vers,
commençant par «Est et Non» (1),
et qui la lui vantoit comme une pièce excellente. M. Descartes lui dit
qu’il savait ce que c’était, et que cette pièce était parmi les
«Idylles» d’Ausone qui se trouvait dans le gros Recueil des Poètes qui
était sur sa table(2).
Il voulut la montrer lui-même à cet homme et il se mit à feuilleter le
livre dont il se vantait de connaître parfaitement l’ordre et
l’économie. Pendant qu’il cherchait l’endroit, l’homme lui demanda où il
avait pris ce livre, et M. Descartes lui répondit qu’il ne pouvait lui
dire comment il l’avait eu, mais qu’un moment auparavant il en avait
manié encore un autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui
avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n’avait pas achevé, qu’il
revit paraître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que
ce Dictionnaire n’était plus entier comme il l’avait vu la première fois(3).
Cependant il en vint aux poésies d’Ausone dans le recueil des poètes
qu’il feuilletait et ne pouvant trouver la pièce qui commence par «Est et non», il dit à cet homme qu’il en connaissait une du même poète encore plus belle que celle-là, et qu’elle commençait par «Quod vitae sectabor iter ? »
La personne le pria de la lui montrer, et M. Descartes se mettait en
devoir de la chercher, lorsqu’il tomba sur divers petits portraits
gravés en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre était fort
beau, mais qu’il n’était pas de la même impression que celui qu’il
connaissait. Il en était là, lorsque les livres et l’homme disparurent,
et s’effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller. Ce
qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il
venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant
que c’était un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que
le sommeil le quittât. Il jugea que le dictionnaire ne vouloit dire
autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble et que le recueil
de poésies intitulé Corpus Poetarum, marquait en particulier et
d’une manière plus distincte la philosophie et la sagesse jointes
ensemble. Car il ne croyait pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que
les poètes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de
sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui
se trouvent dans les écrits des philosophes. Il attribuait cette
merveille à la divinité de l’enthousiasme, et à la force de
l’imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se
trouvent dans l’esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu
dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de
brillant même, que ne peut faire la raison dans les philosophes. M.
Descartes continuant d’interpréter son songe dans le sommeil, estimait
que la pièce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit
choisir, et qui commençe par «Quod vitae sectabor iter ?», marquait le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale. Là
dessus, doutant s’il rêvait ou s’il méditait, il se réveilla sans
émotion et continua les yeux ouverts l’interprétation de son songe sur
la même idée. Par les poètes rassemblés dans le recueil il
entendait la révélation et l’enthousiasme, dont il ne désespérait pas de
se voir favorisé. Par la pièce de vers Est et Non, qui est le
Oui et le Non de Pythagore, il comprenait la Vérité et la Fausseté dans
les connaissances humaines, et les sciences profanes. Voyant que
l’application de toutes ces choses réussissait si bien à son gré, il fut
assez hardi pour se persuader que c’était l’esprit de vérité qui avait
voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et
comme il ne lui restait plus à expliquer que les petits portraits de
taille-douce qu’il avait trouvés dans le second livre, il n’en chercha
plus l’explication après la visite qu’un peintre italien lui rendit dès
le lendemain. Ce dernier songe qui n’avait eu rien que de fort doux
et de fort agréable, marquait l’avenir selon lui et il n’était que pour
ce qui devait lui arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les
deux précédents pour des avertissements menaçants touchant sa vie
passée, qui pouvait n’avoir pas été aussi innocente devant Dieu que
devant les hommes. Et il crut que c’était la raison de la terreur et de
l’effroi dont ces deux songes étaient accompagnés. Le melon dont on
voulait lui faire présent dans le premier songe, signifiait, disait-il,
les charmes de la solitude, mais présentés par des sollicitations
purement humaines. Le vent qui le poussoit vers l’église du collège,
lorsqu’il avait mal au côté droit, n’était autre chose que le mauvais
génie qui tâchait de le jeter par force dans un lieu où son dessein
était d’aller volontairement. C’est pourquoi Dieu ne permit pas qu’il
avançât plus loin, et qu’il se laissât emporter même en un lieu saint
par un esprit qu’il n’avoit pas envoyé quoiqu’il fût très persuadé que
ç’eût été l’esprit de Dieu qui lui avait fait faire les prémières
démarches vers cette église. L’épouvante dont il fut frappé dans le
second songe, marquait, à son sens, sa syndérêse, c’est-à-dire, les
remords de sa conscience touchant les péchés qu’il pouvait avoir commis
pendant le cours de sa vie jusqu’alors. La foudre dont il entendit
l’éclat, était le signal de l’esprit de vérité qui descendait sur lui
pour le posséder. Cette dernière imagination tenait assurément
quelque chose de l’enthousiasme : et elle nous porterait volontiers à
croire que M. Descartes aurait bu le soir avant que de se coucher. En
effet c’était la veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avait
coutume de faire la débauche au lieu où il était, comme en France. Mais
il nous assure qu’il avait passé le soir et toute la journée dans une
grande sobriété, et qu’il y avait trois mois entiers qu’il n’avait bu de
vin. Il ajoute que le génie qui excitait en lui l’enthousiasme dont il
se sentait le cerveau échauffé depuis quelques jours, lui avait prédit
ces songes avant que de se mettre au lit, et que l’esprit humain n’y
avait aucune part. Quoi qu’il en soit, l’impression qui lui resta de ces
agitations, lui fit faire le lendemain diverses réflexions sur le parti
qu’il devait prendre. L’embarras où il se trouva, le fit recourir à
Dieu pour le prier de lui faire connaître sa volonté, de vouloir
l’éclairer et le conduire dans la recherche de la vérité. Il s’adressa
ensuite à la sainte vierge pour lui recommander cette affaire, qu’il
jugeait la plus importante de sa vie. Et pour tâcher d’intéresser cette
bien-heureuse mère de Dieu d’une manière plus pressante, il prit
occasion du voyage qu’il méditait en Italie dans peu de jours, pour
former le voeu d’un pélerinage à Notre-Dame De Lorette. Son zèle allait
encore plus loin, et il lui fit promettre que dès qu’il serait à Venise,
il se mettrait en chemin par terre, pour faire le pélerinage à pied
jusqu’à Lorette : que si ses forces ne pouvaient pas fournir à cette
fatigue, il prendrait au moins l’extérieur le plus dévot et le plus
humilié qu’il lui serait possible pour s’en acquitter. Il prétendait
partir avant la fin de novembre pour ce voyage. Mais il paraît que Dieu
disposa de ses moyens d’une autre manière qu’il ne les avait proposés.
Il fallut remettre l’accomplissement de son voeu à un autre temps, ayant
été obligé de différer son voyage d’Italie pour des raisons que l’on
n’a point sues, et ne l’ayant entrepris qu’environ quatre ans depuis
cette résolution. Son enthousiasme le quitta peu de jours après : et
quoique son esprit eût repris son assiette ordinaire, et fut rentré dans
son premier calme, il n’en devint pas plus décisif sur les résolutions
qu’il avait à prendre. Le temps de son quartier d’hiyver s’écoulait peu à
peu dans la solitude de son poële et pour la rendre moins ennuyeuse, il
se mit à composer un traité, qu’il espérait achever avant pâques de
l’an 1620. Dès le mois de février il songeait à chercher des libraires
pour traiter avec eux de l’impression de cet ouvrage. Mais il y a
beaucoup d’apparence que ce traité fut interrompu pour lors, et qu’il
est toujours demeuré imparfait depuis ce temps-là. On a ignoré
jusqu’ici, ce que pouvait être ce traité qui n’a peut-être jamais eu de
titre. Il est certain que les olympiques sont de la fin de 1619, et du
commencement de 1620 ; et qu’ils ont cela de commun avec le traité dont
il s’agit, qu’ils ne sont pas achevés. Mais il y a si peu d’ordre et de
liaison dans ce qui compose ces olympiques parmi ses manuscrits, qu’il
est aisé de juger que M. Descartes n’a jamais songé à en faire un traité
régulier et suivi, moins encore à le rendre public.
Contexte Le récit de ce troisième songe arrive à la suite des deux premiers. Ce
troisième songe marque le retour sur terre et l’élaboration de la voie
qu’il va suivre. Dans son œuvre ultérieure, Descartes insistera sur
l’importance capitale des événements de cette nuit. Il puisera dans ces
songes venus d’en Haut l’impulsion qui guidera toute sa recherche et les
«fondements d’une science admirable». Notes (1)Le vers d'Ausone commençant par Est et non est une façon typique d'exprimer le doute, qui oscillant entre le Oui et le Non. Il est à remarquer que, par la suite, Descartes va d'abord commencer le Discours de la méthode par les mots Dubito ergo sum. Le fragment poétique qui apparaît dans ce rêve correspond donc bien à une démarche fondamentale du philosophe. (2)Ce poème et le suivant se trouvent sur la même page du recueil d’Ausone (Source: Sophie Jama, La nuit de songes de René Descartes, p. 72). (3)Ce demi-dictionnaire ne contient plus que les sciences profanes (Source: Sophie Jama, p. 179).
