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Sur la base de son expérience clinique avec les névrosés, Freud analyse ses propres rêves et va fonder sur cette étude sa conception de l'inconscient. Pour Freud, l'inconscient est constitué des contenus de la sexualité infantile refoulés sous la pression de la censure sociale; ces contenus refoulés, investis d'énergie pulsionnelle, tentent d'émerger mais, en raison des exigences de la conscience, ils ne peuvent le faire que sous forme déguisée, après avoir " formé des compromis ".
Le rêve résulte de l'un de ces compromis, quotidien et normal le seul que l'homme sain puisse former. Il est une voie royale d'accès à l'inconscient puisqu'en démontant les déformations que le psychisme imprime sur les contenus inconscients, le psychanalyste peut espérer approcher ces contenus et connaître l'inconscient. Ces déformations constituent le " travail de rêve ", qui permet de passer du contenu latent au contenu manifeste, grâce à des mécanismes tels le déplacement et la condensation. L'étude minutieuse de ces procédures de travail du rêve constitue la partie la plus conséquente de L'Interprétation des rêves, dans laquelle Freud élabore une véritable logique de l'imaginaire, qu'il étend d'ailleurs à d'autres formes symboliques que le rêve.
Après un exposé très complet et précieux de l'ensemble de la littérature sur le rêve, le père de la psychanalyse en vient à la description des matériaux de ces déguisements : les souvenirs récents (restes diurnes) ; le matériel somatique, parmi lesquels le désir de dormir; les souvenirs du passé d'enfant et un ensemble de symboles plus ou moins universels (qui représentent surtout des contenus sexuels) sur lequel la vulgate freudienne, contrairement à Freud, a mis l'accent.
Le rêve est donc ici un message envoyé au dormeur par une force intérieure à celui-ci. Comme chez les romantiques, le rêve est l'occasion de renouer avec la totalité de l'être, mais cet être est uniquement l'auteur de lui-même et tout se joue au-dedans de lui.
Cet ouvrage est un véritable monument dans l'histoire des conceptions du rêve, très agréable à lire parce qu'il comporte de nombreux récits de songes à côté de considérations assez ardues. Mais mieux vaut lire l'oeuvre elle-même que ses commentateurs qui, bien souvent, n'y ont trouvé que ce qu'ils y ont mis.
Le rêve résulte de l'un de ces compromis, quotidien et normal le seul que l'homme sain puisse former. Il est une voie royale d'accès à l'inconscient puisqu'en démontant les déformations que le psychisme imprime sur les contenus inconscients, le psychanalyste peut espérer approcher ces contenus et connaître l'inconscient. Ces déformations constituent le " travail de rêve ", qui permet de passer du contenu latent au contenu manifeste, grâce à des mécanismes tels le déplacement et la condensation. L'étude minutieuse de ces procédures de travail du rêve constitue la partie la plus conséquente de L'Interprétation des rêves, dans laquelle Freud élabore une véritable logique de l'imaginaire, qu'il étend d'ailleurs à d'autres formes symboliques que le rêve.
Après un exposé très complet et précieux de l'ensemble de la littérature sur le rêve, le père de la psychanalyse en vient à la description des matériaux de ces déguisements : les souvenirs récents (restes diurnes) ; le matériel somatique, parmi lesquels le désir de dormir; les souvenirs du passé d'enfant et un ensemble de symboles plus ou moins universels (qui représentent surtout des contenus sexuels) sur lequel la vulgate freudienne, contrairement à Freud, a mis l'accent.
Le rêve est donc ici un message envoyé au dormeur par une force intérieure à celui-ci. Comme chez les romantiques, le rêve est l'occasion de renouer avec la totalité de l'être, mais cet être est uniquement l'auteur de lui-même et tout se joue au-dedans de lui.
Cet ouvrage est un véritable monument dans l'histoire des conceptions du rêve, très agréable à lire parce qu'il comporte de nombreux récits de songes à côté de considérations assez ardues. Mais mieux vaut lire l'oeuvre elle-même que ses commentateurs qui, bien souvent, n'y ont trouvé que ce qu'ils y ont mis.
Introduction à la psychanalyse
Traduction Samuel Jankélévitch.
Payot, 1923 (pp. 165-187).
Payot, 1923 (pp. 165-187).
Chapitre X. — LE SYMBOLISME DANS LE RÊVE
Nous avons trouvé que la déformation qui nous empêche de comprendre le rêve est l’effet d’une censure exerçant son activité contre les désirs inacceptables, inconscients. Mais nous n’avons naturellement pas affirmé que la censure soit le seul facteur produisant la déformation, et l’étude plus approfondie du rêve nous permet en effet de constater que d’autres facteurs prennent part, à côté de la censure, à la production de ce phénomène. Ceci, disions-nous, est tellement vrai qu’alors même que la censure serait totalement éliminée, notre intelligence du rêve ne s’en trouverait nullement facilitée, et le rêve manifeste ne coïnciderait pas alors davantage avec les idées latentes du rêve.
C’est en tenant compte d’une lacune de notre technique que nous parvenons à découvrir ces autres facteurs qui contribuent à obscurcir et à déformer les rêves. Je vous ai déjà accordé que chez les sujets analysés les éléments particuliers d’un rêve n’éveillent parfois aucune idée. Certes, ce fait est moins fréquent que les sujets ne l’affirment ; dans beaucoup de cas on fait surgir des idées à force de persévérance et d’insistance. Mais il n’en reste pas moins que dans certains cas l’association se trouve en défaut ou, lorsqu’on provoque son fonctionnement, ne donne pas ce qu’on en attendait. Lorsque ce fait se produit au cours d’un traitement psychanalytique, il acquiert une importance particulière dont nous n’avons pas à nous occuper ici. Mais il se produit aussi lors de l’interprétation de rêves de personnes normales ou de celle de nos propres rêves. Dans les cas de ce genre, lorsqu’on a acquis l’assurance que toute insistance est inutile, on finit par découvrir que cet accident indésirable se produit régulièrement à propos de certains éléments déterminés du rêve. On se rend compte alors qu’il s’agit, non d’une insuffisance accidentelle ou exceptionnelle de la technique, mais d’un fait régi par certaines lois.
En présence de ce fait, on éprouve la tentation d’interpréter soi-même ces éléments « muets » du rêve, d’en effectuer la traduction par ses propres moyens. On a l’impression d’obtenir un sens satisfaisant chaque fois qu’on se fie à pareille interprétation, alors que le rêve reste dépourvu de sens et de cohésion, tant qu’on ne se décide pas à entreprendre ce travail. À mesure que celui-ci s’applique à des cas de plus en plus nombreux, à la condition qu’ils soient analogues, notre tentative, d’abord timide, devient de plus en plus assurée.
