Dans "Constructions en analyse", Freud écrit : "L'intention du travail analytique est d'amener le patient à lever les refoulements des débuts de son développement.
L'analyste ne peut travailler pour cela que sur la matière psychique que lui fournit l'analysant, "des fragments de souvenirs contenus de façon déformée dans les rêves", des souvenirs écrans mais aussi "des idées incidentes qui émergent lorsqu'il se laisse aller à l'association libre" et enfin "des actions plus ou moins importantes du patient à l'intérieur ou à l'extérieur de la situation analytique qui mettent en scène avec l'aide du transfert les souvenirs oubliés et favorisent aussi le retour des affects appartenant au refoulé."
Comment avec tous ces matériaux psychiques pouvons nous retrouver le chemin de ces souvenirs perdus ?
Freud utilise, pour décrire sa démarche une métaphore théâtrale: Le travail psychique consiste en deux pièces distinctes qui se jouent sur deux scènes séparées et concernent deux personnages dont chacun est chargé d'un rôle différent".
Dans ce travail, l'analyste devient en quelque sorte le régisseur chargé de maintenir des liens entre les deux scènes, les deux pièces de théâtre qui s'y jouent et surtout entre les protagonistes du drame. Ainsi pour maintenir cette métaphore, lorsque l'analyste communique à son patient les constructions qu'il a échafaudées, il établit pour un court moment un lien entre les deux scénarios.
Mais ces deux scénarios ne peuvent être les mêmes. Freud le précise ainsi :
« Nous savons tous que l'analysé doit être amené à se remémorer quelque chose qu'il a vécu et refoulé, et les conditions dynamiques de ce processus sont si intéressantes qu'en revanche l'autre partie du travail, l'action de l'analyste, est reléguée à l'arrière-plan ».
A noter que cette action de l'analyste, Lacan l'appellera beaucoup plus tard « l'acte analytique » et ce, pour lui aussi, l'opposer radicalement à ce qu'il nommera « la tâche psychanalysante » marquant bien le fait que c'est avant tout l'analysant qui travaille, qui entreprend son analyse.
Il poursuit, à propos de ce qui est la part de l'analyste dans cette tâche :
De tout ce dont il s'agit, l'analyste n'a rien vécu ni refoulé ; quelle est donc sa tâche ? Il faut que, d'après les indices échappés à l'oubli, il devine ou plus précisément il construise ce qui a été oublié. La façon et le moment de communiquer ces constructions à l'analysé, l'explication dont l'analyste les accompagne, c'est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l'analyste, et celle de l'analysé ».
Plus loin dans son texte, Freud précise où se situe la différence entre la construction et l'interprétation.
« Le terme d'interprétation se rapporte à la façon dont on s'occupe d'un élément isolé du matériel, une idée incidente, un acte manqué etc.. Mais on peut parler de construction quand on présente à l'analysé une période oubliée de sa préhistoire, par exemple en ces termes : "Jusqu'à votre énième année vous vous êtes considéré comme le possesseur unique de votre mère. A ce moment là un deuxième enfant est arrivé et avec lui une forte déception. Votre mère vous a quitté quelques temps et même après, elle ne s'est plus consacré à vous exclusivement. Vos sentiments envers elle sont devenus ambivalents. Votre père a acquis depuis une nouvelle signification pour vous. ..."(2) Est-ce que nous ne voyons pas apparaître là une élégante mise en perspective de toute la structure d'une névrose? Elle se dessine autour de cette rencontre décisive du désir de la mère, dans une confrontation avec un objet rival qui occupe cette place convoitée d'objet du désir de l'Autre. Normalement le père, c'est sa fonction, est là pour débusquer l'enfant de cette place d'objet métonymique de la mère. De par l'interdit de l'inceste il ne pourra plus être l'unique possesseur mais surtout, si on peut dire, l'unique possédé de sa mère. Dans la névrose, ce désir d'être désiré est en partie maintenu. Il doit devenir interdit, par tout ce qui se met en jeu dans l'analyse, autour du désir du psychanalyste en tant que tel.
N'est-ce pas aussi ce que Freud commence à faire avec Ernst, dans le journal de cette analyse, lorsqu'il reconstruit pour lui, les sources oedipiennes de sa haine du père et de son désir de sa mort, en relation avec ses désirs sensuels pour les gouvernantes, substituts de sa mère ?
Quand on considère l'ensemble de son oeuvre, il est remarquable que Freud a somme toute peu écrit sur la pratique de la psychanalyse, hormis les textes des années 1910 à 1915 qui sont souvent axés sur des conseils pratiques donnés aux jeunes analystes et sur les grands principes de la technique psychanalytique. Dans les toutes dernières années de sa vie, Freud va revenir sur ce sujet dans Constructions en analyse, publié en 1937, et dans Analyse avec fin et analyse sans fin publié aussi la même années. Dans Constructions en analyse, Freud, fort de sa longue expérience de la pratique psychanalytique, revient sur une question fondamentale qui a trait à la place de la réalité dans le matériel élaboré dans le cours d'une analyse. Dit autrement, et d'une manière plus moderne, la psychanalyse constitue-t-elle un moyen de déterrer un passé enfoui depuis longtemps (comme Freud le croyait à ses débuts) ou une façon de mettre en pensée, en mots, un vécu jusqu'alors ignoré grâce à la construction d'une sorte de mythe individuel dont le rapport historique à la réalité n'est pas la vertu première?
La question abordée par Freud est cruciale et mérite beaucoup de réflexion, d'autant plus qu'elle tend à nous ramener au débat faisant rage aux États-Unis sur la question des faux souvenirs.
Un texte d'une grande importance.
Référence: En général, nous conseillons au lecteur de se référer à l'édition française des oeuvres psychanalytiques complètes de Freud qui constitue la traduction la plus récente de ce texte. Les textes étant présentés par ordre chronologique, il sera facile de le trouver s'il est dans un des volumes déjà parus. Ce texte se trouve aussi dans une autre édition dans le livre Résultats, idées, problèmes tome 2 publié aux Presses Universitaires de France dans la collection Psychanalyse.
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