Texte original Un
moment aprés il eut un troisiéme songe, qui n’eut rien de terrible
comme les deux prémiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa
table, sans sçavoir qui l’y avoit mis. Il l’ouvrit, et voyant que
c’étoit un dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourroit
lui être fort utile. Dans le même instant il se rencontra un autre livre
sous sa main, qui ne lui étoit pas moins nouveau, ne sçachant d’où il
lui étoit venu. Il trouva que c’étoit un recueil des poësies de
différens auteurs, intitulé corpus poëtarum etc. Il eut la curiosité d’y
vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le
vers (...) ? Etc. Au même moment il apperçût un homme qu’il ne
connoissoit pas, mais qui lui présenta une piéce de vers, commençant par
est et non, et qui la lui vantoit comme une piéce excellente. M
Descartes lui dit qu’il sçavoit ce que c’étoit, et que cette piéce étoit
parmi les idylles d’Ausone qui se trouvoit dans le gros recüeil des
poëtes qui étoit sur sa table. Il voulut la montrer lui même à cét homme
: et il se mit à feuïlleter le livre dont il se vantoit de connoître
parfaitement l’ordre et l’oeconomie. Pendant qu’il cherchoit l’endroit,
l’homme lui demanda où il avoit pris ce livre, et M Descartes lui
répondit qu’il ne pouvoit lui dire comment il l’avoit eu : mais qu’un
moment auparavant il en avoit manié encore un autre qui venoit de
disparoître, sans sçavoir qui le lui avoit apporté, ni qui le lui avoit
repris. Il n’avoit pas achevé, qu’il revid paroître le livre à l’autre
bout de la table. Mais il trouva que ce dictionnaire n’étoit plus entier
comme il l’avoit vû la prémiére fois. Cependant il en vint aux poësies
d’Ausone dans le recuëil des poëtes qu’il feüilletoit : et ne pouvant
trouver la piéce qui commence par est et non, il dit à cét homme qu’il
en connoissoit une du même poëte encore plus belle que celle là, et
qu’elle commençoit par «Quod vitae sectabor iter » ? La personne
le pria de la lui montrer, et M Descartes se mettoit en devoir de la
chercher, lors qu’il tomba sur divers petits portraits gravez en taille
douce : ce qui lui fit dire que ce livre étoit fort beau, mais qu’il
n’étoit pas de la même impression que celui qu’il connoissoit. Il en
étoit là, lors que les livres et l’homme disparurent, et s’effacérent de
son imagination, sans néantmoins le réveiller. Ce qu’il y a de
singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venoit de voir
étoit songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’étoit un
songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le
quittât. Il jugea que le dictionnaire ne vouloit dire autre chose que
toutes les sciences ramassées ensemble : et que le recueil de poësies
intitulé corpus poëtarum, marquoit en particulier et d’une maniére plus
distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne
croioit pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que les poëtes, même
ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves,
plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les
écrits des philosophes. Il attribuoit cette merveille à la divinité de
l’enthousiasme, et à la force de l’imagination, qui fait sortir les
semences de la sagesse (qui se trouvent dans l’esprit de tous les hommes
comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de
facilité et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la raison
dans les philosophes. M Descartes continuant d’interpreter son songe
dans le sommeil, estimoit que la piéce de vers sur l’incertitude du
genre de vie qu’on doit choisir, et qui commençe par (...), marquoit le
bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale. Là dessus,
doutant s’il révoit ou s’il méditoit, il se réveilla sans émotion : et
continua les yeux ouverts, l’interprétation de son songe sur la même
idée. Par les poëtes rassemblez dans le recueil il entendoit la
révélation et l’enthousiasme, dont il ne desespéroit pas de se voir
favorisé. Par la piéce de vers est et non, qui est le ouy et le non de
Pythagore, il comprenoit la vérité et la fausseté dans les connoissances
humaines, et les sciences profanes. Voyant que l’application de toutes
ces choses réüssissoit si bien à son gré, il fut assez hardy pour se
persuader, que c’étoit l’esprit de vérité qui avoit voulu lui ouvrir les
trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restoit
plus à expliquer que les petits portraits de taille-douce qu’il avoit
trouvez dans le second livre, il n’en chercha plus l’explication aprés
la visite qu’un peintre italien lui rendit dés le lendemain.
Ce dernier songe qui n’avoit eu rien que de fort doux et de fort
agréable, marquoit l’avenir selon luy : et il n’étoit que pour ce qui
devoit luy arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les deux
précédens pour des avertissemens menaçans touchant sa vie passée, qui
pouvoit n’avoir pas été aussi innocente devant Dieu que devant les
hommes. Et il crut que c’étoit la raison de la terreur et de l’éfroy
dont ces deux songes étoient accompagnez. Le melon dont on vouloit luy
faire présent dans le prémier songe, signifioit, disoit-il, les charmes
de la solitude, mais présentez par des sollicitations purement humaines.
Le vent qui le poussoit vers l’eglise du collége, lorsqu’il avoit mal
au côté droit, n’étoit autre chose que le mauvais génie qui tâchoit de
le jetter par force dans un lieu, où son dessein étoit d’aller
volontairement. C’est pourquoy Dieu ne permit pas qu’il avançât plus
loin, et qu’il se laissât emporter même en un lieu saint par un esprit
qu’il n’avoit pas envoyé : quoy qu’il fût trés-persuadé que ç’eût été
l’esprit de Dieu qui luy avoit fait faire les prémiéres démarches vers
cette eglise. L’épouvante dont il fut frappé dans le second songe,
marquoit, à son sens, sa syndérêse, c’est-à-dire, les remords de sa
conscience touchant les péchez qu’il pouvoit avoir commis pendant le
cours de sa vie jusqu’alors. La foudre dont il entendit l’éclat, étoit
le signal de l’esprit de vérité qui descendoit sur luy pour le posséder.
Cette derniére imagination tenoit assurément quelque chose de
l’enthousiasme : et elle nous porteroit volontiers à croire que M
Descartes auroit bû le soir avant que de se coucher. En effet c’étoit la
veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avoit coûtume de faire
la débauche au lieu où il étoit, comme en France. Mais il nous assure
qu’il avoit passé le soir et toute la journée dans une grande sobriété,
et qu’il y avoit trois mois entiers qu’il n’avoit bû de vin. Il ajoûte
que le génie qui excitoit en luy l’enthousiasme dont il se sentoit le
cerveau échauffé depuis quelques jours, luy avoit prédit ces songes
avant que de se mettre au lit, et que l’esprit humain n’y avoit aucune
part. Quoy qu’il en soit, l’impression qui luy resta de ces agitations,
luy fit faire le lendemain diverses réfléxions sur le parti qu’il devoit
prendre. L’embarras où il se trouva, le fit recourir à Dieu pour le
prier de luy faire connoître sa volonté, de vouloir l’éclairer et le
conduire dans la recherche de la vérité. Il s’adressa ensuite à la
sainte vierge pour luy recommander cette affaire, qu’il jugeoit la plus
importante de sa vie. Et pour tâcher d’intéresser cette bien-heureuse
mére de Dieu d’une maniére plus pressante, il prit occasion du voyage
qu’il méditoit en Italie dans peu de jours, pour former le voeu d’un
pélerinage à Nôtre-Dame De Lorette. Son zéle alloit encore plus loin, et
il luy fit promettre que dés qu’il seroit à Venise, il se mettroit en
chemin par terre, pour faire le pélerinage à pied jusqu’à Lorette : que
si ses forces ne pouvoient pas fournir à cette fatigue, il prendroit au
moins l’extérieur le plus dévot et le plus humilié qu’il luy seroit
possible pour s’en acquitter. Il prétendoit partir avant la fin de
novembre pour ce voyage. Mais il paroît que Dieu disposa de ses moyens
d’une autre maniére qu’il ne les avoit proposez. Il fallut remettre
l’accomplissement de son voeu à un autre têms, ayant été obligé de
différer son voyage d’Italie pour des raisons que l’on n’a point sçeuës,
et ne l’ayant entrepris qu’environ quatre ans depuis cette résolution.
Son enthousiasme le quitta peu de jours aprés : et quoique son esprit
eût repris son assiéte ordinaire, et fût rentré dans son prémier calme,
il n’en devint pas plus décisif sur les résolutions qu’il avoit à
prendre. Le têms de son quartier d’hyver s’écouloit peu à peu dans la
solitude de son poësle : et pour la rendre moins ennuyeuse, il se mit à
composer un traité, qu’il espéroit achever avant pâques de l’an 1620.
Dés le mois de février il songeoit à chercher des libraires pour traiter
avec eux de l’impression de cet ouvrage. Mais il y a beaucoup
d’apparence que ce traité fut interrompu pour lors, et qu’il est
toûjours demeuré imparfait depuis ce téms-là. On a ignoré jusqu’icy, ce
que pouvoit être ce traité qui n’a peut-être jamais eu de titre. Il est
certain que les olympiques sont de la fin de 1619, et du commençement de
1620 ; et qu’ils ont cela de commun avec le traité dont il s’agit,
qu’ils ne sont pas achevez. Mais il y a si peu d’ordre et de liaison
dans ce qui compose ces olympiques parmi ses manuscrits, qu’il est aisé
de juger que M Descartes n’a jamais songé à en faire un traité régulier
et suivi, moins encore à le rendre public.
vendredi 23 septembre 2011
Deuxième rêve de Descartes
Un coup de tonnerre
Dans cette situation il se rendormit après un intervalle de près de
deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce
monde.
Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crut
entendre un bruit aigu et éclatant qu’il prit pour un coup de tonnerre.
La frayeur qu’il en eut le réveilla sur l’heure même : et ayant ouvert
les yeux, il aperçut beaucoup d’étincelles de feu répandues par la
chambre. La chose lui était déjà souvent arrivée en d’autres temps et il
ne lui était pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la
nuit d’avoir les yeux assez étincelants, pour lui faire entrevoir les
objets les plus proches de lui. Mais en cette dernière occasion il
voulut recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira
des conclusions favorables pour son esprit, après avoir observé en
ouvrant, puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des
espèces qui lui étoient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il
se rendormit dans un assez grand calme.
Contexte Ce
rêve se situe juste à la suite du premier songe et sert de transition
avec le troisième, qui suit immédiatement. Descartes en fera lui-même
l’interprétation à la fin du troisième songe.
Texte original
Dans
cette situation il se rendormit aprés un intervalle de prés de deux
heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde.
Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crût entendre un
bruit aigu et éclatant qu’il prit pour un coup de tonnére. La frayeur
qu’il en eut le réveilla sur l’heure même : et ayant ouvert les yeux, il
apperçût beaucoup d’étincelles de feu répanduës par la chambre. La
chose lui étoit déja souvent arrivée en d’autres têms : et il ne lui
étoit pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit
d’avoir les yeux assez étincellans, pour lui faire entrevoir les objets
les plus proches de lui. Mais en cette derniére occasion il voulut
recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira des
conclusions favorables pour son esprit, aprés avoir observé en ouvrant,
puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des espéces qui lui
étoient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il se rendormit
dans un assez grand calme.
mercredi 21 septembre 2011
Premier rêve de Descartes
Aux prises avec le vent
Il nous apprend que le dixième de novembre mil six cent dix-neuf, s’étant couché tout rempli de son enthousiasme, et tout occupé de la pensée d’avoir trouvé ce jour là les fondements de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit, qu’il s’imagina ne pouvoir être venus que d’en haut.
Après
s’être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation
de quelques fantômes qui se présentérent à lui, et qui l’épouvantérent
de telle sorte, que croyant marcher par les rues, il étoit obligé de se
renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il vouloit
aller, parce qu’il sentait une grande foiblesse au côté droit dont il ne
pouvoit se soutenir. Etant honteux de marcher de la sorte, il fit un
effort pour se redresser : mais il sentit un vent impétueux qui
l’emportant dans une espèce de tourbillon lui fit faire trois ou quatre
tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l’épouvanta. La
difficulté qu’il avoit de se traîner faisait qu’il croyait tomber à
chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant aperçu un collège ouvert sur son chemin,
il entra dedans pour y trouver une retraite, et un remède à son mal. Il
tâcha de gagner l’église du collège, où sa première pensée était
d’aller faire sa prière : mais s’étant apperçu qu’il avait passé un
homme de sa connaissance sans le saluer, il voulut retourner sur ses pas
pour lui faire civilité, et il fut repoussé avec violence par le vent
qui soufflait contre l’église. Dans le même temps il vit au milieu de la
cour du collège une autre personne qui l’appela par son nom en des
termes civils et obligeants : et lui dit que s’il vouloit aller trouver
Monsieur N. il avoit quelque chose à lui donner. M. Descartes s’imagina
que c’était un melon qu’on avoit apporté de quelque pays étranger. Mais
ce qui le surprit davantage, fut de voir que ceux qui se rassemblaient
avec cette personne autour de lui pour s’entretenir, étaient droits et
fermes sur leurs pieds : quoiqu’il fût toujours courbé et chancelant sur
le même terrain, et que le vent qui avait pensé le renverser plusieurs
fois eût beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination, et il
sentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce
ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’aurait voulu séduire.
Aussitôt il se retourna sur le côté droit, car c’étoit sur le gauche
qu’il s’étoit endormi, et qu’il avoit eu le songe. Il fit une prière à
Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe, et
d’être préservé de tous les malheurs qui pourraient le menacer en
punition de ses péchés, qu’il reconnoissait pouvoir être assez graves
pour attirer les foudres du ciel sur sa tête, quoiqu’il eût mené
jusques-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes.
Contexte Descartes
eut ces songes en novembre 1619, à l’âge de 23 ans, alors qu’il était
engagé comme soldat dans les troupes du duc de Bavière, et stationné à
Ulm, sur les bords du Danube. Le récit initial que fit Descartes de ces
rêves étant perdu, ils ne nous sont plus connus que par la biographie de
Baillet.
Ce premier songe est suivi d’un deuxième et d’un troisième, ainsi que d’une interprétation par Descartes.
Commentaires Descartes
eut ces songes en novembre 1619, à l’âge de 23 ans, alors qu’il était
engagé comme soldat dans les troupes du duc de Bavière, et stationné à
Ulm, sur les bords du Danube.
Ce premier songe est suivi d’un deuxième et d’un troisième, ainsi que d’une interprétation par Descartes.
De
nombreuses interprétations ont été tentées. Une chose est certaine :
ces songes jouent un rôle capital dans la pensée de Descartes et on
parle fort justement à leur propos de «songes initiatiques».
En 1928, Maxime Leroy avait reçu une réponse évasive de Freud à qui il avait demandé d’examiner ce rêve. Interprétation de Freud Freud ne se prononce que sur le premier rêve :
«Notre
philosophe les interprète lui-même et, nous conformant à toutes les
règles de l'interprétation des rêves, nous devons accepter son
explication, mais il faut ajouter que nous ne disposons pas d'une voie
qui nous conduit au-delà. Confirmant son explication, nous dirons que
les entraves qui empêchent Descartes de se mouvoir avec liberté nous
sont absolument connues: c'est la confirmation par le rêve d'un conflit
intérieur. Le côté gauche est la représentation du mal et du péché, et
le vent, celle du mauvais génie. Pour ce qui est du melon, le rêveur a
eu l'idée originale de figurer de la sorte les charmes de la solitude.
Ce n'est certainement pas exact mais ce pourrait être une association
d'idées qui mènerait sur la voie d'une explication exacte. En
corrélation avec son état de péché, cette association pourrait figurer
une représentation sexuelle qui a occupé l'imagination du jeune
solitaire.» Jacques Maritain a consacré à ces rêves une conférence en 1920, reprise dans Le songe de Descartes, Paris, Buchet-Chastel, 1965. Sophie Jama
en propose une lecture ethnologique en s’intéressant aux «cadres
sociaux de la pensée onirique» et en accordant la plus grande attention
au corps de connaissances circulant dans la société de Descartes ainsi
qu’au symbolisme du calendrier, «voie royale d’accès au populaire». La nuit de songes de René Descartes, Paris, Aubier, 1998. Interprétation de Marie-Louise von Franz «[...] la peur
le contraint à se courber fortement vers la gauche (ou même à se jeter
sur le sol ?). Ce trait doit également être compris avant tout comme une
compensation: l'inconscient veut le pousser vers la gauche, du côté
«sinistre», féminin, qu'il ignore et méprise à l'excès. Descartes,
effrayé, se penche donc vers la gauche. Il faut en déduire, ce qui est
digne de remarque, que les esprits apparaissent non pas sur la gauche
(où, mythologiquement parlant, ils seraient davantage à leur place),
mais sur la droite. La raison en est manifestement qu'il existait à
droite un point faible, une porte ouverte aux contenus de l'inconscient.
L'inconscient le chasse vers la gauche, car il a lui-même tendance à
trop se tourner vers la droite, ce qui correspond également à une
inconscience: la conscience est un phénomène du milieu, qui se situe
entre l'instinct et l'esprit. [138]
Les deux pôles sont en fin de
compte transcendants par rapport à la conscience. On pourrait dire à
cet égard que, dans sa méditation intense, Descartes s'était trop
approché du pôle spirituel, ce qui l'avait rendu trop inconscient sur ce
plan, car possédé par des contenus archétypiques. C'est pourquoi il
éprouvait «une grande faiblesse du côté droit» : l'apparition onirique
cherche à le corriger en le ramenant vers la gauche. En outre, elle le
force à s'incliner profondément afin d'équilibrer son «enthousiasme»
quelque peu inflationniste (en effet, comme le dit Maritain, il croyait
être appelé à réformer toute la science de son époque). [139] Le melon [...]
le principe obscur du Yin est symbolisé par le melon. Celui-ci a donc
ici quelque chose à voir avec l'image d'une anima obscure, prostituée,
représentant un élément de la nature demeuré sauvage et inassimilé qui
se révèle par suite dangereux pour les ordres humains conventionnels.
[146]
L'odeur agréable, le goût et la jolie couleur du melon sont
(d'après saint Augustin) les raisons qui faisaient ranger ce fruit parmi
les «trésors en or de Dieu». En tant que fruit porteur de lumière, il
évoque le rôle de la pomme du paradis dont l'absorption procure aux
hommes la connaissance du Bien et du Mal qui était jusqu'alors réservée à
Dieu seul. Cette pomme contient en germe la possibilité du passage à la
conscience par la connaissance de l'opposition du bien et du mal. Il
est à peu près certain que la signification manichéenne du melon n'était
pas ignorée de Descartes, car il connaissait le traité de saint
Augustin De Genesi contra Manichaeos et avait sans doute lu les
autres textes du saint composés contre ces adversaires. Le melon aurait
donc pu signifier pour lui - comme la pomme du paradis - une tentative
de réflexion plus approfondie sur le problème du bien et du mal et,
contrairement à la conception chrétienne du mal considéré comme privatio
boni ou absence de bien, une tentative de reconnaître avec les
Manichéens la réalité divine du mal. [148]
En même temps, le melon est l'élément féminin médiateur entre le côté chrétien de Descartes et son côté non chrétien. [149]
Le
réseau de nervures vertes du melon ressemble aux méridiens du globe, et
l'on peut donc voir dans le melon une sorte de «microcosme». Il est une
image du «firmament» intérieur, c'est-à-dire de la totalité psychique
qui se manifeste ici en tant que pôle opposé au rêveur fasciné par les
phénomènes du macrocosme. [152]
L'inconscient projette donc
d'utiliser Descartes comme intermédiaire et de lui faire remettre le
melon à Monsieur N. En d'autres termes, le rêveur doit se soucier
consciemment des besoins de son ombre, lui fournir la nourriture, comme
un auditor à son electus. »[155]
Marie-Louise von Franz, Rêves d'hier et d'aujourd'hui Paris, Albin Michel, 1992.
Texte original Il
nous apprend que le dixiéme de novembre mil six cent dix-neuf, s’étant
couché tout rempli de son enthousiasme, et tout occupé de la pensée
d’avoir trouvé ce jour là les fondemens de la science admirable, il eut
trois songes consécutifs en une seule nuit, qu’il s’imagina ne pouvoir
être venus que d’enhaut. Aprés s’être endormi, son imagination se sentit
frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentérent à
lui, et qui l’épouvantérent de telle sorte, que croyant marcher par les
ruës, il étoit obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir
avancer au lieu où il vouloit aller, parce qu’il sentoit une grande
foiblesse au côté droit dont il ne pouvoit se soutenir. Etant honteux de
marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser : mais il
sentit un vent impétueux qui l’emportant dans une espéce de tourbillon
lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas
encore ce qui l’épouvanta. La difficulté qu’il avoit de se traîner
faisoit qu’il croioit tomber à chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant apperçû
un collége ouvert sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une
retraite, et un reméde à son mal. Il tâcha de gagner l’eglise du
collége, où sa prémiére pensée étoit d’aller faire sa priére : mais
s’étant apperçu qu’il avoit passé un homme de sa connoissance sans le
saluër, il voulut retourner sur ses pas pour lui faire civilité, et il
fut repoussé avec violence par le vent qui souffloit contre l’eglise.