Je vous expose tout cela d’une façon quelque peu schématique, mais l’enseignement admet les exposés de ce genre lorsqu’ils simplifient la question sans la déformer.
En procédant comme nous venons de le dire, ou obtient, pour une série d’éléments de rêves, des traductions constantes, tout à fait semblables à celles que nos « livres des songes » populaires donnent pour toutes les choses qui se présentent dans les rêves. J’espère, soit dit en passant, que vous n’avez pas oublié qu’avec notre technique de l’association on n’obtient jamais des traductions constantes des éléments de rêves.
Vous allez me dire que ce mode d’interprétation vous semble encore plus incertain et plus sujet à critique que celui à l’aide d’idées librement pensées. Mais là intervient un autre détail. Lorsque, à la suite d’expériences répétées, on a réussi à réunir un nombre assez considérable de ces traductions constantes, on s’aperçoit qu’il s’agit là d’interprétations qu’on aurait pu obtenir en se basant uniquement sur ce qu’on sait soi-même et que pour les comprendre on n’avait pas besoin de recourir aux souvenirs du rêveur. Nous verrons dans la suite de cet exposé d’où nous vient la connaissance de leur signification.
Nous donnons à ce rapport constant entre l’élément d’un rêve et sa traduction le nom de symbolique, l’élément lui-même étant un symbole de la pensée inconsciente du rêve. Vous vous souvenez sans doute qu’en examinant précédemment les rapports existant entre les éléments des rêves et leurs substrats, j’avais établi que l’élément d’un rêve petit être à son substrat ce qu’une partie est au tout, qu’il peut être aussi nue allusion à ce substrat ou sa représentation figurée. En plus de ces trois genres de rapports, j’en avais alors annoncé un quatrième que je n’avais pas nommé. C’était justement le rapport symbolique, celui que nous introduisons ici. Des discussions très intéressantes s’y rattachent dont nous allons nous occuper avant d’exposer nos observations plus spécialement symboliques. Le symbolisme constitue peut-être le chapitre le plus remarquable de la théorie des rêves.
Disons avant tout qu’en tant que traductions permanentes, les symboles réalisent dans une certaine mesure l’idéal de l’ancienne et populaire interprétation des rêves, idéal dont notre technique nous a considérablement éloignés.
Ils nous permettent, dans certaines circonstances, d’interpréter un rêve sans interroger le rêveur qui d’ailleurs ne saurait rien ajouter au symbole. Lorsqu’on connaît les symboles usuels des rêves, la personnalité du rêveur, les circonstances dans lesquelles il vit et les impressions à la suite desquelles le rêve est survenu, on est souvent en état d’interpréter un rêve sans aucune difficulté, de le traduire, pour ainsi dire, à livre ouvert. Un pareil tour de force est fait pour flatter l’interprète et en imposer au rêveur ; il constitue un délassement bienfaisant du pénible travail que comporte l’interrogation du rêveur. Mais ne vous laissez pas séduire par cette facilité. Notre tâche ne consiste pas à exécuter des tours de force. La technique qui repose sur la connaissance des symboles ne remplace pas celle qui repose sur l’association et ne peut se mesurer avec elle. Elle ne fait que compléter cette dernière et lui fournir des données utilisables. Mais en ce qui concerne la connaissance de la situation psychique du rêveur, sachez que les rêves que vous avez à interpréter ne sont pas toujours ceux de personnes que vous connaissez bien, que vous n’êtes généralement pas au courant des événements du jour qui ont pu provoquer le rêve et que ce sont les idées et souvenirs du sujet analysé qui vous fournissent la connaissance de ce qu’on appelle la situation psychique.
Il est en outre tout à fait singulier, même au point de vue des connexions dont il sera question plus tard, que la conception symbolique des rapports entre le rêve et l’inconscient se soit heurtée à une résistance des plus acharnées. Même des personnes réfléchies et autorisées, qui n’avaient à formuler contre la psychanalyse aucune objection de principe, ont refusé de la suivre dans cette voie. Et cette attitude est d’autant plus singulière que le symbolisme n’est pas une caractéristique propre au rêve seulement et que sa découverte n’est pas l’œuvre de la psychanalyse qui a cependant fait par ailleurs beaucoup d’autres découvertes retentissantes. Si l’on veut à tout prix placer dans les temps modernes la découverte du symbolisme dans les rêves, on doit considérer comme son auteur le philosophe K.-A. Scherner (1861). La psychanalyse a fourni une confirmation à la manière de voir de Scherner, en lui faisant d’ailleurs subir de profondes modifications.
Et maintenant vous voudrez sans doute apprendre quelque chose sur la nature du symbolisme dans les rêves et en avoir quelques exemples. Je vous ferai volontiers part de ce que je sais sur ce sujet, tout en vous prévenant que ce phénomène ne nous est pas encore aussi compréhensible que nous le voudrions.
L’essence du rapport symbolique consiste dans une comparaison. Mais il ne suffit pas d’une comparaison quelconque pour que ce rapport soit établi. Nous soupçonnons que la comparaison requiert certaines conditions, sans pouvoir dire de quel genre sont ces conditions. Tout ce qui peut servir de comparaison avec un objet ou un processus n’apparaît pas dans le rêve comme un symbole de cet objet ou processus. D’autre part, le rêve, loin de symboliser sans choix, ne choisit à cet effet que certains éléments des idées latentes du rêve. Le symbolisme se trouve ainsi limité de chaque côté. On doit convenir également que la notion de symbole ne se trouve pas encore nettement délimitée, qu’elle se confond souvent avec celles de substitution, de représentation, etc., qu’elle se rapproche même de celle d’allusion. Dans certains symboles, la comparaison qui sert de base est évidente. Mais il en est d’autres à propos desquels nous sommes obligés de nous demander où il faut chercher le facteur commun, letertium comparationis de la comparaison présumée. Une réflexion plus approfondie nous permettra parfois de découvrir ce facteur commun qui, dans d’autres cas, restera réellement caché. En outre, si le symbole est une comparaison, il est singulier que l’association ne nous fasse pas découvrir cette comparaison, que le rêveur lui-même ne la connaisse pas et s’en serve sans rien savoir à son sujet ; plus que cela : que le rêveur ne se montre nullement disposé à reconnaître cette comparaison lorsqu’elle est mise sous ses yeux. Vous voyez ainsi que le rapport symbolique est une comparaison d’un genre tout particulier et dont les raisons nous échappent encore. Peut-être trouverons-nous plus tard quelques indices relatifs à cet inconnu.
