LE SYNDROME DE KLEINE-LEVIN :
Frontière entre la neurologie et la psychiatrie
Introduction
Le syndrome de Kleine-Levin appartient au groupe des hypersomnies intermittentes ou récurrentes (idiopathiques). Il s’agit d’une affection neurologique bénigne et rare, touchant principalement les adolescents. Le diagnostic est avant tout clinique se fondant sur une hypersomnie diurne avec un allongement du temps de sommeil nocturne associé à des troubles du comportement (1).
Ce syndrome trouve sa place à côté de la maladie de Gélineau (narcolepsie-cataplexie) dans le groupe des hypersomnies pathologiques primaires (2).
Nous aborderons successivement la physiologie et la pathologie du sommeil, puis la clinique, l’évolution, les diagnostics différentiels, l’étiopathogénie et le traitement du syndrome de Kleine-Levin.
Physiologie du sommeil
Le sommeil est fondamental et impératif pour l’homme comme pour les animaux. Mais son besoin est variable d’une personne à une autre. Habituellement il est entre 7 heures et 8 heures 30. Mais il existe également des « petits » dormeurs dont la durée du sommeil peut aller de 4 à 6 heures (10% des adultes) et des « gros » dormeurs (15% des adultes) qui dorment plus de 9 heures (1).
Cependant l’examen électro-encéphalographique bouleversa la compréhension du sommeil.
Le sommeil se divise en deux phase (9) :
- Le sommeil paradoxal (SP) : appelé ainsi car l’EEG est proche d’un EEG de veille. Cette phase est nommée également phase de mouvement oculaire (PMO, Rapid Eye Movement REM) ou sommeil rapide. On retrouve pendant cette phase une activité électrique rapide, l’existence de mouvements oculaires rapides, un relâchement du tonus musculaire.
- Le sommeil calme ou lent est dépourvu d’activité motrice avec des ondes lentes à EEG. On subdivise cette phase en 4 stades I, II, III, et IV selon l’amplitude des ondes électriques (I et II : sommeil lent léger, III et IV : sommeil lent profond).
Généralement au cours de la nuit se déroule 4 ou 5 cycles. Toutefois les cycles ne sont pas identiques : la quantité de sommeil lent profond (stade III et IV) diminue au cours des cycles successifs. Le sommeil paradoxal survient périodiquement toutes les 90 minutes. C’est lors du sommeil paradoxal que se produit l’activité onirique. Lorsqu’on se réveille au milieu d’une phase de sommeil paradoxal on se souvient toujours avec une grande précision de son rêve.
Pathologies du sommeil
Les troubles du sommeil comprennent les insomnies mais également les hypersomnies, les parasomnies et les troubles du rythme veille-sommeil (1)
Les insomnies ont de multiples étiologies :
- Facteurs psychologiques et psychiatriques : les troubles de l’humeur (dépression 25% d’insomnie chronique), l’anxiété et le trouble panique.
- Facteurs organiques : le syndrome d’impatience des membres inférieurs, le syndrome de secousses périodiques des membres et le syndrome d’apnée du sommeil.
- Facteurs chronobiologiques : sommeil avec retard de phase (endormissement et réveil sont retardés), sommeil avec avance de phase (endormissement et réveil sont avancés), cycle veille-sommeil supérieur à vingt-quatre heures et l’irrégularité du cycle veille- sommeil.
- Facteurs toxiques : amphétamines, anorexigènes, antituberculeux, certains antidépresseurs, café, alcool…
Les hypersomnies sont divisées en deux catégories : les hypersomnies fréquentes ou permanentes et les hypersomnies intermittentes ou récurrentes.
* Parmi les hypersomnies permanentes, certaines sont évidentes comme : la mauvaise hygiène de vie et de sommeil, l’insuffisance du sommeil, l’insomnie chronique, les traitements médicamenteux et l’alcool. Il faut rechercher en deuxième intention des causes fréquentes : le syndrome d’apnée du sommeil, le syndrome de résistance des voies aérienne supérieures, le syndrome d’impatience et les mouvements périodiques des membres inférieurs. Plus rarement on retrouve des pathologies psychiatriques, neurologiques, infectieuses et post-traumatiques. Et en dernier lieu, penser à la narcolepsie et l’hypersomnie idiopathique.
* Les hypersomnies intermittentes comprennent : les primitives avec le syndrome de Kleine-Levin et l’hypersomnie cataméniale ; les secondaires avec les causes neurologiques et psychiatriques.
Clinique
Ce syndrome rare et bénin survient préférentiellement chez le garçon entre 15 et 20 ans sans antécédents familiaux ou personnels. Cependant on retrouve fréquemment des facteurs déclenchant banals comme des épisodes infectieux généraux et O.R.L., mais aussi les traumatismes crâniens, une alcoolisation aiguë, une anesthésie générale.
Puis en quelques jours ou quelques heures apparaissent les épisodes d’hypersomnie. Lors des accès l’adolescent se dit fatigué, semble dormir en quasi-permanence 12 à heures par jour. Il se lève juste pour les besoins physiologiques.
A côté de l’hypersomnie s’associent des troubles psychiatriques (12) :
l’hyperphagie ou mégaphagie compulsive prédominant sur les aliments sucrés,
les troubles des conduites sexuelles avec une désinhibition. On les rencontre dans un tiers des cas chez les garçons avec des masturbations publiques, des avances inadaptées (2).
Les troubles du caractère et du comportement sont constants avec irritabilité, agressivité, bizarreries, voire des hallucinations probablement d’origine hypnagogiques.