Dans le même tems il vit au milieu de la cour du collége une autre
personne qui l’appella par son nom en des termes civils et obligeans :
et lui dit que s’il vouloit aller trouver Monsieur N il avoit quelque
chose à lui donner. M Descartes s’imagina que c’étoit un melon qu’on
avoit apporté de quelque païs étranger. Mais ce qui le surprit
d’avantage, fut de voir que ceux qui se rassembloient avec cette
personne autour de lui pour s’entretenir, étoient droits et fermes sur
leurs pieds : quoi qu’il fût toujours courbé et chancelant sur le même
terrain, et que le vent qui avoit pensé le renverser plusieurs fois eût
beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination, et il sentit à
l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût
l’opération de quelque mauvais génie qui l’auroit voulu séduire.
Aussi-tôt il se retourna sur le côté droit, car c’étoit sur le gauche
qu’il s’étoit endormi, et qu’il avoit eu le songe. Il fit une priére à
Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe, et
d’être préservé de tous les malheurs qui pourroient le menacer en
punition de ses péchez, qu’il reconnoissoit pouvoir étre assez griefs
pour attirer les foudres du ciel sur sa tête : quoiqu’il eût mené
jusques-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes..
samedi 17 septembre 2011
Oniromancie
L'oniromancie ou onéiromancie (provient d'un mot grec signifiant songe et divination) est un art divinatoire utilisant les rêves.
Cette discipline tenait une place importante dans l'Égypte
antique puisque, selon un livre de sagesse, les dieux auraient créé les
songes pour délivrer des messages aux hommes. En Chine, les Mémoires du Coffret de Jade sont une compilation de rêves prémonitoires.
Par son caractère imprévisible et incontrôlable, et par son absence
apparente de logique, le rêve est un phénomène qui a toujours plus ou
moins fasciné les hommes. Les recherches médicales sur le rêve et le
sommeil en général étant loin d'être exhaustives (on sait simplement que
le rêve joue un rôle dans l'organisation et « l'absorption » des
informations assimilées dans la journée précédente), de nombreux arts
divinatoires, religieux ou non, et même quelques pseudo-sciences ont cherché à décrypter les rêves, parfois qualifiés de « prémonitoires », à leur manière.
mercredi 14 septembre 2011
Le rêve chez Thomas Hobbes
Thomas Hobbes (1640), De la nature humaine, chap. III
1. Définition de l'imagination. 2. Définition du sommeil et des
rêves. 3. Cause des rêves. 4. La fiction définie. 5. Définition
des fantômes. 6. Définition de la mémoire. 7. En quoi la
mémoire consiste. 8. Pourquoi dans les rêves l'homme ne croit
jamais rêver. 9. Pourquoi il y a peu de choses qui paraissent
étranges dans les rêves. 10. Qu'un rêve peut être pris pour une
réalité ou pour une vision.
1. Comme une eau stagnante, mise en mouvement par une pierre qu'on
y aura jetée ou par un coup de vent, ne cesse pas de se mouvoir aussitôt
que la pierre est tombée au fond ou dès que le vent cesse, de même l'effet
qu'un objet a produit sur le cerveau ne cesse pas aussitôt que cet objet cesse
d'agir sur les organes. C'est-à-dire que, quoique le sentiment ne subsiste
plus, son image ou sa conception reste, mais plus confuse lorsqu'on est
éveillé, parce que alors quelque objet présent remue ou sollicite continuellement
les yeux ou les oreilles, et en tenant l'esprit dans un mouvement
plus fort l'empêche de s'apercevoir d'un mouvement plus faible. C'est cette
conception obscure et confuse que nous nommons fantaisie ou imagination.
Ainsi l'on peut définir l'imagination une conception qui reste et qui
s'affaiblit peu à peu à la suite d'un acte des sens.
2. Mais lorsqu'il n'y a point de sensation actuelle, comme dans le
sommeil, alors les images qui restent à la suite de la sensation quand elles
sont en grand nombre, comme dans les rêves, ne sont point obscures, mais
sont aussi fortes, aussi claires que dans la sensation même. La raison en
est que la cause qui obscurcissait et affaiblissait les conceptions, je veux
dire la sensation ou l'opération actuelle de l'objet, est écartée ; en effet, le
sommeil est la privation de l'acte de la sensation, quoique le pouvoir de
sentir reste toujours ; et les rêves sont les imaginations de ceux qui dorment.
3. Les causes des songes et des rêves, quand ils sont naturels, sont les
actions ou les efforts des parties internes d'un homme sur son cerveau,
efforts par lesquels les passages de la sensation engourdis par le sommeil
sont restitués dans leur mouvement. Les signes qui nous prouvent cette
vérité sont les différences des songes (les vieillards rêvant plus souvent et
plus péniblement que les jeunes gens), différences qui sont dues aux
différents accidents ou états du corps humain. C'est ainsi que des rêves
voluptueux ou des rêves de colère dépendent du plus ou du moins de
chaleur avec lequel le coeur ou les parties internes agissent sur le cerveau.
C'est encore ainsi que la descente ou l'action de différentes sortes de
liqueurs animales sur les organes nous procure des rêves dans lesquels
nous goûtons ou nous buvons des mets ou des breuvages différents. Et je
crois qu'il y a un mouvement réciproque du cerveau et des parties vitales
qui agissent et réagissent les uns sur les autres, ce qui fait que non seulement
l'imagination produit du mouvement dans ces parties, mais encore
que le mouvement de ces parties produit une imagination semblable à
celle qui l'avait excité. Si le fait est vrai, et si des imaginations tristes sont
propres à nourrir la mélancolie, nous reconnaîtrons la raison pour laquelle
la mélancolie, quand elle est forte, produit réciproquement des rêves fâcheux,
et les effets de la volupté peuvent dans un rêve produire l'image de
la personne qui les a causés. Un autre signe qui prouve que les rêves sont
produits par l'action des parties intérieures, c'est le désordre ou la liaison
accidentelle d'une conception ou d'une image à une autre: car, lorsque
nous sommes éveillés, la conception ou la pensée antécédente amène la
subséquente ou en est la cause, de même que sur une table unie et sèche
l'eau fuit le doigt ; au lieu que dans le rêve il n'y a pour l'ordinaire aucune
liaison, et quand il y en a, ce n'est que par hasard ; ce qui doit venir nécessairement
de ce que dans les rêves le cerveau ne jouit pas de son mouvement
dans toutes ses parties également, ce qui fait que nos pensées sont
semblables aux étoiles lorsqu'elles se montrent au travers de nuages qui
passent avec rapidité, non dans l'ordre nécessaire pour être observées, mais
suivant que le vol incertain des nuages le permet.
4. De même que l'eau, ou tout fluide agité en même temps par des
forces diverses, prend un mouvement composé de toutes ces forces, ainsi
le cerveau ou l'esprit qu'il contient, ayant été remué par des objets divers,
compose une imagination totale dont les conceptions diverses que la sensation
avait fournies séparées sont les éléments ; ainsi, par exemple, les
sens nous ont montré dans un temps la figure d'une montagne, et dans un
autre temps la couleur de l'or, ensuite l'imagination les réunit à la fois et en
fait une montagne d'or. Voilà comment nous voyons des châteaux dans les
airs, des chimères, des monstres qui ne se trouvent point dans la nature,
mais qui ont été aperçus par les sens en différentes occasions : c'est cette
composition que l'on désigne communément sous le nom de fiction de
l'esprit.
5. Il y a une autre espèce d'imagination qui, pour la clarté, le dispute
avec la sensation aussi bien que les rêves ; c'est celle que nous avons
lorsque l'action du sens a été longue ou véhémente ; le sens de la vue nous
en fournit des expériences plus fréquentes que les autres. Nous en avons
des exemples dans l'image qui demeure dans l'oeil, après avoir regardé le
soleil ; dans ces bluettes que nous apercevons dans l'obscurité, comme je
crois que tout homme le sait par sa propre expérience et surtout ceux qui
sont craintifs et superstitieux. Ces sortes d'images, pour les distinguer,
peuvent être appelées des fantômes.
6. C'est, comme on l'a déjà dit, par les sens, qui sont au nombre de
cinq, que nous sommes avertis des objets hors de nous ; cet avertissement
forme la conception que nous en avons ; car quand la conception de la
même chose revient, nous nous apercevons qu'elle vient de nouveau, c'està-
dire que nous avons eu la même conception auparavant, ce qui est la
même chose que d'imaginer une chose passée ; ce qui est impossible à la
sensation, qui ne peut avoir lieu que quand les choses sont présentes. Ainsi
cela peut être regardé comme un sixième sens, mais interne, et non
extérieur comme les autres ; c'est ce que l'on désigne communément sous
le nom de ressouvenir.
7. Quant à la manière dont nous apercevons une conception passée, il
faut se rappeler qu'en donnant la définition de l'imagination nous avons dit
que c'était une conception qui s'affaiblissait ou s'obscurcissait peu à peu.
Une conception obscure est celle qui représente un objet entier à la fois,
sans nous montrer ses plus petites parties ; et l'on dit qu'une conception, ou
représentation, est plus ou moins claire selon qu'un nombre plus ou moins
grand des parties de l'objet, conçu antérieurement, nous est représenté.