Les objets qui trouvent dans le rêve une représentation symbolique sont peu nombreux. Le corps humain, dans son ensemble, les parents, enfants, frères, sœurs, la naissance, la mort, la nudité, — et quelque chose de plus. C’est la maison qui constitue la seule représentation typique, c’est-à-dire régulière, de l’ensemble de la personne humaine. Ce fait a été reconnu déjà par Scherner qui voulait lui attribuer une importance de premier ordre, à tort selon nous. On se voit souvent en rêve glisser le long de façades de maisons, en éprouvant pendant cette descente une sensation tantôt de plaisir, tantôt d’angoisse. Les maisons aux murs lisses sont des hommes ; celles qui présentent des saillies et des balcons, auxquels on peut s’accrocher, sont des femmes. Les parents ont pour symboles l’empereur et l’impératrice, le roi et la reine ou d’autres personnages éminents : c’est ainsi que les rêves où figurent les parents évoluent dans une atmosphère de piété. Moins tendres sont les rêves où figurent des enfants, des frères ou sœurs, lesquels ont pour symboles de petits animaux, la vermine. La naissance est presque toujours représentée par une action dont l’eau est le principal facteur : on rêve soit qu’on se jette à l’eau ou qu’on en sort, soit qu’on retire une personne de l’eau ou qu’on en est retiré par elle, autrement dit qu’il existe entre cette personne et le rêveur une relation maternelle. La mort imminente est remplacée dans le rêve par le départ, par un voyage en chemin de fer la mort réalisée par certains présages obscurs, sinistres la nudité par des habits et uniformes. Vous voyez que nous sommes pour ainsi dire à cheval sur les deux genres de représentations : les symboles et les allusions.
En sortant de cette énumération plutôt maigre, nous abordons un domaine dont les objets et contenus sont représentés par un symbolisme extraordinairement riche et varié. C’est le domaine de la vie sexuelle, des organes génitaux, des actes sexuels, des relations sexuelles. La majeure partie des symboles dans le rêve sont des symboles sexuels. Mais ici nous nous trouvons en présence d’une disproportion remarquable. Alors que les contenus à désigner sont peu nombreux, les symboles qui les désignent le sont extraordinairement, de sorte que chaque objet peut être exprimé par des symboles nombreux, ayant tous à peu près la même valeur. Mais au cours de l’interprétation, on éprouve une surprise désagréable. Contrairement aux représentations des rêves qui, elles, sont très variées, les interprétations des symboles sont on ne peut plus monotones. C’est là un fait qui déplaît à tous ceux qui ont l’occasion de le constater. Mais qu’y faire ?
Comme c’est la première fois qu’il sera question, dans cet entretien, de contenus de la vie sexuelle, je dois vous dire comment j’entends traiter ce sujet. La psychanalyse n’a aucune raison de parler à mots couverts ou de se contenter d’allusions, elle n’éprouve aucune honte à s’occuper de cet important sujet, elle trouve correct et convenable d’appeler les choses par leur nom et considère que c’est là le meilleur moyen de se préserver contre des arrière-pensées troublantes. Le fait qu’on se trouve à parler devant un auditoire composé de représentants des deux sexes ne change rien à l’affaire. De même qu’il n’y a pas de science ad usum delphini, il ne doit pas y en avoir une à l’usage des jeunes filles naïves, et les dames que j’aperçois ici ont sans doute voulu marquer par leur présence qu’elles veulent être traitées, sous le rapport de la science, à l’égal des hommes.
Le rêve possède donc, pour les organes sexuels de l’homme, une foule de représentations qu’on peut appeler symboliques et dans lesquelles le facteur commun de la comparaison est le plus souvent évident. Pour l’appareil génita1 de l’homme, dans son ensemble, c’est surtout le nombre sacré 3 qui présente une importance symbolique. La partie principale, et pour les deux sexes la plus intéressante, de l’appareil génital de l’homme, la verge, trouve d’abord ses substitutions symboliques dans des objets qui lui ressemblent par la forme, à savoir : cannes, parapluies, tiges, arbres, etc. ; ensuite dans des objets qui ont en commun avec la verge de pouvoir pénétrer à l’intérieur d’un corps et causer des blessures : armes pointues de toutes sortes, telles que couteaux, poignards, lames, sabres, ou encore armes à feu, telles que fusils, pistolets et, plus particulièrement, l’arme qui par sa forme se prête tout spécialement à cette comparaison, c’est-à-dire le revolver. Dans les cauchemars des jeunes filles la poursuite par un homme armé d’un couteau ou d’une arme à feu joue un grand rôle. C’est là peut-être le cas le plus fréquent du symbolisme des rêves, et son interprétation ne présente aucune difficulté. Non moins compréhensible est la représentation du membre masculin par des objets d’où s’échappe un liquide : robinets à eau, aiguières, sources jaillissantes, et par d’autres qui sont susceptibles de s’allonger tels que lampes à suspension, crayons à coulisse, etc. Le fait que les crayons, ! es porte-plumes, les limes à ongles, les marteaux et autres instruments sont incontestablement des représentations symboliques de l’organe sexuel masculin tient à son tour à une conception facilement compréhensible de cet organe.
La remarquable propriété que possède celui-ci de pouvoir se redresser contre la pesanteur, propriété qui forme une partie du phénomène de l’érection, a créé la représentation symbolique à l’aide de ballons, d’avions et même de dirigeables Zeppelin. Mais le rêve connaît encore un autre moyen, beaucoup plus expressif, de symboliser l’érection. Il fait de l’organe sexuel l’essence même de la personne et fait voler celle-ci tout entière. Ne trouvez pas étonnant si je vous dis que les rêves souvent si beaux que nous connaissons tous et dans lesquels le vol joue un rôle si important doivent être interprétés comme ayant pour base une excitation sexuelle générale, le phénomène de l’érection. Parmi les psychanalystes, c’est P. Federn qui a établi cette interprétation à l’aide de preuves irréfutables, mais même un expérimentateur aussi impartial, aussi étranger et peut-être même aussi ignorant de la psychanalyse que Mourly-Vold est arrivé aux mêmes conclusions, à la suite de ses expériences qui consistaient à donner aux bras et aux jambes, pendant le sommeil, des positions artificielles. Ne m’objectez pas le fait que des femmes peuvent également rêver qu’elles volent. Rappelez-vous plutôt que nos rêves veulent être des réalisations de désirs et que le désir, conscient ou inconscient, d’être un homme est très fréquent chez la femme. Et ceux d’entre vous qui sont plus ou moins versés dans l’anatomie ne trouveront rien d’étonnant à ce que la femme soit à même de réaliser ce désir à l’aide des mêmes sensations que celles éprouvées par l’homme. La femme possède en effet dans son appareil génital un petit membre semblable à la verge de l’homme, et ce petit membre, le clitoris, joue dans l’enfance et dans l’âge qui précède les rapports sexuels le même rôle que le pénis masculin.