Les troubles de l’humeur, labiles, passant d’un état dépressif à l’euphorie.
Des troubles de la mémoire et de la concentration.
L’examen somatique au moment de l’accès est quasiment normal mais peut révéler des signes de dysautonomies (congestion faciale et sueur) et une hyperréflexie ostéotendineuse. Les examens paracliniques (radiologiques, biologiques et psychologiques) sont normaux. Mais l’EEG outre un ralentissement de fond, montre parfois des bouffées amples théta, pointues voire des pointes pouvant faire évoquer à tord une épilepsie. Les enregistrements polysomnographiques au cours de l’accès témoignent une durée de sommeil élevée et une architecture du sommeil préservée avec parfois une réduction de la latence du sommeil paradoxal (11).
Evolution
L’évolution se fait entre quelques jours et une semaine. Le patient peut passer d’une phase dépressive brève à un état hypomaniaque. Les accès sont récurrents sur un délia de plusieurs mois à plusieurs années. Le comportement est normal pendant les phases intercritiques. Globalement l’hypersomnie diminue progressivement et peut même disparaître. Pour D. Marcelli le syndrome de Kleine-Levin constituerait parfois un mode d’entrée dans la psychose (9).
Diagnostics différentiels
A côté de ce tableau clinique idiopathique, on retrouve des causes organiques d’hypersomnie récurrente (10) :
les tumeurs cérébrales : tumeurs du IIIè ventricule (avec céphalée, vomissements et stase au fond d’œil), pinéalomes et les tumeurs de la paroi postérieure de l’hypothalamus,
les traumatismes crâniens : syndrome subjectif des traumatismes crâniens, plus rarement un syndrome frontal,
les pathologies infectieuses : encéphalites, trypanosomiases, hépatites virales,
les accidents vasculaires cérébraux.
Des diagnostics : différentiels psychiatriques doivent également être envisagés :
la structure du sommeil peut évoquer un état dépressif s’inscrivant dans un trouble bipolaire,
des états psychotiques associant des troubles du comportement, des conduites alimentaires et sexuelles,
des états névrotiques avec syndrome dépressif. L’examen clinique retrouve des traits de personnalité histrionique ainsi que des facteurs déclenchants affectifs ou émotionnels.
Etiopathogènie
Les causes du syndrome de Kleine-Levin sont encore très obscures. Cependant deux voies nous sont proposées :
infectieuses avec mise en évidence de lésions encéphalitiques isolées (6),
neuro-endocrinienne correspondant à une dysrégulation fonctionnelle hypothalamique ou diencéphalolimbique avec perturbations catécholaminergiques centrales(8).
Traitement
On recommande en première intention l’utilisation de stimulants de la vigilance lors des accès hypersomniaques dont l’efficacité réelle reste à démontrer (4) : amphétamines, agonistes alpha-l adrénergiques comme le Modafinil entre 200 et 400 mg par jour.
Les thymorégulateurs ont été proposés à titre préventif : les sels de lithium (7), la carbamazépine et l’acide valproïque (5).
Conclusion
Le syndrome de Kleine-Levin est une pathologie bénigne et très rare caractérisée par l’association d’hypersomnie avec mégaphagie, troubles du comportement, de l’humeur et une hypersexualité sous forme de désinhibition sexuelle. Il s’observe principalement chez l’adolescent masculin entre 15 et 20 ans. Ce tableau clinique doit alerter le praticien et rechercher une cause organique avant de s’orienter vers un tableau psychiatrique.
Bibliographie
1 - BILLARD M., CADILHAC J., Les hypersomnies récurrentes. Rev. Neurol. 1988 ; 144 : 249-58.
2 - BILLARD M., Le syndrome de Kleine-Levin. In : Billard M. ed. Le sommeil normal et pathologique. Paris : Masson, 1994 : 280 -286.
3 - BILLARD M., BESSET A., Les troubles de l’éveil. Neurophysiol. Clin. 1995 ; 25 : 327 - 328.
4 - CARLENDER B, Traitements de la narcolepsie et d’autres formes d’excès de sommeil. In : Billard M., ed. Le sommeil normal et pathologique. Paris : Masson, 1994 : 292 - 295.
5 - CRUMLEY FE., Valproïc acid for Kleine-Levin syndrom. J. Am. Acad. Child. Adolesc. Psychiatry 1997 ; 36(7) : 868-869.
6 - FENZI F., SIMONATI A., Clinical feature of Kline-levin syndrome with localized encephalitis. Neuropediatics 1993 ; 24 : 292 - 295.
7 - GOLDBERG MA., The treatment of Kline-Levin syndrome with Lithium. Can. J. psychiatry 1983 ; 28 ; 491 - 493.
8 - MALHOTRAS S., DAS MK., A clinical study of kline-Levin syndrome with evidence for hypothalamic -pituitary axis dysfunction. Biol. Psychiatry 1997 ; 42 : 299 - 301.
9 - MARCELLI D., Enfance et psychopathologie, coll. Les âges de la vie. Paris : Masson 1999, 628 p.
10 - MINVIELLE S., Le syndrome de Kleine-Levin : une affection neurologique à symptomatologie psychiatrique, l’Encéphale, 2000 : XXVI : 71-74.
11 - VECCHIERINI M-F., Le guide du sommeil, Pathologie - Science, Paris : John Libbey Eurotext, 1997, 170 p.
12 - VIOT-BLANC V., Troubles du sommeil de l’adulte : hypersomnie, parasomnie et troubles circadien. Encycl. Méd. Chir. (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie, 37 680-A-06, 2000, 10p.
Rémi PICARD
Assistant des Hôpitaux