Ainsi, en trouvant que la conception, qui au moment où elle a été d'abord
produite par les sens était claire, et représentait distinctement les parties de
l'objet, est obscure et confuse lorsqu'elle revient, nous nous apercevons
qu'il lui manque quelque chose que nous attendions, ce qui nous fait juger
qu'elle est passée et qu'elle a souffert du déchet. Par exemple, un homme
qui se trouve dans une ville étrangère voit non seulement des rues entières,
mais peut encore distinguer des maisons particulières et des parties de
maisons, mais lorsqu'il est une fois sorti de cette ville, il ne peut plus les
distinguer dans son esprit aussi particulièrement qu'il avait fait, parce que
alors il y a des maisons ou des parties qui lui échappent ; cependant alors
il se ressouvient mais moins parfaitement ; par la suite des temps l'image
de la ville qu'il a vue ne se représente à lui que comme un amas confus de
bâtiments, et c'est presque tout comme s'il l'avait oubliée. Ainsi en voyant
que le souvenir est plus ou moins marqué selon que nous lui trouvons plus
ou moins d'obscurité, pourquoi ne dirions-nous pas que le souvenir n'est
que le défaut des parties que chaque homme s'attend à voir succéder, après
avoir eu la conception d'un tout ? Voir un objet à une grande distance de
lieu ou se rappeler un objet à une grande distance de temps, c'est avoir des
conceptions semblables de la chose : car il manque dans l'un et l'autre cas
la distinction des parties ; l'une de ces conceptions étant faible par la grande
distance, d'où la sensation se fait ; l'autre par le déchet qu'elle a
souffert.
8. De ce qui vient d'être dit il suit qu'un homme ne peut jamais savoir
qu'il rêve ; il peut rêver qu'il doute s'il rêve ou non ; la clarté de l'imagination
lui représentant la chose avec autant de parties que le sens même, il
ne peut l'apercevoir que comme présente ; tandis que de savoir qu'il rêve,
ce serait penser que ces conceptions (c'est-à-dire ses rêves) sont plus
obscures qu'elles ne l'étaient par le sens : de sorte qu'il faudrait qu'il crût
qu'elles sont tout à la fois aussi claires et non pas aussi claires que le sens,
ce qui est impossible.
9. C'est par la même raison que dans les rêves les hommes ne sont
point surpris des lieux et des personnes qu'ils voient, comme ils le seraient
s'ils étaient éveillés ; en effet, un homme éveillé serait étonné de se trouver
dans un lieu où il n'aurait point été précédemment, sans savoir ni comment
ni par où il y serait arrivé ; mais dans un rêve on ne fait que peu ou point
réflexion à ces choses ; la clarté de la conception dans le rêve ôte la défiance,
à moins que la chose ne soit très extraordinaire, comme, par exemple,
si l'on rêvait que l'on est tombé de fort haut sans se faire aucun mal :
en pareil cas communément on se réveille.
10. Il n'est pas impossible qu'un homme se trompe au point de croire
que son rêve est une réalité après qu'il est passé : car s'il rêve de choses qui
sont ordinairement dans son esprit et dans le même ordre que lorsqu'il est
éveillé, et si à son réveil il se trouve au même lieu où il s'était couché, ce
qui peut très bien arriver, je ne vois aucun signe propre à lui faire discerner
s'il a rêvé ou non ; et par conséquent je ne suis point surpris de voir un
homme raconter quelquefois son rêve comme si c'était une vérité, ou le
prendre pour une vision.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------- Thomas Hobbes (5 avril 1588 à Westport, Angleterre – 4 décembre 1679 à Hardwick Hall dans le Derbyshire en Angleterre) est un philosophe anglais. Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Quoique souvent accusé de conservatisme excessif (par Arendt et Foucault notamment), ayant inspiré des auteurs comme Maistre et Schmitt, le Léviathan eut aussi une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle, et sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant : le réalisme.
Thomas Hobbes raconte que sa mère accoucha avant terme sous le choc de la nouvelle de l'appareillage de l'Invincible Armada. Son père était vicaire
de Charlton et de Westport ; il fut forcé de quitter la ville,
abandonnant ses trois enfants au soin d'un frère plus âgé, Francis.
Hobbes reçoit l'enseignement de l'église de Westport dès l'âge de quatre ans et entre ensuite à l'école de Malmesbury,
puis dans une école privée tenue par un jeune homme, Robert Latimer.
Hobbes fait preuve d'une précocité intellectuelle remarquable : à l'âge
de six ans, il apprend le latin et le grec, et vers quatorze ans, il traduit en latin Médée d'Euripide. Il entre à Hertford College (Oxford) en 1603 puis à Magdalen Hall (Oxford) en 1605, où il prend la vie universitaire en aversion. Le principal de Magdalen est alors John Wilkinson, un puritain agressif qui aura une certaine influence sur Hobbes.
À l'université, Hobbes semble avoir suivi son propre programme d'études ; il « était peu attiré par l'étude scolastique ». Il conclut ses études et obtient le degré de Bachelor of Arts en 1608. Puis, il devient tuteur du fils aîné de William Cavendish, baron de Hardwick et futur comte de Devonshire. Il est chargé de voyager sur le continent avec son élève ; il parcourt ainsi la France, l’Italie, l'Allemagne en 1610, année de l'assassinat de Henri IV de France. De retour en Angleterre, il se met à l'étude des belles lettres, lisant et traduisant Thucydide, son historien préféré. Sa traduction parait en 1628, année où meurt son élève et ami.
Il devient peu après de nouveau travelling tutor (que l'on
peut traduire en français par « précepteur itinérant ») du fils du comte
de Clifton et retourne sur le continent. Il passe dix-huit mois à Paris, et se rend à Venise. De retour en Angleterre en 1631, il se voit confier le jeune comte de Cavendish. C'est vers cette époque (1629 – 1631) qu'il découvre Euclide et se prend de passion pour la géométrie. Trois ans plus tard, Hobbes et son élève visitent la France et l’Italie et restent huit mois à Paris, jusqu'à l'automne 1637.
Il est alors mis en rapport avec le père Mersenne, qui lui ouvre les portes de la société savante de Paris et l’incite à publier ses ouvrages de psychologie et de physique.
Il décrit dans une autobiographie son état de méditation incessante,
« en bateau, en voiture, à cheval », et c’est en effet à ce moment de sa
vie qu’il conçoit le principe de sa physique, le mouvement, seule réalité génératrice des choses naturelles. Ce principe lui paraît bientôt capable de fonder la psychologie, la morale et la politique.
À partir de 1640, l’Angleterre connaît une opposition de plus en plus
violente entre le roi et le parlement. Hobbes prend parti pour le roi,
il quitte Londres en 1640 pour Paris et y reste en exil pendant 11 ans.
Vers 1642, il écrit un petit traité, Éléments de la loi naturelle et politique, en réaction aux événements qui troublent la vie politique, traité écrit en anglais
où il s'efforce de démontrer que « la puissance et le droit sont liés à
la Souveraineté par une connexion inséparable. » Le livre n'est pas
publié, mais des copies circulent et font connaître Hobbes.
Vers cette époque, René Descartes, alors en Hollande, charge Marin Mersenne de communiquer les Méditations sur la philosophie première pour recueillir des commentaires des meilleurs esprits. Mersenne, ayant fait la connaissance de Hobbes, s'adresse à lui, et Hobbes écrit les Troisièmes Objections, qui sont un témoignage précieux pour l’étude de sa philosophie première. Ses objections sont transmises anonymement à Descartes en janvier 1641. Après d'autres objections de Hobbes, contre la Dioptrique
cette fois, transmises par lettres signées, Descartes finit par refuser
d'avoir encore affaire à « cet Anglois ». Il écrit à Marin Mersenne le 4 mars 1641 une lettre ou il affirme :
« je crois que le meilleur est que je n'ai point du tout de
commerce avec lui, et pour cette fin, que je m'abstienne de lui
répondre ; car, s'il est de l'humeur que je le juge, nous ne saurions
guère conférer ensemble sans devenir ennemis. »
Pour sa part, Hobbes, selon les dires de John Aubrey disait de Descartes :
« S'il s'en était tenu à la géométrie, il aurait été le meilleur géomètre au monde... sa tête n'est pas faite pour la philosophie. »
Après cet épisode, Hobbes reprend ses travaux et publie en 1642 De Cive (« Du citoyen »), où il explique que la solution aux guerres civiles qui secouent l’Angleterre consiste à faire du pouvoir clérical une fonction du gouvernement. Il publiera une édition augmentée de cette œuvre en 1647, au moment où il termine son traité De la nécessité et de la liberté.
En 1647, alors qu'il prévoit de se retirer dans le midi de la France, il est nommé professeur de mathématiques du jeune prince de Galles (le futur Charles II) qui est réfugié en France. Il exerce ces fonctions jusqu'au départ du prince pour la Hollande, en 1648.
En 1650, sont édités contre son gré et séparément, les deux parties des Elements of law natural and politic : la Nature humaine ou les Éléments fondamentaux de la politique, et le De corpore politico. L'année suivante, il regagne enfin l'Angleterre et fait paraître à Londres sa grande œuvre : le Léviathan, qui provoque le scandale. Il est accusé d'athéisme et de déloyauté et rencontre de nombreux adversaires (théologiens et universitaires d'Oxford, tous membres de la Royal Society) qui se liguent contre lui. Il soutient ainsi plusieurs disputes, par exemple avec l'évêque John Bramhall, ou avec les universitaires d'Oxford (accusés fort injustement d'ignorance par Hobbes) d'où sortiront par exemple les Questions relatives à la liberté, à la nécessité et au hasard (1666). Pendant plus d'un quart de siècle, il y eut ainsi attaques, répliques, en physique avec Robert Boyle sur le vide, dans le domaine des mathématiques avec John Wallis sur l'arithmétique et l'infini,
où il apparaît que Hobbes surestimait beaucoup ses découvertes. Ses
énormités mathématiques sont ainsi jugées risibles ou pitoyables.
Néanmoins, il ne renonce pas, et publie en 1655 le De Corpore, première partie des « Éléments de Philosophie » qui contiennent sa philosophie première, sa logique, sa physique et la très controversée démonstration de la quadrature du cercle. En 1658 sort le De homine, troisième partie de sa trilogie, où l'optique occupe une certaine place, et il persiste dans la publication de ses découvertes mathématiques (Quadrature du cercle, cubature de la sphère, duplication du cube, 1669) qui sont réfutées par ses adversaires, en particulier par John Wallis. Il doit également se défendre contre les rumeurs selon lesquelles il aurait écrit le Léviathan pour gagner la faveur d'Oliver Cromwell.