Parmi les symboles sexuels masculins moins compréhensibles, nous citerons les reptiles et les poissons, mais surtout le fameux symbole du serpent. Pourquoi le chapeau et le manteau ont-ils reçu la même application ? C’est ce qu’il n’est pas facile de deviner, mais leur signification symbolique est incontestable. On peut enfin se demander si la substitution à l’organe sexuel masculin d’un autre membre tel que le pied oit la main, doit également être considérée comme symbolique. Je crois qu’en considérant l’ensemble du rêve et en tenant compte des organes correspondants de la femme, on sera le plus souvent obligé d’admettre cette signification.
L’appareil génital de la femme est représenté symboliquement par tous les objets dont la caractéristique consiste en ce qu’ils circonscrivent une cavité dans laquelle quelque chose peut être logé : mines, fosses, cavernes, vases et bouteilles, boîtes de toutes formes, coffres, caisses, poches, etc. Le bateau fait également partie de cette série. Certains symboles tels qu’armoires, fours et surtout chambres se rapportent à l’utérus plutôt qu’à l’appareil sexuel proprement dit. Le symbole chambre touche ici à celui de maison, porte et portail devenant à leur tour des symboles désignant l’accès de l’orifice sexuel. Ont encore une signification symbolique certains matériaux, tels que le bois et le papier, ainsi que les objets faits avec ces matériaux, tels que table et livre. Parmi les animaux, les escargots et les coquillages sont incontestablement des symboles féminins. Citons encore, parmi les organes du corps, la bouche comme symbole de l’orifice génital et, parmi les édifices, l’église et la chapelle. Ainsi vous le voyez, tous ces symboles ne sont pas également intelligibles.
On doit considérer comme faisant partie de l’appareil génital les seins qui, de même que les autres hémisphères, plus grandes, du corps féminin, trouvent leur représentation symbolique dans les pommes, les pêches, les fruits en général. Les poils qui garnissent l’appareil génital chez les deux sexes sont décrits par le rêve sous l’aspect d’une forêt, d’un bosquet. La topographie compliquée de l’appareil génital de la femme fait qu’on se le représente souvent comme un paysage, avec rocher, forêt, eau, alors que l’imposant mécanisme de l’appareil génital de l’homme est symbolisé sous la forme de toutes sortes de machines compliquées, difficiles à décrire.
Un autre symbole intéressant de l’appareil génital de la femme est représenté par le coffret à bijoux ; bijou et trésor sont les caresses qu’on adresse, même dans le rêve, à la personne aimée ; les sucreries servent souvent à symboliser la jouissance sexuelle. La satisfaction sexuelle obtenue sans le concours d’une personne du sexe opposé est symbolisée par toutes sortes de jeux, entre autres par le jeu de piano. Le glissement, la descente brusque, l’arrachage d’une branche sont des représentations finement symboliques de l’onanisme. Nous avons encore une représentation particulièrement remarquable dans la chute d’une dent, dans l’extraction d’une dent : ce symbole signifie certainement la castration, envisagée comme une punition pour les pratiques contre nature. Les symboles destinés à représenter plus particulièrement les rapports sexuels sont moins nombreux dans les rêves qu’on ne l’aurait cru d’après les communications que nous possédons. On peut citer, comme se rapportant à cette catégorie, des activités rythmiques telles que la danse, l’équitation, l’ascension, ainsi que des accidents violents, comme par exemple le fait d’être écrasé par une voiture. Ajoutons encore certaines activités manuelles et, naturellement, la menace avec une arme.
L’application et la traduction de ces symboles sont moins simples que vous ne le croyez peut-être. L’une et l’autre comportent nombre de détails inattendus. C’est ainsi que nous constatons ce fait incroyable que les différences sexuelles sont souvent à peine marquées dans ces représentations symboliques. Nombre de symboles désignent un organe génital en général -masculin ou féminin, peu importe : tel est le cas des symboles où figurent un petit enfant, une petite fille, un petit fils. D’autres fois, un symbole masculin sert à désigner une partie de l’appareil génital féminin, et inversement. Tout cela reste incompréhensible, tant qu’on n’est pas au courant du développement des représentations sexuelles des hommes. Dans certains cas cette ambiguïté des symboles peut n’être qu’apparente ; et les symboles les plus frappants, tels que poche, arme, boîte, n’ont pas cette application bisexuelle.
Commençant, non par ce que le symbole représente, mais par le symbole lui-même, je vais passer en revue les domaines auxquels les symboles sexuels sont empruntés, en faisant suivre cette recherche de quelques considérations relatives principalement aux symboles dont le facteur commun reste incompris. Nous avons un symbole obscur de ce genre dans le chapeau, peut-être dans tout couvre-chef en général, à signification généralement masculine, mais parfois aussi féminine. De même manteau sert à désigner un homme, quoique souvent à un point de vue autre que le point de vue sexuel. Vous êtes libre d’en demander la raison. La cravate qui descend sur la poitrine et qui n’est pas portée par la femme, est manifestement un symbole masculin. Linge blanc, toile sont en général des symboles féminins ; habits, uniformes sont nous le savons déjà, des symboles destinés à exprimer la nudité, les formes du corps ; soulier, pantoufle désignent symboliquement les organes génitaux de la femme. Nous avons déjà parlé de ces symboles énigmatiques, mais sûrement féminins, que sont la table, le bois. Échelle, escalier, rampe, ainsi que l’acte de monter sur une échelle, etc., sont certainement des symboles exprimant les rapports sexuels. En y réfléchissant de près, nous trouvons comme facteur commun la rythmique de l’ascension, peut-être aussi le crescendo de l’excitation : oppression, à mesure qu’on monte.
Nous avons déjà mentionné le paysage, en tant que représentation de l’appareil génital de la femme. Montagne et rocher sont des symboles du membre masculin, jardin est un symbole fréquent des organes génitaux de la femme. Le fruit désigne, non l’enfant, mais le sein. Les animaux sauvages servent à représenter d’abord des hommes passionnés, ensuite les mauvais instincts, les passions. Boutons et fleurs désignent les organes génitaux de la femme, et plus spécialement la virginité. Rappelez-vous à ce propos que les boutons sont effectivement les organes génitaux des plantes. Nous connaissons déjà le symbole chambre. La représentation se développant, les fenêtres, les entrées et sorties de la chambre acquièrent la signification d’ouvertures, d’orifices du corps. Chambre,ouverte, chambre close font partie du même symbolisme, et la clef qui ouvre est incontestablement un symbole masculin.
Tels sont les matériaux qui entrent dans la composition du symbolisme dans les rêves. Ils sont d’ailleurs loin d’être complets, et notre exposé pourrait être étendu aussi bien en largeur qu’en profondeur. Mais je pense que mon énumération vous paraîtra plus que suffisante. Il se peut même que vous me disiez, exaspérés : « À vous entendre, nous ne vivrions que dans un monde de symboles sexuels. Tous les objets qui nous entourent, tous les habits que nous mettons, toutes les choses que nous prenons à la main, ne seraient donc, à votre avis, que des symboles sexuels, rien de plus ? » Je conviens qu’il y a là des choses faites pour étonner, et la première question qui se pose tout naturellement est celle-ci : comment pouvons-nous connaître la signification des symboles des rêves, alors que le rêveur lui-même ne nous fournit à leur sujet aucun renseignement ou que des renseignements tout à fait insuffisants ?
Je réponds : cette connaissance nous vient de diverses sources, des contes et des mythes, de farces et facéties, du folklore, c’est-à-dire de l’étude des mœurs, usages, proverbes et chants de différents peuples, du langage poétique et du langage commun. Nous y retrouvons partout le même symbolisme que nous comprenons souvent, sans la moindre difficulté. En examinant ces sources les unes après les autres, nous y découvrirons un tel parallélisme avec le symbolisme des rêves que nos interprétations sortiront de cet examen avec une certitude accrue.
Le corps humain, avons-nous dit, est souvent représenté d’après Scherner, par le symbole de la maison ; or, font également partie de ce symbole les fenêtres, portes, portes cochères qui symbolisent les accès dans les cavités du corps, les façades, lisses ou garnies de saillies et de balcons pouvant servir de points d’appui. Ce symbolisme se retrouve dans notre langage courant : c’est ainsi que nous saluons familièrement un vieil ami en le traitant de « vieille maison » 21 et que nous disons de quelqu’un que tout n’est pas en ordre à son « étage supérieur » 22.
Il paraît à première vue bizarre que les parents soient représentés dans les rêves sous l’aspect d’un couple royal ou impérial. Ne croyez-vous pas que dans beaucoup de contes qui commencent par la phrase — « Il était une fois un roi et une reine », on se trouve en présence d’une substitution symbolique de la phrase « Il était une fois un père et une mère ? » Dans les familles, on appelle souvent les enfants, en plaisantant, princes, l’aîné recevant le titre de Kronprinz. Le roi lui-même se fait appeler le père. C’est encore en plaisantant que les petits enfants sont appelés vers et que nous disons d’eux avec compassion : les pauvres petits vers (das arme Wurm).
Mais revenons au symbole maison et à ses dérivés. Lorsqu’en rêve nous utilisons les saillies des maisons comme points d’appui, n’y a-t-il pas là une réminiscence de la réflexion bien connue que les gens du peuple formulent lorsqu’ils rencontrent une femme aux seins fortement développés — il y a là à quoi s’accrocher ? Dans la même occasion, les gens du peuple s’expriment encore autrement, en disant : « Voilà une femme qui a beaucoup de bois devant sa maison », comme s’ils voulaient confirmer notre interprétation qui voit dans le bois un symbole féminin, maternel.
À propos de bois, nous ne réussirons pas à comprendre la raison qui en a fait un symbole du maternel, du féminin, si nous n’invoquons pas l’aide de la linguistique comparée. Le mot allemand Holz (bois) aurait la même racine que le mot grec (dans le texte), qui signifie matière, matière brute. Mais il arrive souvent qu’un mot générique finit par désigner un objet particulier. Or, il existe dans l’Atlantique une île appelée Madère, nom qui lui a été donné par les Portugais lors de sa découverte, parce qu’elle était alors couverte de forêts. Madeira signifie précisément en portugais bois. Nous reconnaissez sans doute dans ce mot madeira le mot latin materia légèrement modifié et qui à son tour signifie matière en général. Or, le mot materia est un dérivé de mater, mère. La matière dont une chose est faite est comme son apport maternel. C’est donc cette vieille conception qui se perpétue dans l’usage symbolique de bois pour femme, mère.
La naissance se trouve régulièrement exprimée dans le rêve par l’intervention de l’eau : on se plonge dans l’eau ou on sort de l’eau, ce qui veut dire qu’on enfante ou qu’on naît. Or, n’oubliez pas que ce symbole peut être considéré comme se rattachant doublement à la vérité transformiste : d’une part (et c’est là un fait très reculé dans le temps) tous les mammifères terrestres, y compris les ancêtres de l’homme, descendent d’animaux aquatiques ; d’autre part, chaque mammifère, chaque homme passe la première phase de son existence dans l’eau, c’est-à-dire que son existence embryonnaire se passe dans le liquide placentaire de l’utérus de sa mère et naître signifie pour lui sortir de l’eau. Je n’affirme pas que le rêveur sache tout cela, mais j’estime aussi qu’il n’a pas besoin de le savoir. Le rêveur sait sans doute (les choses qu’on lui avait racontées dans son enfance mais même au sujet de ces connaissances j’affirme qu’elle n’ont contribué en rien à la formation du symbole. On lui a raconté jadis que c’est la cigogne qui apporte les enfants. Mais où les trouve-t-elle ? Dans la rivière, dans le puits, donc toujours dans l’eau. Un de mes patients, alors tout jeune enfant, ayant entendu raconter cette histoire, avait disparu tout un après-midi. On finit par le retrouver au bord de l’étang du château qu’il habitait, le visage penché sur l’eau et cherchant à apercevoir au fond les petits enfants.
Dans les mythes relatifs à la naissance de héros, que O. Rank avait soumis à une analyse comparée (le plus ancien est celui concernant la naissance du roi Sargon, d’Agade, en l’an 2800 av. J.-C.), l’immersion dans l’eau et le sauvetage de l’eau jouent un rôle prédominant. Rank a trouvé qu’il s’agit là de représentations symboliques de la naissance, analogues à celles qui se manifestent dans le rêve. Lorsqu’on rêve qu’on sauve une personne de l’eau, on fait de cette personne sa mère ou une mère tout court ; dans le mythe, une personne qui a sauvé un enfant de l’eau, avoue être la véritable mère de cet enfant. Il existe une anecdote bien connue où l’on demande à un petit Juif intelligent : « Qui fut la mère de Moïse ? » Sans hésiter, il répond : « La princesse. — Mais non, lui objecte-t-on, celle-ci l’a seulement sauvé des eaux. — C’est elle qui le prétend » réplique-t-il, montrant ainsi qu’il a trouvé la signification exacte du mythe.