Après le rappel de Charles II, Hobbes est accueilli à la cour et devient le familier du roi. Il reçoit une pension de cent livres.
Mais cette fortune favorable n'est pas de longue durée. Dans
l'entourage du roi, Hobbes compte de nombreux ennemis, et parmi eux des
évêques qui entreprennent de réfuter le corrupteur de la morale.
Le 31 janvier 1667, quelques mois après le Grand incendie de Londres, une loi est votée à la Chambre des communes, permettant de prendre des mesures contre les athées et les sacrilèges ; il y est fait mention du Léviathan. La lenteur des procédures sauve Hobbes, qui prépare un plaidoyer, publié avec la traduction latine du Léviathan en 1668. Mais il a surtout de puissants protecteurs, et le roi le soutient à la condition qu’il ne publie plus de livres de politique ou de religion.
Il compose Béhémoth en 1670, puis un dialogue et une Histoire ecclésiastique, et, en 1672, une autobiographie en distiques latins. À partir de 1675, il passe ses derniers jours hors de Londres, chez ses amis de la famille Devonshire. En août 1679, il prépare encore une œuvre pour l'impression ; mais, en octobre, la paralysie l'en empêche, et le 4 décembre, il meurt à Hardwick.
Sur une plaque de marbre noir, on peut lire :
« vir probus et fama eruditionis domi forisque bene cognitus. »
Selon une anecdote, Hobbes lui-même aurait proposé de graver sur sa tombe :
« Voici la véritable pierre philosophale. »
La controverse avec Descartes se déroule en deux temps ; elle porte d'abord sur la dioptrique de Descartes et lesObjections
de Hobbes. C'est alors une controverse scientifique. Une seconde
controverse s'ouvre sur la nature de la substance, corporelle ou
matérielle, la nature du sujet et les facultés de Dieu lors de la
publication des Méditations métaphysiques. Hobbes prend connaissance de la Méthode dès 1637. Elle lui a été transmise par Kenelm Digby, alors à Paris. Influencé par Walter Warner, Hobbes possède déjà sa propre théorie de la lumière. La polémique sur la dioptrique débute en 1640 alors que Thomas Hobbes a réfléchi depuis dix ans sur la question. Il envoie ses objections à Mersenne sous la forme de deux lettres, que le père minime expédie à Descartes. La polémique s'étend jusqu'en avril 1641. Depuis la publication du Short Tract,
Hobbes est convaincu de la naturelle corporelle de la substance. Il
rejette l'idée "cartésienne" de substance spirituelle. En outre, pour
lui, la sensation (par laquelle nous percevons la lumière par exemple)
n'est pas une pure réception, mais aussi une organisation des données.
Sa théorie de la représentation l'amène donc à s'opposer au
spiritualisme de Descartes.
La querelle philosophique sur les Méditations s'envenime du fait que
les deux philosophes s'accusent mutuellement de vouloir conquérir une
gloire imméritée et se soupçonnent de plagiat. Cette concurrence
bénéficie à l'œuvre de Thomas Hobbes, qui de ce fait radicalise ses
positions et les érige en système à la lecture de Descartes. La querelle
se double probablement d'une difficulté sémantique, esprit et mind ne
recouvrant pas en français et en anglais tout à fait le même champ
lexical. Hobbes, comme Pierre Gassendi range l'imagination parmi les facultés de l'esprit ; Descartes l'exclut, mais surtout, pour Hobbes, la pensée n'est que le mouvement du corps.
Mersenne, qui a transmis les Méditations à Hobbes, renvoie ses
commentaires à Descartes et par prudence préserve son anonymat ; il se
contente de le mentionner comme le "philosophe anglais". Dans ses
Objections, Hobbes reproche à Descartes un glissement sémantique de “je
suis pensant”, à “je suis pensée”. Selon le même raisonnement, “je me
promène” (sum ambulans) deviendrait “je suis une promenade” (sum
ambulatio) affirme-t-il. Cette objection agace Descartes, qui demande explicitement à Mersenne de ne plus avoir de contact avec son "anglois" :
« Au reste, ayant lu à loisir le dernier écrit de l’Anglois,
(...) je me trompe fort, si ce n’est un homme qui cherche d’acquérir de
la réputation à mes dépens, et par de mauvaises pratiques. »
Après quoi, le philosophe de la Haye n'a pas de mots assez durs pour son contradicteur :
« Je ne crois pas devoir jamais plus répondre à ce que vous me
pourriez envoyer de cet homme, que je pense devoir mépriser à l’extrême.
Et je ne me laisse nullement flatter par les louanges que vous me
mandez qu’il me donne ; car je connais qu’il n’en use que pour faire
mieux croire qu’il a raison, en ce où il me reprend et me calomnie . »
La querelle des animaux-machines oppose également les deux
philosophes. Pour Hobbes, l'animal même est doué de sensibilité,
d'affectivité, d'imagination, de prudence. Il partage encore sur ce
point les contestations de Gassendi dont il est très proche;
mais au delà des animaux, cette dispute renvoie en fait à la conception
même de la philosophie de Hobbes. Elle se retrouve dans leLeviathan ; le monstre étatique, mécanique, est lui aussi doué de souveraineté, donc d'une âme artificielle, ce que Descartes n'admet pas, voulant réserver ce concept aux seuls hommes.
Plus fondamentalement, la représentation du monde est au centre de la conception de Hobbes, les questions du cogito
sont, pour Hobbes, des questions préalablement linguistiques. Alors que
pour Descartes, la vérité est son propre signe, la signification
universelle présuppose, pour Hobbes, l'existence d'un espace du langage
et de locuteurs.
Aristote et Descartes constituent à ses yeux les différentes fictions
de l'âme spirituelle. Pour lui, on ne peut faire l'économie d'une
critique historique du langage quand on prétend libérer le cerveau de
ses "fictions".
Dans la seconde section du De corpore, Hobbes fait l'hypothèse que l'univers est anéanti, mais que l'homme subsiste ; sur quoi cet homme pourra philosopher ?
« Je dis qu'à cet homme il restera du monde et de tous les corps que
ses yeux avaient auparavant considérés ou qu'avaient perçus ses autres
sens, les idées, c'est-à-dire la mémoire et l'imagination de leurs
grandeurs, mouvements, sons, couleurs, etc. toutes choses qui, bien que
n'étant que des idées et des fantômes, accidents internes en celui-là
qui imagine, n'en apparaîtront pas moins comme extérieures et comme
indépendantes du pouvoir de l'esprit. »
Ainsi, toutes les qualités des choses qui s'offrent à nos sens sont-elles des états affectifs inhérents au sujet.
Il n'y aurait rien d'absurde, selon Hobbes, à ce qu'un homme éprouve
ces affections une fois que le monde a disparu, après son anéantissement
par Dieu. Dans cette fiction, l'esprit n'agit que sur des images, et c'est à elles qu'il donne des noms. Mais, remarque Hobbes, c'est aussi bien ce qui se produit lorsque le monde existe :
« Que nous calculions les grandeurs du ciel ou de la terre, ou leurs
mouvements, nous ne montons pas dans le ciel, afin de le diviser en
parties et de mesurer ses mouvements ; cela, nous le faisons bien
tranquilles dans notre cabinet ou dans l'obscurité. »
Ces images qui forment l'objet exclusif de nos pensées, peuvent être considérées de deux points de vue : ce sont des accidents internes de l'esprit ou ce sont les espèces des choses extérieures en tant qu'elles paraissent exister. Le premier point de vue concerne la psychologie et les facultés de l'âme ; le second est objectif, puisque ces images de notre imagination composent le monde.
Auteur des Éléments de la loi naturelle et politique en 1640, du Citoyen (De Cive) en 1641 et du Léviathan en 1651, Thomas Hobbes est l'un des premiers philosophes contractualistes
qui tente de refonder la légitimité du pouvoir des dirigeants sur autre
chose que la religion ou la tradition. Son projet est de fonder l'ordre
politique sur un pacte entre les individus, afin de faire de l'homme un
acteur décisif dans l'édification de son propre monde social et
politique. Sa réflexion politique est fondée sur son anthropologie, qui fait de l'homme un être mû principalement par la crainte et le désir. Il doit ainsi sortir de l'état primitif et fonder un état artificiel sur les bases de la raison : c'est le passage de l'état de nature à l'état civil.
Grand penseur de la souveraineté, Hobbes a opéré une révolution copernicienne par rapport à l'aristotélicisme, dominant dans la pensée scolastique,
en faisant de l'état civil un état artificiel, issu du contrat social,
et non un état naturel. Pour cela, il s’est approprié le langage de la
« loi naturelle »,
au sens scolastique, pour défendre une thèse qui synthétise les deux
principales positions qui s’y opposaient (la théorie des droits naturels, issue de Grotius et Pufendorf, et le conventionnalisme humaniste). Ainsi, bien qu'il ait pensé les droits naturels de l'individu, Hobbes s'apparente davantage au positivisme juridique qu'au jusnaturalisme. Jean-Jacques Rousseau
héritera de cette position, ainsi que de plusieurs autres concernant la
souveraineté, refusant, par contre, la théorie de la représentation
(exposée en particulier au chapitre XVI sur la « personne », qui précède immédiatement le chapitre sur l'institution de l'État).
Pour Hobbes, la psychologie est l'étude de la propagation de
mouvements matériels qui agissent sur les dispositifs physiologiques
nerveux et produisent les réactions et les attitudes. Il défend ainsi
une position matérialiste, comparant, dans son introduction au Léviathan, le corps humain à une machine. Concernant l'origine de la connaissance, il défend une position empiriste: toute connaissance provient des sens et de l'expérience (chap. I du Léviathan).
Il s'oppose à la conception traditionnelle du bonheur,
qui en fait un état stationnaire, en l'envisageant de façon dynamique
(chap. XI). Le bonheur, pour lui, ne s'oppose pas à un « désir inquiet
d'acquérir puissances après puissances » (chap. XI), car seule cette
course à la puissance permet de s'assurer que l'on conservera bien son
être et ses biens. Ainsi, le conatus, désir de conservation de soi-même, est immédiatement dynamique.
Selon Hobbes, il n'y a pas de bien et de mal à l'état de nature, mais seulement à l'état civil.
Hobbes est un des premiers à imaginer un état de nature pré-existant à
la société humaine, afin d'y déceler comment les hommes y agiraient
sans puissance commune qui les maintienne en respect.
C'est toutefois un état inventé, non réel. Thomas Hobbes se démarque
ainsi nettement de la tradition politique qui reposait sur Aristote et Thomas d'Aquin, pour qui l'homme est un être naturellement politique.
Thomas Hobbes, qui a longuement médité sur la Politique d'Aristote, s'oppose à la tradition aristotélicienne. Pour Hobbes, l'homme est sociable non par nature, mais par accident. L’état de nature, c’est l’état de la « guerre de tous contre tous » (Bellum omnium contra omnes). Hobbes dira (reprenant Plaute) que « l’homme est un loup pour l’homme » (homo homini lupus).
L’état de nature ne doit pas être compris comme la description d’une
réalité historique, mais comme une fiction théorique. Il n'a peut-être
jamais existé, mais il est une hypothèse philosophique féconde, une
construction de l'esprit qui vise à comprendre ce que nous apporte
l'existence sociale (Léviathan,
XIII). Cet état représente ce que serait l'homme, abstraction faite de
tout pouvoir politique, et par conséquent de toute loi. Dans cet état,
les hommes sont gouvernés par le seul instinct de conservation - que
Hobbes appelle « conatus »
ou désir. Or, à l’état de nature, les hommes sont égaux, ce qui veut
dire qu’ils ont les mêmes passions, les mêmes droits sur toutes choses,
et les mêmes moyens - par ruse ou par alliance - d’y parvenir (Léviathan,
XIII). Chacun désire légitimement ce qui est bon pour lui. Chacun
essaie de se faire du bien et chacun est seul juge des moyens
nécessaires pour y parvenir. C'est pourquoi bien souvent les hommes ont
tendance à entrer en conflit les uns avec les autres pour obtenir ce
qu'ils jugent bon pour eux.
La puissance anarchique de la multitude domine à l'état de nature. Doué de raison,
c’est-à-dire de la faculté de calculer et d’anticiper, l'homme prévoit
le danger, et attaque avant d’être attaqué. L'homme le plus faible
pourrait avec de la ruse l'emporter sur le plus fort (Léviathan,
XIII). Chacun est donc persuadé d'être capable de l'emporter sur autrui
et n'hésite pas à l'attaquer pour lui prendre ses biens. Des alliances
éphémères se nouent pour l'emporter sur un individu. Mais à peine la
victoire est-elle acquise que les vainqueurs se liguent les uns contre
les autres pour bénéficier seuls du butin.
Cette guerre est si atroce que l'humanité risque même de disparaître.
A ceux qui penseraient que cette vision de l'humanité est pessimiste,
Hobbes rétorque que même à l'état social où pourtant existent des lois,
une police, des juges, néanmoins nous fermons à clef nos coffres et nos
maisons de peur d'être détroussés (Léviathan, XIII). Or l'état de
nature est sans loi, sans juge et sans police... C’est l’angoisse de la
mort (la mort violente) qui, résultant de l'égalité naturelle, est
responsable de l’état de guerre et fait peser sur la vie de tous une
menace permanente. Cet état, fondamentalement mauvais, ne permet pas la
prospérité, le commerce, la science, les arts, la société (Léviathan, XIII).
Une humanité livrée à elle-même, sans l'ordre social aurait fini par
disparaître. Ce qui va sauver l'homme c'est sa peur de mourir et son
instinct de conservation. L'homme comprend que pour subsister, il n'y a
pas d'autre solution que de sortir de l'état de nature. Ce sont les
passions d'une part, la raison d'autre part, qui le poussent à sortir de
l'état de nature. Du côté des passions, la peur de la mort, le désir
des choses nécessaires à la vie et l'espoir de les obtenir par son
travail motivent cette sortie hors de l'état de nature; du côté de la
raison, celle-ci « suggère les articles de paix adéquats, sur lesquels
ils se mettront d'accord », que Hobbes appelle « lois de nature » (à ne pas confondre avec le droit naturel).
Cependant, pour Hobbes, cela ne signifie pas qu'il n'y pas de droit
naturel : « le droit naturel est la liberté que chacun a d'user de sa
propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa
propre nature, autrement dit de sa propre vie, c'est celui de préserver
sa propre vie », ce par tous les moyens qu'il juge bon.
Les « lois de nature » (chap. XIV et XV) sont dictées par la raison,
et conduisent à limiter le droit naturel de chacun sur toutes choses. La
première et fondamentale loi de nature est qu'il faut rechercher la
paix et ne rechercher le secours de la guerre que si la première est
impossible à obtenir. Ces lois naturelles sont éternelles et immuables
car elles reposent sur la rationalité. Mais elles doivent être
appliquées par tous. Pour y arriver, dit Hobbes, il est nécessaire de
renoncer à tous ses droits, car rien ne peut garantir l'application par
tous de la loi naturelle. C'est là qu'intervient la théorie du contrat social (Hobbes lui-même n'utilise pas cette expression précise).
Ce qui va fonder a priori l'état civil, c'est un contrat passé entre les individus, qui permet de fonder la souveraineté. Par ce contrat, chacun transfère tous ses droits naturels, à l'exception des droits inaliénables, à une « personne » qui est appelée le Souverain, dépositaire de l'État,
ou « Léviathan ». Chacun devient alors « sujet » de ce Souverain, en
devenant aussi « auteur » de tous les actes du souverain. Par ce
contrat, la multitude des individus est ramenée à l'unité du souverain :
« Le seul moyen d'établir pareille puissance
commune, capable de défendre les humains contre les invasions des
étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres, (...), est de
rassembler toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou une
assemblée d'hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes
leurs volontés à une seule volonté; ce qui revient à dire : désigner un
homme, ou une assemblée d'hommes, pour porter leur personne ; et chacun
fait sienne et reconnaît être lui-même l'auteur de toute action
accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de
ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même,
tous et chacun d'eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs
jugements à son jugement. C'est plus que le consentement ou la
concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même
personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière
que c'est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j'autorise
cet homme ou cette assemblée d'hommes, et je lui abandonne mon droit de
me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton
droit et autorises toutes ses actions de la même manière. »
Le contrat est plus qu'un simple consentement, car il vise à
instaurer une « puissance commune » capable de tenir chacun en respect,
en imposant le respect des conventions par la crainte du châtiment et de la sanction
pénale. Chacun contracte avec chacun en vue de transférer ses droits à
un Souverain qui les détiendra tous. Les seuls droits inaliénables sont
ceux qui visent à protéger sa vie: on ne peut aliéner « le droit de résister
à ceux qui vous agressent pour vous ôter la vie », non plus qu'à
résister à ceux qui veulent vous emprisonner ou vous mettre dans les
fers (chap. XIV).
De par sa puissance, le Souverain est ainsi la garantie que les
hommes ne retomberont pas dans l'anarchie de l'état de nature ; et il
mettra en application ce pour quoi il a été fait en promulguant des lois civiles auxquelles tous doivent se soumettre « De
même que pour parvenir à la paix et grâce à celle-ci à leur propre
conservation, les humains ont fabriqué un homme artificiel, que nous
appelons un état, de même ils ont fabriqué des chaînes artificielles
appelées lois civiles ». Le Souverain a donc pour fin la conservation des individus.
Or, « la loi de nature et la loi civile se contiennent l'une l'autre
et sont d'égale étendue » (chap. XXVI): c'est en effet la puissance
souveraine qui, par la contrainte, permet de faire des lois de nature
des véritables lois ; auparavant, ce ne sont que « des qualités qui
disposent les humains à la paix et à l'obéissance » (chap. XXVI). Ainsi,
c'est le droit positif qui, rassemblant lois de nature et lois civiles,
dicte ce qui est le juste et l'injuste, le bien et le mal, lesquels
n'existent pas à l'état de nature (chap. XIII et XXVI). Pour cette
raison, Hobbes est considéré comme fondateur du positivisme juridique, par contraste avec les tenants du jusnaturalisme. Il partage aussi ce qu'on pourrait appeler, selon les termes de John Austin, une théorie du droit
en tant que commandement appuyé par la menace d'une sanction; la loi
est l'expression de la volonté du souverain en ce qui concerne le juste
et l'injuste (right et wrong) (XXVI).
Enfin, bien que Hobbes a souvent été présenté comme un penseur légitimant la monarchie absolue, et qu'il fait en effet l'éloge de la monarchie par rapport à l'aristocratie ou à la démocratie
(chap. XIX), il a toutefois aussi théorisé des limites au pouvoir. Il
précise d'abord que « la différence entre ces trois types d'Etat
[monarchie, aristocratie et démocratie] ne consiste pas en une
différence quant à la puissance, mais en une différence quant à la
capacité ou aptitude à procurer la paix et la sécurité au peuple »
(chap. XIX). Quel que soit le régime politique, la souveraineté a la même puissance.
D'autre part, les limites au pouvoir sont de deux types: celles qui
proviennent des droits naturels inaliénables, et celles qui proviennent
des lois naturelles (décrites au chap. XIV et XV). Hobbes distingue le droit,
qui consiste en « la liberté de faire ou de ne pas faire » (liberté
qu'il définit elle-même par « l'absence d'entraves extérieures »), de la
loi, qui « détermine et contraint dans un sens ou dans l'autre,
en sorte que la loi et le droit diffèrent autant que l'obligation et la
liberté, et se contredisent s'ils sont appliqués à un même objet »
(chap. XIV). Il distingue ensuite entre la liberté naturelle, qui ne
s'oppose pas à la nécessité (ni à la peur) et qui consiste à n'empêcher de faire ce que l'on veut faire, et la « liberté des sujets », ou liberté civile (chap. XXI).