Le départ symbolise dans le rêve la mort. Et d’ailleurs, lorsqu’un enfant demande des nouvelles d’une personne qu’il n’a pas vue depuis longtemps, on a l’habitude de lui répondre, lorsqu’il s’agit d’une personne décédée, qu’elle est partie en voyage. Ici encore je prétends que le symbole n’a rien à voir avec cette explication à l’usage des enfants. Le poète se sert du même symbole lorsqu’il parle de l’au-delà comme d’un pays inexploré d’où aucun voyageur (no traveller) ne revient. Même dans nos conversations journalières, il nous arrive souvent de parler du dernier voyage. Tous les connaisseurs des anciens rites savent que la représentation d’un voyage au pays de la mort faisait partie de la religion de l’Égypte ancienne. Il reste de nombreux exemplaires du livre des morts qui, tel un Baedeker, accompagnait la momie dans ce voyage. Depuis que les lieux de sépulture ont été séparés des lieux d’habitation, ce dernier voyage du mort est devenu une réalité.
De même le symbolisme génital n’est pas propre au rêve seulement. Il est arrivé à chacun de vous de pousser, ne fût-ce qu’une fois dans la vie, l’impolitesse jusqu’à traiter une femme de « vieille boîte », sans savoir peut-être que ce disant vous vous serviez d’un symbole génital. Il est dit dans le Nouveau Testament : la femme est un vase faible. Les livres sacrés des Juifs sont, dans leur style si proche de la poésie, remplis d’expressions empruntées au symbolisme sexuel, expressions qui n’ont pas toujours été exactement comprises et dont l’interprétation, dans le Cantique des Cantiques par exemple, a donné lieu à beaucoup de malentendus. Dans la littérature hébraïque postérieure on trouve très fréquemment le symbole qui représente la femme comme une maison dont la porte correspond à l’orifice génital. Le mari se plaint par exemple, dans le cas de perte de virginité, d’avoir trouvé la porte ouverte. La représentation de la femme par le symbole table se rencontre également dans cette littérature. La femme dit de son mari : je lui ai dressé la table, mais il la retourna. Les enfants estropiés naissent pour la raison que le mari retourne la table. J’emprunte ces renseignements à une monographie de M. L. Levy, de Brünn, sur Le symbolisme sexuel dans la Bible et le Talmud.
Ce sont les étymologistes qui ont rendu vraisemblable la supposition que le bateau est une représentation symbolique de la femme : le nom Schilf (bateau), qui servait primitivement à désigner unvase en argile, ne serait en réalité qu’une modification du mot Schaff (écuelle). Que four soit le symbole de la femme et de la matrice, c’est ce qui nous est confirmé par la légende grecque relative à Périandre de Corinthe et à sa femme Melissa. Lorsque, d’après le récit d’Hérodote, le tyran, après avoir par jalousie tué sa femme bien-aimée, adjura son ombre de lui donner de ses nouvelles, la morte révéla sa présence en rappelant à Périandre qu’il avait mis son pain dans un jour froid, expression voilée, destinée à désigner un acte qu’aucune autre personne ne pouvait connaître. Dans l’Anthropophyteia,publiée par F.-S. Kraus et qui constitue une mine de renseignements incomparables pour tout ce qui concerne la vie sexuelle des peuples, nous lisons que dans certaines régions de l’Allemagne on dit d’une femme qui vient d’accoucher : son four s’est effondré. La préparation du feu, avec tout ce qui s’y rattache, est pénétrée profondément de symbolisme sexuel. La flamme symbolise toujours l’organe génital de l’homme, et le foyer le giron féminin.
Si vous trouvez étonnant que les paysages servent si fréquemment dans les rêves à représenter symboliquement l’appareil génital de la femme, laissez-vous instruire par les mythologistes qui vous diront quel grand rôle la terre nourricière a toujours joué dans les représentations et les cultes des peuples anciens et à quel point la conception de l’agriculture a été déterminée à ce symbolisme. Vous serez tentés de chercher dans le langage la représentation symbolique de la femme : ne dit-on pas (en allemand)Frauenzimmer (chambre de la femme), au lieu de Frau (femme), remplaçant ainsi la personne humaine par l’emplacement qui lui est destiné ? Nous disons de même la « Sublime Porte », désignant par cette expression le sultan et son gouvernement ; de même encore le mot Pharaon qui servait à désigner les souverains de l’ancienne Égypte signifiait « grande cour » (dans l’ancien Orient les cours disposées entre les doubles portes de la ville étaient des lieux de réunion, tout comme les places de marché dans le monde classique). Je pense cependant que cette filiation est un peu trop superficielle. Je croirais plutôt que c’est en tant qu’elle désigne l’espace dans lequel l’homme se trouve enfermé que chambre est devenu symbole de femme. Le symbole maison nous est déjà connu sous ce rapport ; la mythologie et le style poétique nous autorisent à admettre comme autres représentations symboliques de la femme : château-fort, forteresse, château, ville. Le doute, en ce qui concerne cette interprétation, n’est permis que lorqu’on se trouve en présence de personnes ne parlant pas allemand et, par conséquent, incapables de nous comprendre. Or, j’ai eu, au cours de ces dernières années, l’occasion de traiter un grand nombre de patients étrangers et je crois me rappeler que dans leurs rêves, malgré l’absence de toute analogie entre ces deux mots dans leurs langues maternelles respectives, chambre signifiait toujours femme (Zimmer pour Frauenzirruner). Il y a encore d’autres raisons d’admettre que le rapport symbolique peut dépasser les limites linguistiques, fait qui a déjà été reconnu par l’interprète des rêves Schubert (1862). Je dois dire toutefois qu’aucun de mes rêveurs n’ignorait totalement la langue allemande, de sorte que je dois laisser le soin d’établir cette distinction aux psychanalystes à même de réunir dans d’autres pays des observations relatives à des personnes ne parlant qu’une seule langue.
En ce qui concerne les représentations symboliques de l’organe sexuel de l’homme, il n’en est pas une qui ne se trouve exprimée dans le langage courant sous une forme comique, vulgaire ou, comme parfois chez les poètes de l’antiquité, sous une forme poétique. Parmi ces représentations figurent non seulement les symboles qui se manifestent dans les rêves, mais d’autres encore, comme par exemple divers outils, et principalement la charrue. Du reste, la représentation symbolique de l’organe sexuel masculin touche à un domaine très étendu, très controversé et dont, pour des raisons d’économie, nous voulons nous tenir à distance. Nous ne ferons quelques remarques qu’à propos d’un seul de ces symboles hors série : du symbole de la trinité (3). Laissons de côté la question de savoir si c’est à ce rapport symbolique que le nombre 3 doit son caractère sacré. Mais ce qui est certain, c’est que si des objets composés de trois parties (trèfles à trois feuilles, par exemple) ont donné leur forme à certaines armes et à certains emblèmes, ce fut uniquement en raison de leur signification symbolique.
La fleur de lys française à trois branches et la Triskèle (trois jambes demi-courbes partant d’un centre commun), ces bizarres armoiries de deux îles aussi éloignées l’une de l’autre que la Sicile et l’île de Man, ne seraient également, à mon avis, que des reproductions symboliques, stylisées, de l’appareil génital de l’homme. Les reproductions de l’organe sexuel masculin étaient considérées dans l’antiquité comme de puissants moyens de défense (Apotropaea) contre les mauvaises influences, et il faut petit-être voir une survivance de cette croyance dans le fait que même de nos jours toutes les amulettes porte-bonheur ne sont autre chose que des symboles génitaux ou sexuels. Examinez une collection de ces amulettes portées autour du cou en forme de collier : vous trouverez un trèfle à quatre feuilles, un cochon, un champignon, un fer à cheval, une échelle, un ramoneur de cheminée. Le trèfle à quatre feuilles remplace le trèfle plus proprement symbolique à trois feuilles ; le cochon est un ancien symbole de la fécondité ; le champignon est un symbole incontestable du pénis, et il est des champignons qui, tel le Phallus impudicus, doivent leur nom à leur ressemblance frappante avec l’organe sexuel de l’homme ; le fer à cheval reproduit les contours de l’orifice génital de la femme, et le ramoneur qui porte l’échelle fait partie de la collection, parce qu’il exerce une de ces professions auxquelles le vulgaire compare les rapports sexuels (voir l’Anthropophyteia). Nous connaissons déjà l’échelle comme faisant partie du symbolisme sexuel des rêves ; la langue allemande nous vient ici en aide en nous montrant que le mot « monter » est employé dans un sens essentiellement sexuel. On dit en allemand : « monter après les femmes » et « un vieux monteur ». En français, où le mot allemand Stufe se traduit par le mot marche, on appelle un vieux noceur un « vieux marcheur ». Le fait que chez beaucoup d’animaux l’accouplement s’accomplit le mâle étant à califourchon sur la femelle, n’est sans doute pas étranger à ce rapprochement.
L’arrachage d’une branche, comme représentation symbolique de l’onanisme, ne correspond pas seulement aux désignations vulgaires de l’acte onanique, mais possède aussi de nombreuses analogies mythologiques. Mais ce qui est particulièrement remarquable, c’est la représentation de l’onanisme ou, plutôt, de la castration envisagée comme un châtiment pour ce péché, par la chute ou l’extraction d’une dent : l’anthropologie nous offre en effet un pendant à cette représentation, pendant que peu de rêveurs doivent connaître. Je ne crois pas me tromper en voyant dans la circoncision pratiquée chez tant de peuples un équivalent ou un succédané de la castration. Nous savons en outre que certaines tribus primitives du continent africain pratiquent la circoncision à titre de rite de la puberté (pour célébrer l’entrée du jeune homme dans l’âge viril), tandis que d’autres tribus, voisines de celles-là, remplacent la circoncision par l’arrachement d’une dent.
Je termine mon exposé par ces exemples. Ce ne sont que des exemples ; nous savons davantage là-dessus, et vous vous imaginez sans peine combien plus variée et intéressante serait une collection de ce genre faite, non par des dilettanti comme nous, mais par des spécialistes en anthropologie, mythologie, linguistique et ethnologie. Mais le peu que nous avons dit comporte certaines conclusions qui, sans prétendre épuiser le sujet, sont de nature à faire réfléchir.
Et tout d’abord, nous sommes en présence de ce fait que le rêveur a à sa disposition le mode d’expression symbolique qu’il ne connaît ni ne reconnaît à l’état de veille. Ceci n’est pas moins fait pour vous étonner que si vous appreniez que votre femme de chambre comprend le sanscrit, alors que vous savez pertinemment qu’elle est née dans un village de Bohême et n’a jamais étudié cette langue. Il n’est pas facile de nous rendre compte de ce fait à l’aide de nos conceptions psychologiques. Nous pouvons dire seulement que chez le rêveur la connaissance du symbolisme est inconsciente, qu’elle fait partie de sa vie psychique inconsciente. Mais cette explication ne nous mène pas bien loin. Jusqu’à présent nous n’avions besoin d’admettre que des tendances inconscientes, c’est-à-dire des tendances qu’on ignore momentanément ou pendant une durée plus ou moins longue. Mais cette fois il s’agit de quelque chose de plus : de connaissances inconscientes, de rapports inconscients entre certaines idées, de comparaisons inconscientes entre divers objets, comparaisons à la suite desquelles un de ces objets vient s’installer d’une façon permanente à la place de l’autre. Ces comparaisons ne sont pas effectuées chaque fois pour les besoins de la cause, elles sont faites une fois pour toutes et toujours prêtes. Nous en avons la preuve dans le fait qu’elles sont identiques chez les personnes les plus différentes, malgré les différences de langue.
D’où peut venir la connaissance de ces rapports symboliques ? Le langage courant n’en fournit qu’une petite partie. Les nombreuses analogies que peuvent offrir d’autres domaines sont le plus souvent ignorées du rêveur ; et ce n’est que péniblement que nous avons pu nous-mêmes en réunir un certain nombre.