La liberté civile réside uniquement dans le « silence de la loi »:
c'est la liberté de faire tout ce que la loi n'interdit pas (chap.
XXI). Mais les lois elles-mêmes sont limitées par le « droit naturel »,
c'est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun (conception proche de
celle de Spinoza).
Ainsi nul n'a d'obligation de se soumettre à l'emprisonnement ou à la
peine de mort (chap. XXI): en ce cas, chacun a la « liberté de désobéir »
et le droit de résister par la force. « Nul n'est contraint », non
plus, « de s'accuser soi-même » (chap. XXI, et XIV). Les lois naturelles
(qui sont contenues dans les lois civiles et ont la même extension, cf.
XXI) empêchent non seulement de s'accuser soi-même, mais prohibent
aussi l'usage de témoignage obtenus sous la torture (XXI). Enfin, dans le chapitre sur les crimes
et les châtiments (XXVII et XVIII), Hobbes laisse une place à quelques
principes qui font aujourd'hui partie de ce qu'on appelle l'« État de droit » : principe de connaissance de la loi; principe de non-rétroactivité;
si la peine est plus grande que ce que la loi a prescrit, il ne s'agit
plus d'un châtiment, mais d'un acte d'hostilité; de même, en cas de détention préventive, « tout mal subi par celui qui est dans les fers ou entravé, au-delà de ce qui est nécessaire pour le garder à vue,
et avant que sa cause ne soit entendue, est contraire à la loi de
nature » (chap. XXVIII); la punition des sujets innocents est aussi
contraire à la loi de nature (XXVIII). De façon générale, toute peine
qui ne vise pas à favoriser l'obéissance des sujets n'est pas une peine, mais un acte d'hostilité (la vengeance,
par exemple, ne peut pas être une sanction pénale; chap. XVIII). Et
tout acte d'hostilité conduit à légitimer la résistance des sujets, qui
deviennent de facto ennemis de l'Etat.
Le pouvoir Souverain, qui décide des lois, des récompenses ou des
punitions, en vue de la conservation de chacun et de permettre à chacun
de conserver sa propriété privée et de contracter avec d'autres
individus, auquel tous les individus sont soumis, reste toutefois
fragile : le Leviathan est un "dieu mortel". Les causes de dissolution sont les suivantes :
L'imperfection de leurs institutions
l'absence de pouvoir vraiment absolu
le jugement privé de chacun sur ce qui est bon ou mal
des mauvais préjugés contre le pouvoir
prétendre être inspiré divinement
l'assujetissement de la puissance souveraine aux lois civiles
l'attribution à des sujets d'une propriété absolue
la guerre avec les nations voisines
l'émancipation du religieux de la sphère publique
Hobbes a entièrement conscience du problème théologico-politique,
c'est-à-dire des problèmes et des interférences souvent néfastes entre
la sphère religieuse (chrétienne) et la sphère politique. Notamment
parce qu'il a connu lui-même les guerres de religion en Angleterre.
C'est ainsi qu'il consacre pratiquement la moitié de son oeuvre
politique à la question religieuse.
Le pouvoir ecclésiastique n'est que le pouvoir d'enseigner.
Il ne peut donc pas se permettre d'imposer des règles de lui-même aux
individus. C'est la religion catholique qui est clairement visée par
Hobbes, car elle est une sphère de pouvoir autonome et crée une dualité
entre le pouvoir souverain civil et le pouvoir ecclésiastique, entre le
pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Hobbes résout le problème en
subordonnant le pouvoir religieux au pouvoir politique. Ainsi c'est le Souverain qui doit décider des questions religieuses et tous doivent lui obéir« Dieu parle par ses vices-dieux - ou lieutenants -ici sur terre, c'est-à-dire par les rois souverains ».
De plus, puisque le Souverain est institué par la volonté de tous, et
doit faire respecter les lois de nature, qui sont de Dieu, il n'y a pas
d'opposition flagrante.
Hobbes est encore très présent aujourd'hui. On peut même l'opposer à
Rousseau dans les conflits politiques liés à l'application de la
souveraineté démocratique. Il est reconnu comme étant le penseur d'une
bourgeoisie éclairée de pouvoir, puisque amené à résumer parfois les
contraintes politiques ainsi : faire le bien de la société civile
parfois malgré elle. Si l'homme emboîté dans les contraintes des
destinées communes vient à protester contre ceux qui les commandent, il
faudra juger de la recevabilité de ses griefs au regard des impératifs
devant mener au développement de la société chaque jour renouvelée.
Textes et traductions
A short tract on First Principles, (1630), British Museum, Harleian MS 6796, ff. 297-308
Court traité des premiers principes, textes, traduction et commentaire par J. Bernhardt, Paris, PUF, 1988.
De principiis, (1638-1639), National Library of Wales,
Aberystwyth, MS 5297 ; publié par J. Jacquot et H.W. Jones en Appendice
II de la Critique du « De Mundo » de Thomas White, 449-460 ; « De
principiis. Notes de Herbert de Cherbury sur une version ancienne de De
Corpore », traduction, introduction et notes par L. Borot, in
Philosophie, n°23, été 1989, 3-21.
The Elements of Law Natural and Politic. (1640), EW IV 1-228
Éléments de loi, traduction d'Arnaud Milanese, Paris, Allia, 2006, 345 p., avec notes bibliographiques, bibliographie et glossaire(ISBN 2-84485-194-0) (publié avec Sur la vie et l'histoire de Thucydide, Court traité des premiers principes et De Corpore à l'époque des Elements of law).
Tractatus opticus I, (1640, publié en 1644 par Mersenne dans ses Cogita physico-mathematica), OL V, 217-248.
Objectiones ad Cartesii meditationes, Objectiones tertiae, (1641), in Œuvres de Descartes,AT, IX-1, 133-152 et OL V, 249-274.
De Cive (1642-1647), édition critique par H. Warrender, original latin et traduction anglaise, Oxford, Clarendon Press, 1983.
Critique du « De Mundo » de Thomas White, (1643, introduction, texte critique et notes par J. Jacquot et H.W. Jones, Paris, Vrin-CNRS, 1973.
Logica, Ex T.H. et Philosophia prima. Ex T.H. (1644-1645), Chatsworth MS A. 10, publié par J. Jacquot et H.W. Jones en Appendice III de laCritique du « De Mundo » de Thomas White, 461-513.
Of Liberty and Necessity, (1645, publié sans l’accord de Hobbes en 1654), EW IV, 229-278 ; De la liberté et de la nécessité, traduction et notes par F. Lessay, in Ouvres traduites, T. XI-1, Paris, Vrin, 1993, 29-118.
Human Nature, or the Fundamental Elements of Policy. Being a
discovery of the faculties, acts and passions of the soul of man, from
their original causes, according to such philosophical principles as are
not commonly known or asserted (1650)
De la Nature Humaine,
ou Exposition des facultés, des actions & des passions de l'âme,
& de leurs causes déduites d'après des principes philosophiques qui
ne sont communément ni reçus ni connus. (1772) Londres, traduit par le Baron d'Holbach. (1971) Paris, Vrin.
De Corpore Politico or the Elements of Law Moral and Politick,
with discouses upon several Heads as : of the law of nature, of oaths
and covenants ; of several kinds of government, with the changes and
revolutions of them. (1650)
Léviathan (1651, en anglais), édition de C.B. Macpherson, Pelican Classics, Penguin Books, 1968, 1981 ; (1668 en latin), OL III ; Leviathan,
introduction, traduction et notes par F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971 ou
encore la traduction de M. Pécharman sur base de celle de F. Tricaud
aux éditions Vrin, « Bibliothèque des Textes Philosophiques ». 560 p.,
13,5 × 21,5 cm. ISBN : 978-2-7116-1744-9; traduction Gérard Mairet aux éd. Gallimard, 2000.
De Corpore, (1655), OL I Nous citons ce texte d’après notre traduction.
The questions concerning Liverty, Necessity and Chance, (1656), EW V 1-455.
Six Lessons to the Professors of the Mathematics (1656), EW VII, 181-356.
De Homine (1658), OL II, 1-32 ; Traité de l’homme, traduction et commentaire par P.M. Maurin, Paris, Blanchard, 1974.
Examinatio et emendatio mathematicae hodiernae, (1660), OL IV, 1-232.
Belemoth, or the Long Parliament, (1660-1668 publié à titre posthume en 1682), éd. T. Tönnies, revue par M.M. Goldsmith, Londres, F. Cass, 1969
Béhémoth ou le long parlement, introduction, traduction et notes par L. Borot, Œuvres traduites, T. IX, Paris, Vrin, 1990.
Historia ecclesiastica carmine elegiaco concinnata (1660, publié à titre posthume en 1688), OL V, 341-408.
Dialogus physicus de natura aeris, (1661), OL V, 341-408.
A Dialogue between a Philosopher and a Student of the Common Laws of England (1666), édition critique par J. Cropsey, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1971
Dialogue entre un philosophe et un légiste des common-laws d’Angleterre, introduction, traduction et notes par L. et P. Carrive, Œuvres traduites, T.X. Paris, Vrin, 1990.
An Historical Narration concerning Heresy, and the Punishment thereof, (1666), EW IV 385-408
Relation historique touchant l’hérésie et son châtiment, introduction, traduction et notes par F. Lessay, in Hérésie et histoire, Œuvres traduites. T. XII-1, Paris, Vrin, 1993, 17-55.
An Answer to a Book Published by Dr. Bramhall, late Bishop of Derryn Called the « Catching of the Leviathan », (1667/8, publié à titre posthume en 1682), EW IV, 279-384 .
Réponse à un livre publié par le Docteur Bramhall, feu évêque de Derry, intitulé « La capture de Léviathan », introduction, traduction et notes par F. Lessay, in De la liberté et de la nécessité, Œuvres traduites, T. XI-1, Paris, Vrin, 1993, 121-261.