En deuxième lieu, ces rapports symboliques n’appartiennent pas en propre au rêveur et ne caractérisent pas uniquement le travail qui s’accomplit au cours des rêves. Nous savons déjà que les mythes et les contes, le peuple dans ses proverbes et ses chants, le langage courant et l’imagination poétique utilisent le même symbolisme. Le domaine du symbolisme est extraordinairement grand, et le symbolisme des rêves n’en est qu’une petite province ; et rien n’est moins indiqué que de s’attaquer au problème entier en partant du rêve. Beaucoup des symboles employés ailleurs ne se manifestent pas dans les rêves ou ne s’y manifestent que rarement ; quant aux symboles des rêves, il en est beaucoup qu’on ne retrouve pas ailleurs ou qu’on ne retrouve, ainsi que vous l’avez vu, que çà et là, On a l’impression d’être en présence d’un mode d’expression ancien, mais disparu, sauf quelques restes disséminés dans différents domaines, les uns ici, les autres ailleurs, d’autres encore conservés, sous des formes légèrement modifiées, dans plusieurs domaines. Je me souviens à ce propos de la fantaisie d’un intéressant aliéné qui avait imaginé l’existence d’une « langue fondamentale » dont tous ces rapports symboliques étaient, à son avis, les survivances.
En troisième lieu, vous devez trouver surprenant que le symbolisme dans tous les autres domaines ne soit pas nécessairement et uniquement sexuel, alors que dans les rêves les symboles servent presque exclusivement à l’expression d’objets et de rapports sexuels. Ceci n’est pas facile à expliquer non plus. Des symboles primitivement sexuels auraient-ils reçu dans la suite une autre application, et ce changement d’application aurait-il entraîné peu à peu leur dégradation, jusqu’à la disparition de leur caractère symbolique ? Il est évident qu’on ne peut répondre à ces questions tant qu’on ne s’occupe que du symbolisme des rêves. On doit seulement maintenir le principe qu’il existe des rapports particulièrement étroits entre les symboles véritables et la vie sexuelle.
Nous avons reçu récemment, concernant ces rapports, une importante contribution. Un linguiste, M. H. Sperber (d’Upsala), qui travaille indépendamment de la psychanalyse, a prétendu que les besoins sexuels ont joué un rôle des plus importants dans la naissance et le développement de la langue. Les premiers sons articulés avaient servi à communiquer des idées et à appeler le partenaire sexuel ; le développement ultérieur des racines de la langue avait accompagné l’organisation du travail dans l’humanité primitive. Les travaux étaient effectués en commun avec un accompagnement de mots et d’expressions rythmiquement répétés. L’intérêt sexuel s’était ainsi déplacé pour se porter sur le travail. On dirait que l’homme primitif ne s’est résigné au travail qu’en en faisant l’équivalent et la substitution de l’activité sexuelle. C’est ainsi que le mot lancé au cours du travail en commun avait deux sens, l’un exprimant l’acte sexuel, l’autre le travail actif qui était assimilé à cet acte. Peu à peu le mot s’est détaché de sa signification sexuelle pour s’attacher définitivement au travail. Il en fut de même chez des générations ultérieures qui, après avoir inventé un mot nouveau ayant une signification sexuelle, l’ont appliqué à un nouveau genre de travail. De nombreuses racines se seraient ainsi formées, ayant toutes une origine sexuelle et ayant fini par abandonner leur signification sexuelle. Si ce schéma que nous venons d’esquisser est exact, il nous ouvre une possibilité de comprendre le symbolisme des rêves, de comprendre pourquoi le rêve, qui garde quelque chose de ces anciennes conditions, présente tant de symboles se rapportant à la vie sexuelle, pourquoi, d’une façon générale, les armes et les outils servent de symboles masculins, tandis que les étoffes et les objets travaillés sont des symboles féminins. Le rapport symbolique serait une survivance de l’ancienne identité de mots ; des objets qui avaient porté autrefois les mêmes noms que les objets se rattachant à la sphère et à la vie génitale apparaîtraient maintenant dans les rêves à titre de symboles de cette sphère et de cette vie.
Toutes ces analogies évoquées à propos du symbolisme des rêves vous permettront de vous faire une idée de la psychanalyse qui apparaît ainsi comme une discipline d’un intérêt général, ce qui n’est le cas ni de la psychologie ni de la psychiatrie. Le travail psychanalytique nous met en rapport avec une foule d’autres sciences morales, telles que la mythologie, la linguistique, l’ethnologie, la psychologie des peuples, la science des religions, dont les recherches sont susceptibles de nous fournir les données les plus précieuses. Aussi ne trouverez-vous pas étonnant que le mouvement psychanalytique ait abouti à la création d’un périodique consacré uniquement à l’étude de ces rapports : je veux parler de la revue Imago, fondée en 1912 par Hans Sachs et Otto Rank. Dans tous ses rapports avec les autres sciences, la psychanalyse donne plus qu’elle ne reçoit. Certes, les résultats souvent bizarres annoncés par la psychanalyse deviennent plus acceptables du fait de leur confirmation par les recherches effectuées dans d’autres domaines ; mais c’est la psychanalyse qui fournit les méthodes techniques et établit les points de vue dont l’application doit se montrer féconde dans les autres sciences. La recherche psychanalytique découvre dans la vie psychique de l’individu humain des faits qui nous permettent de résoudre ou de mettre sous leur vrai jour plus d’une énigme de la vie collective des hommes.
Mais je ne vous ai pas encore dit dans quelles circonstances nous pouvons obtenir la vision la plus profonde de cette présumée « langue fondamentale », quel est le domaine qui en a conservé les restes les plus nombreux. Tant que vous ne le saurez pas, il vous sera impassible de vous rendre compte de toute l’importance du sujet. Or, ce domaine est celui des névroses ; ses matériaux sont constitués par les symptômes et autres manifestations des sujets nerveux, symptômes et manifestations dont l’explication et le traitement forment précisément l’objet de la psychanalyse.
Mon quatrième point de vue nous ramène donc à notre point de départ et nous oriente dans la direction qui nous est tracée. Nous avons dit qu’alors même que la censure des rêves n’existerait pas, le rêve ne nous serait pas plus intelligible, car nous aurions alors à résoudre le problème qui consiste à traduire le langage symbolique du rêve dans la langue de notre pensée éveillée. Le symbolisme est donc un autre facteur de déformation des rêves, indépendant de la censure. Mais nous pouvons supposer qu’il est commode pour la censure de se servir du symbolisme qui concourt au même but : rendre le rêve bizarre et incompréhensible.
L’étude ultérieure du rêve peut nous faire découvrir encore un autre facteur de déformation. Mais je ne veux pas quitter la question du symbolisme sans vous rappeler une fois de plus l’attitude énigmatique que les personnes cultivées ont cru devoir adopter à son égard : attitude toute de résistance, alors que l’existence du symbolisme est démontrée avec certitude dans le mythe, la religion, l’art et la langue qui sont d’un bout à l’autre pénétrés de symboles. Faut-il voir la raison de cette attitude dans les rapports que nous avons établis entre le symbolisme des rêves et la sexualité ?
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